Le vote in extremis, et par le nombre minimal de voix requis, du projet de nouveau statut de la Banque centrale suscite des interrogations légitimes.
Par Nadya B’Chir *
Le ministre des Finances, Slim Chaker, le ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, Yassine Brahim, et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Chedly Ayari, se sont envolés pour Washington pour prendre part à la rencontre annuelle du Fonds monétaire international (FMI). Une rencontre qu’il fallait consciencieusement préparer au regard des enjeux qu’elle décline à l’endroit de l’économie tunisienne. A la clé, un joli pactole de plus de 5 milliards de dinars sous forme de prêt du FMI sous exigences d’instaurer des réformes dans le système bancaire tunisien. Le changement du statut de la BCT pour lui accorder son indépendance du gouvernement est l’une des réformes phare revendiquée par l’institution de Bretton Woods. Ainsi soit-il !
Un vote acquis mais obtenu in extremis
Deux jours auparavant, dans la soirée du mardi 13 avril 2016, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a voté, via 73 de ses élus, le projet de loi portant sur le statut et la gestion de la BCT. Ce vote a été effectué in extremis, une voix, une seule, a fait vaciller la balance et décider la donne.
Un projet de loi sur lequel un travail laborieux et studieux s’étendant sur de longs mois assorti de débats dans les antres de l’Hémicycle s’est poursuivi à lourde main. Un projet de loi qui a été porté, à bras-le-corps, par des ministres et des élus des partis de la coalition au pouvoir, à savoir Nidaa Tounes, Ennahdha, l’UPL et Afek Tounes, et qui pourtant passe à l’article de la mort !
Que s’est-il passé pour qu’un projet de loi d’une aussi haute importance soit voté sans grande conviction ni enthousiasme apparent? Pis, les défenseurs dudit projet de loi se sont «dégonflés» au moment du vote et ont déserté leurs sièges verts après quatre séances plénières et 15 heures de débat !
Ce geste, pouvant être qualifié de sabotage sans faire dans le mélodrame, a carrément été reconnu comme un scandale sur la bouche d’un certain nombre de députés. C’est le cas de Mehdi Ben Gharbia, qui a considéré que ses camarades de la coalition au pouvoir ont œuvré de manière à faire merdoyer le projet de loi et ce, en dépit de sa portée sur la position de la Tunisie. Plus clairement, sa portée dans l’accroissement des chances du pays dans les rounds des négociations avec les institutions internationales monétaires pour décrocher des crédits. M. Ben Gharbia s’interroge sur cette manœuvre d’autant qu’aucun de ces députés n’a fait référence à un moment à quelconque réserve au sujet du texte, ce qui jette le voile de la surprise sur tel résultat de vote.
Slim Chaker lâché par les siens
Le ministre des Finances, Slim Chaker, engagé dans un véritable marathon, n’a guère dissimulé sa déception, son dépit voire même son aigreur. Il s’est senti pris en traître et lâché par les siens à la veille d’une rencontre à étendue décisive pour la Tunisie. Il promet un rapport détaillé sur le vote, qu’il remontera jusqu’au chef du gouvernement auprès de qui il se plaindra de ce geste «malséant». Il ira jusqu’à se poser des questions sur le fond de pareils messages transmis par ce vote ainsi que ses conséquences sur les prochains projets de loi que le gouvernement envisage de déposer au Parlement.
Slim Chaker, largué et outré, est dans son plein droit de s’interroger quant aux intentions cachées et déguisées ainsi qu’aux buts à s’y méprendre. Pourquoi ce retournement de veste au moment où le besoin s’avère imminent et regarde, de surcroît, un aspect de premier ordre : l’indépendance de la BCT.
A dire vrai, toute la question réside à cet étage : les parlementaires en plus du gouvernement prônent-ils l’indépendance de la Banque centrale à l’instar de la majorité écrasante des pays démocratiques à travers du monde ? Ou préfèrent-il poursuivre sur la voir de la dépendance qui consacre davantage la facilité de la fraude, de la corruption et de la malversation?
La nouvelle loi stipule, en effet que «la Banque centrale est indépendante dans la réalisation de ses objectifs, dans l’exercice de ses missions et dans la gestion de ses ressources», que «nul ne peut porter atteinte à l’indépendance de la Banque centrale, ni influencer les décisions de ses organes et ses agents dans l’accomplissement de leurs fonctions», ou encore que «la Banque Centrale ne peut ni solliciter, ni accepter des instructions du gouvernement ou de tout organisme public ou privé».
Régie par ce texte, la BCT est désormais semblable à la Federal Reserve américaine ou encore la Banque centrale européenne (BCE) et joue donc dans la cours des grands. Ceci est à même d’accentuer davantage l’interrogation quant à la volonté de certains députés à faire obstruction au passage du projet de loi relatif à son nouveau statut. Eu égard à la façon dont le tableau est dépeint, la réponse ne peut qu’être sujette à équivoque.
La mission principale de la BCT est d’assurer la stabilité des prix ainsi que de la finance. Une mission qui n’en sera que plus réussie à la lumière du nouveau statut lui accordant son indépendance. Plus de place aux calculs et tractations à caractère politique s’introduisant dans les rayons complexes de la gestion de la politique monétaire et financière, et par voie de conséquence, plus de performance et de rendu de la banque des banques.
* Journaliste indépendante.
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