Chawki Tabib, qui vient de partir en guerre contre la corruption, a un défaut majeur : il aime trop les médias, qui ne le lui rendent toujours pas très bien.
Par Salah El-Gharbi
Après son un passage fort remarqué comme bâtonnier de l’Ordre des avocats tunisiens tunisiens, Chawki Tabib s’était fait plutôt discret jusqu’à sa nomination, début janvier, à la tête de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLC).
Cette nomination a été saluée par beaucoup de sympathisants de gauche comme de droite, qui voient en cet homme un militant intransigeant et volontaire, réputation qui n’est du reste pas usurpée.
Talk-shows, buzz et dérapages
Quatre mois depuis sa nomination à la tête de l’Instance, passant d’un plateau à l’autre, l’ex-bâtonnier ne rate pas une occasion sans rappeler à son auditoire sa nouvelle mission. En quelques semaines, Me Tabib a fait tous les talkshows, distribuant les déclarations tonitruantes et les formules-chocs, provoquant le buzz après chacune de ses prestations médiatiques. «Les indicateurs de la corruption en Tunisie sont en hausse», lance-il vigoureusement. Des «responsables au pouvoir» seraient même «impliqués dans des dossiers de corruption», ajoute-t-il encore. «Si l’épidémie perdurait, l’Etat tunisien serait un Etat mafieux», déclare-t-il, sans nuance, le président de l’INLC, qui vient de déclarer «la guerre» à cette maladie qui gangrène l’économie du pays.
D’ailleurs, Me Tabib a tellement été excédé par ce qu’il semble avoir découvert dans ses nouvelles fonctions qu’il lui est arrivé parfois de déraper. Ainsi, il y a trois jours, Kamel Ayadi, ministre de la Fonction publique, de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, a dû intervenir pour contester les chiffres que Me Tabib avait avancés à propos de la corruption administrative dans les marchés publics, «estimés à 90%». Ce qui a obligé Me Tabib à réapparaître dans les médias pour préciser qu’il n’a jamais dit une telle baliverne et que certains journalistes ont simplement déformé ses propos. «En réalité, j’ai déclaré que 90% des plaintes pour corruption que nous avons reçues à l’Instance concernent l’administration. Je n’ai jamais dit que 90% des employés de l’administration sont corrompus», a-t-il expliqué, vendredi, sur Mosaïque FM. Et il y a là, il faut le reconnaître, plus qu’une nuance qui a échappé à certains collègues, en quête du buzz facile.
Des médias à «consommer» avec modération
Cela dit, il est légitime que le président de l’INLC, impatient de recevoir le budget qui lui a été alloué – et qu’il a réussi à négocier à la hausse –, puisse se servir des médias pour faire pression sur le gouvernement. Mais, il est aussi du devoir de ce responsable de se consacrer plus aux dossiers qui s’entassent sur son bureau qu’à la promotion de sa personne. Car, les citoyens attendent de lui des actes et des données précises à mettre entre les mains de la justice et non pas des déclarations tapageuses qui ne font pas avancer la cause que cet homme est censé défendre, surtout quand ces déclarations sont mal comprises, interprétées insidieusement ou, plus trivialement, déformées.
Me Tabib, qui, dans sa jeunesse, a tâté du journalisme, qui entretient de bonnes relations avec le milieu médiatique où il compte de nombreux amis et qui a du mal à refuser une invitation pour passer sur un plateau de télévision, allant jusqu’à appeler lui-même la chaîne au téléphone pour rectifier telle affirmation ou telle donnée, doit apprendre à «consommer» les médias avec modération et précaution, d’autant qu’il gère un dossier on ne peut plus délicat et où le moindre dérapage non contrôlé pourrait provoquer une polémique dont le pays, qui traverse une phase difficile, voudrait bien se passer.
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