L’instabilité sociale en Tunisie a freiné la production énergétique, aggravé la pression sur une économie fragilisée et mis à mal l’unique success story du Printemps arabe.
Par Jihen Laghmari et Carole Alexander
Depuis 2010, la facture des importations énergétiques de la Tunisie a augmenté de 45% pour atteindre les 5,5 milliards de dollars, selon les données gouvernementales. La production pétrolière du pays a chuté d’environ 25%, se situant l’an dernier au niveau de 63.000 barils/jour, selon la BP Plc. Seul un puits d’exploration a été foré cette année, sur le total des onze puits prévus, et plusieurs compagnies étrangères, confrontées aux incessants mouvements de protestation et aux grèves ont décidé de suspendre leurs activités ou tout simplement quitter la partie.
Le 7e gouvernement depuis 2011!
«Ces dernières années, l’exploration, la recherche et le développement du secteur des hydrocarbures ont enregistré une baisse sensible, notamment en raison des troubles sociaux et de l’instabilité politique», reconnait Mongi Marzouk, le ministre de l’Energie et des Mines. Il explique également que, dans un contexte aussi incertain que celui de la Tunisie, l’investissement «a été pris en otage» par les mouvements de protestation et l’écroulement des cours mondiaux du baril de brut n’a fait que compliquer encore plus la gestion d’un secteur sérieusement fragilisé.
Une production pétrolière en chute libre (en milliers de barils/jour)
La Tunisie a su éviter le piège de la violence dans lequel est tombée la Libye voisine. Sa nouvelle constitution a été présentée comme exemplaire et elle a pu organiser des élections irréprochables. Et pareille transition démocratique tranquille lui a valu un prix Nobel de la paix mérité.
Pourtant, cette réussite indéniable a été profondément ébranlée par quatre attentats terroristes, qui ont porté un coup dur à l’industrie touristique du pays, et par les tensions sociales qui ont considérablement ralenti l’activité d’une économie tunisienne déjà agonisante et incapable de répondre aux demandes pressantes d’emplois. Depuis quelques semaines, la classe politique tunisienne tente de former un nouveau gouvernement d’union nationale –le septième depuis la révolution du 14 janvier 2011.
L’effondrement du secteur énergétique tunisien complique encore plus les difficultés économiques de la Tunisie. A titre d’exemple, durant les cinq premiers de 2016, le déficit du commerce énergétique du pays s’est monté à près d’1,2 million de dinars, représentant ainsi environ le ¼ du déficit commercial tunisien.
Des manifestations à Kerkennah bloquent des mois durant l’usine de Petrofac.
Au lendemain de la révolution, le secteur pétrolier et gazier tunisien a été le point de ralliement de la colère sociale et de la protestation syndicale, particulièrement dans une région du sud appauvrie et délaissée pendant de longue décennie et une région également où se trouvent la plupart des champs pétroliers et où les populations locales n’ont jamais cessé de revendiquer leurs droits à l’emploi et à l’investissement.
Montée en flèche de la demande énergétique interne (en milliards de dinars)
Cette impatience populaire, se traduisant par des grèves et des mouvements de protestation à répétition ont poussé la compagnie Petrofac Plc, basée à Londres, à mettre un terme à ses activités en avril dernier – refusant depuis de commenter cette décision… Trois autres compagnies étrangères menant des opérations de prospection en Tunisie ont elles aussi de mettre la clé sous la porte et de quitter le pays: la suédoise PA Resources, l’australienne Cooper Energy et la canadienne Dualex Energy. D’autres résistent encore à la tentation du retrait, notamment la britannique BG Group, rachetée cette année par le géant anglo-néerlandais Royal Dutch Shell Plc, l’autrichienne OMV AG et l’italienne Eni SpA.
«L’environnement est loin d’être favorable à l’investissement»
Depuis le soulèvement de 2011, l’investissement dans le secteur de l’énergie a stagné, avec seulement 733.000 dollars, l’an dernier, contre 2,2 millions de dollars, en 2008, selon des chiffres fournis par de le ministère de l’Energie et des Mines. Ridha Bouzouada, directeur général auprès du ministère, soutient que des chances sérieuses existent pour que, avant la fin de l’année courante, les travaux reprennent dans au moins 7 sur les 11 puits d’exploration prévus. De plus, 3 autres nouveaux permis d’exploration sont actuellement soumis à l’étude de l’Assemblée des représentants du peuple.
En réponse aux appels pour une gestion plus transparente des ressources naturelles du pays, le gouvernement tunisien a rendu public le contenu de certains contrats, une démarche qui retarde la mise en œuvre de nombreux contrats potentiels, selon Carole Nakhle, enseignante en économie énergétique à l’Université britannique du Surrey et consultante principale auprès de la Crystol Energy.
«En outre, il y a l’élément crucial de la baisse mondiale des cours du brut, le risque politique et sécuritaire. Tout cela additionné crée un environnement qui est loin d’être favorable ou encourageant pour l’investissement», explique Nakhle, qui estime que «les choses ne changeront pas de sitôt – en tout cas, pas avant les quatre ou cinq prochaines années.»
Diminution des investissements (en milliers de dollars US)
Le peu de brut pétrolier dont dispose le pays Tunisie est exporté par les partenaires étrangers de la Tunisie. Par conséquent, elle se trouve dans l’obligation d’importer une bonne part des carburants dont il a besoin. En outre, le pays n’a qu’une seule raffinerie, celle de la Stir (Société tunisienne des industries de raffinage, à Zarzouna, dans le gouvernorat de Bizerte), alors que le projet de construction d’une deuxième usine de raffinage est suspendu depuis 2014.
La production tunisienne de gaz naturelle, qui est totalement consacrée au marché national, couvre près de 47% des besoins du pays, et l’écart est comblé par des importations d’Algérie.
L’évolution de la consommation énergétique en Tunisie, qui progresse d’environ 3% par an selon la Banque mondiale, est en train de suivre un mouvement opposé à la courbe de la production de ce secteur économique tunisien. Avec beaucoup de prudence, le gouvernement s’efforce à réduire les subventions à l’énergie et à accroître et diversifier le panier énergétique du pays, en tentant de tirer parti des énergies renouvelables et en assouplissant la réglementation du secteur pour attirer les investisseurs.
Selon estime Kamel Rekik, consultant indépendant dans le domaine de l’énergie, «les recettes fiscales générées par les revenus pétroliers et gaziers sont en baisse, du coup, le budget de l’Etat et la qualité de vie du consommateur tunisien en ont été sensiblement affectés.»
Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla
*Les titre et intertitres sont de la rédaction.
Source : ‘‘Bloomberg’’.
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