Absentéisme des députés: La démocratie des sièges vides

Beaucoup de nos députés ont encore du chemin à faire avant d’endosser l’habit des représentants du peuple assumant leurs responsabilités citoyennes.

Par Nadya B’chir

Ils ont été traités de fainéants, d’incompétents, d’ignares, d’opportunistes, et même de personnes de petite vertu ! Les députés de l’Assemblée nationale constituante (ANC) ont été au cœur de vives et acerbes critiques, trois années durant, et leur départ a été ressenti comme un authentique soulagement voire une bénédiction ! Tous croyaient avoir retenu la leçon et ne pas être enclin à réadapter l’ancien moule au lendemain des élections législatives de 2014, cependant cela s’est fait sans compter sur le penchant irrésistible qu’ont les députés pour l’absentéisme.

Un taux de présence des plus faibles

L’organisation non gouvernementale Al-Bawsala a rendu public un rapport élaboré par ses services au sujet de la deuxième session parlementaire, duquel il ressort des chiffres, au mieux, alarmants ! Car ils dépeignent l’absentéisme des élus du peuple au niveau des travaux des différentes commissions ainsi que ceux des plénières.

Selon les conclusions établies par Al-Bawsala, l’absentéisme ne revêt guère un aspect d’exception, ou qui regarderait des cas isolés, il s’apparente davantage à une épidémie qui rôde dans les couloirs du parlement et paralyse quasi religieusement l’avancement des travaux parlementaires. Afin de conforter ces dires, un taux relatif à la participation des députés aux travaux des commissions ou aux plénières flirte péniblement avec les 50%.

Ons Hattab (Nidaa Tounes), à droite, championne de l’absentéisme: 8,87% de taux de participation au vote.  

Ce chiffre peut être considéré comme le miroir diseur de vérité lorsque l’on apprend qu’il existe une sacrée différence à instaurer entre le taux de présence et le taux de participation. En effet, l’organisation a établi qu’environ 82% des députés sont présents dans les différents travaux parlementaires, néanmoins, cette présence n’est que formelle et protocolaire. Car, lors du passage à la participation aux travaux, au sens propre du terme, ce taux est réduit à près de 50%.

Ainsi donc, il est clair qu’une frange non moindre des députés joue au plus malin en marquant sa présence via les instruments de rigueur, et vaque par la suite à d’autres occupations que celles pour lesquelles elle a été élue et pour lesquelles elle est rémunérée à coup de milliers de dinars.

La gangrène de l’absentéisme altère de plus belle le rendement du parlement et pervertit même l’orientation de ses objectifs. Il y a peu de temps, Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), a vu bon office à frapper un coup de marteau en vue de châtier les absents en leur infligeant une peine pécuniaire. Faux pas ! En tout cas de point de vue les députés qui se sont élevés en chœur – quasiment – non en maugréant et ont clamé : «Serions-nous encore sur les bancs de l’école pour subir pareille pénitence?!»

Avec 5% de taux de participation au vote, Ridha Charfeddine (Nidaa Tounes) est plus présent dans les stades qu’à l’Assemblée. 

Des projets de lois en souffrance

Face au grondement généralisé, et affaibli par une position plutôt anémique, Mohamed Ennaceur laissa tomber. Pour autant et en dépit des maintes alertes lancées par l’organisation Al-Bawsala ainsi que les médias de la place qui ne manquaient pas de mettre en mot l’absentéisme flagrant et souvent scandaleux des députés des séances plénières.

Pas l’ombre d’un doute ne pourrait planer sur le fait que ce fléau déteint de manière fameuse et illustre sur l’avancement des travaux parlementaires, ce qui est à même de ralentir l’avancement d’un certain nombre de projets et, par voie de conséquence, accable le travail du gouvernement. Il faut croire que les députés, ou en tout un grand fragment ne sont pas contre le beurre, l’argent du beurre et même le pot de la crémaillère.

En regardant de plus près les chiffres présentés par l’organisation Al-Bawsala, quelques noms de députés appartenant aux partis de la coalition au pouvoir attirent particulièrement l’attention. Ces députés ont, de toute évidence, battu des records en matière d’absentéisme.

Tenez, Ons Hattab, députée du bloc parlementaire Nidaa Tounes, n’a participé à aucune séance de commissions spéciale et fixe, et son taux de participation au vote est d’à peine 8,87%. Pourtant, Ons Hattab n’a de cesse de prôner les valeurs du travail à chaque fois qu’elle se pavane d’un événement à un autre sous le titre de secrétaire nationale du parti.

Même configuration pour le député du même parti, Ridha Charfeddine, aucune participation aux commissions en plus d’un taux de participation au vote de 5% seulement.

Avec 3% de taux de participation au vote, Mohamed Ghannem (Afek Tounes) est quasiment introuvable à l’assemblée. On devrait publier un avis de recherche pour le retrouver…

Le parti Afek Tounes n’est pas en reste, à travers son député Mohamed Ghannem avec zéro participation aux commissions et un taux maigre d’environ 3% pour sa participation au vote.

Nous sommes à la mi-session parlementaire et nous déplorons un taux d’absentéisme on ne peut plus alarmant et envoyant des signaux gravement pessimistes pour la période actuelle et à venir. C’est indubitable, à infraction irresponsable sanction responsable. La présidence du parlement ne devrait avoir soucis majeurs que l’avancement des travaux parlementaires selon un rythme idoine aux priorités et défis dans lesquels s’engage le pays.

Hélas ! Régis et gouvernés par le «bâton», instrument de la peur, il semblerait que les représentants du peuple aient encore du chemin à faire avant d’endosser l’habit d’un député au sens aigu et prononcé de la responsabilité citoyenne avant toute chose. Car, au regard de l’actuelle peinture, ce qui se manifeste sous la lumière est rien de plus que des députés qui s’enrichissent sur le dos du citoyen !

* Journaliste indépendante