Malgré son bilan pour le moins mitigé, Habib Essid est plus que jamais solide à son poste. Il pourrait même avoir des ambitions…
Par Salah El Gharbi
L’amputation de Nidaa d’un certain nombre de ses députés a eu des répercussions qui se ressentent, jour après jour, à tous les niveaux.
Sur le plan politique, ce remue-ménage parlementaire a, certes, mis sur orbite Ennahdha, mais il a surtout profité, d’une manière incidente, à l’actuel chef de gouvernement.
En effet, l’homme que l’on croyait, il y a quelques semaines, sur le départ, est désormais, intouchable. Et ce ne sont pas les fanfaronnades de certains de ses détracteurs qui vont faire douter Habib Essid sur son avenir politique…
Un homme béni des dieux
Serein, l’homme bénéficie d’une marge de manœuvre, jusque-là inespérée. Même le maître de Carthage, à qui M. Essid doit sa fonction, n’oserait pas l’inquiéter. Car, non seulement les hommes politiques chevronnés ayant une véritable stature de chef ne sont pas légion, mais aussi, on l’oublie assez souvent, si M. Essid démissionnait, il faudrait bien que le président s’adresse impérativement au «cheikh» Ghannouchi – chef du parti désormais majoritaire à l’Assemblée – pour que ce dernier lui propose un nouveau chef de gouvernement, un scénario qui ne ferait qu’envenimer une situation politique déjà précaire.
En somme, notre chef de gouvernement est un homme béni des dieux. Adoubé par la formation la plus puissante de l’Assemblée du peuple, en l’occurrence Ennahdha, il n’est plus à la merci de Nidaa, une situation qui le met à l’abri des turbulences politiques et des caprices des uns et des autres et ce, probablement, pour le reste de l’actuelle législature…
D’ailleurs, M. Essid est tellement au goût des islamistes qu’il devait se voir, en se rasant le matin, déjà candidat potentiel pour les présidentiels de 2020… D’ailleurs, certaines mauvaises langues trouvent que l’homme fait plus de la Com’ qu’il n’agit et qu’en recevant la «bergère, diplômée de mathématiques», il ne fait que se donner l’image d’«un homme d’Etat proche des préoccupations des couches populaires».
Vaincre le scepticisme ambiant
Que Habib Essid renforce sa position à la Kasbah n’est pas un mal en soi. L’homme, certes choisi par défaut par Béji Caïd Essebsi (BCE), réunit, malgré tout, beaucoup de qualités…
C’est un homme pragmatique, consensuel et qui a le mérite de bien connaître les rouages de l’Etat et l’on ne peut que se féliciter d’avoir à la tête de l’exécutif un homme soutenu par une forte majorité à l’Assemblée, ce qui représente un atout majeur qui devrait lui faciliter l’exercice de sa fonction…
Toutefois, et même si certains trouvent que le chef de gouvernement «se débrouille pas mal», la plupart des observateurs politiques qui cachent mal leur scepticisme quant à la capacité de cet homme à réformer le pays et à bien orchestrer l’action gouvernementale, se posent la question suivante: Essid est-il l’homme de la situation dans un pays miné par une crise qui dure depuis cinq années avec une croissance économique presque nulle, la faillite de l’autorité de l’Etat, un terrorisme qui menace désormais nos villes?
Il semblerait que le président de la république, tout en étant conscient des limites de son poulain, compte sur un sursaut de l’homme de la Kasbah, sur une réaction forte qui puisse donner de la crédibilité à l’action du gouvernement. Certes, la légitimité d’Essid acquise devant l’Assemblée est utile mais insuffisante si elle n’est pas confortée par une forte volonté d’agir et non pas de réagir, d’anticiper et non pas de subir. Il ne fallait pas attendre que des soulèvements aient lieu pour ouvrir un «dialogue sur l’emploi» et prendre des «mesures d’urgence»… Le propre d’un bon dirigeant est de ne pas laisser pourrir une situation. L’exemple de la gestion de la crise des syndicats des forces de l’ordre est très éloquent dans la mesure où il trahit les failles d’une gouvernance frileuse, hésitante et par conséquent irresponsable.
Plus d’audace et de fermeté
En réalité, le véritable ennemi de M. Essid, c’est lui-même. Et s’il veut s’imposer, il devrait croire d’abord en lui-même, et «foncer» en prenant des initiatives fortes, audacieuses et innovantes quitte à prendre des risques, à essuyer la colère de certains. Son talon d’Achille, c’est qu’il cherche tellement à concilier l’inconciliable qu’il finit toujours par mécontenter tout le monde en se mettant à dos, par exemple, aussi bien l’Utica et l’UGTT, lors des négociations salariales dans le privé…
Il est vrai que la situation politique actuelle est délicate, complexe et surtout, déterminante pour le devenir du pays. Par conséquent, la tâche d’Essid s’avère rude d’autant plus que l’homme s’appuie sur un parti islamiste, fin manœuvrier, avec sa politique d’un «un pied dedans, un pied dehors», Nidaa, un parti dépourvu de toute crédibilité… Aussi le défi de l’actuel chef de gouvernement, s’il veut aspirer à un réel devenir politique, devrait-il de faire preuve d’habilité politique, de plus d’assurance mais aussi de plus de fermeté, sans se laisser intimider ni par le dogmatisme idéologique des uns ni par les manœuvres déstabilisantes des autres.
* Universitaire et écrivain.
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