La prise en charge tardive du patient, les ressources matérielles insuffisantes et le manque de suivi demeurent la cause principale de la cataracte infantile en Tunisie.
Par Marwan Chahla
Pourtant, selon Dr. Lamia El-Fekih*, la compréhension et la connaissance approfondie de cette infirmité existent à profusion, les injustices et les défis qu’elle représente sont connus et reconnues par tous et les remèdes pour la combattre n’ont jamais manqué en Tunisie. Il s’agit tout simplement de vouloir mettre en œuvre ces solutions – d’une volonté sociale et politique entière.
«Il est important que les stratégies de la lutte contre la cataracte congénitale soient conçues, développées et adoptées en tenant compte des spécificités régionales de notre pays», déclare Mme El-Fekih, enseignante en médecine à l’Université de Tunis-El Manar.
«En Tunisie, nous œuvrons pour l’élimination des inégalités chirurgicales, pour mettre fin aux déséquilibres régionaux en matière de couverture sanitaire et nous concentrons nos efforts sur la conscientisation de l’opinion publique et des praticiens sur cette question essentielle du droit inaliénable à un traitement sanitaire de bonne qualité et à un meilleur suivi du patient», ajoute-t-elle.
Dr. El-Fekih estime que la mauvaise distribution des services de santé à travers le pays reste la raison majeure du manque ou de l’absence d’accès aux soins chirurgicaux et au suivi des enfants tunisiens atteints de cataracte. Elle indique que le nombre des services d’ophtalmologie infantile et d’anesthésiologie pédiatrique demeure très limité…
Par conséquent, les familles des patients atteints de cataracte congénitale se trouvent dans l’obligation de faire de longs déplacements afin de permettre à leurs enfants de bénéficier des soins dont ils ont besoin.
En outre, il y a une multitude d’autres facteurs qui compliquent encore plus la situation. Bien que, dans la majorité des institutions hospitalières publiques tunisiennes, les opérations chirurgicales soient des actes gratuits pour les personnes indigentes, certaines autres prestations nécessaires et certains autres soins d’accompagnement sont payants et peuvent constituer, dans certaines régions du pays, un handicap insurmontable pour les catégories socio-économiques les plus pauvres.
L’élément héréditaire
«De plus, en Tunisie, la cataracte infantile possède très fréquemment une caractéristique héréditaire», affirme Dr. El-Fekih, expliquant : «Lorsque l’on a à faire à une famille qui a plus d’un enfant à soigner, de toute évidence, la pression financière devient bien plus forte. Ajoutons aussi que dans la plupart des cas, ces enfants atteints de cataracte congénitale souffrent d’autres déficiences physiques et d’autres maladies qui compliquent fatalement la tâche des parents et réduisent à néant leur capacité matérielle à subvenir aux besoins médicaux de leur progéniture», se désole la praticienne.
Même si les enfants subissent une intervention chirurgicale, leur pronostic visuel sur les moyen et long termes dépendront des soins postopératoires et du suivi adéquats. En Tunisie, il existe une pénurie de praticiens habilités à prescrire le port de verres de contact pour la correction de l’amétropie de puissance chez les personnes aphaques.
Très souvent également, le respect du traitement de l’amblyopie chez les familles tunisiennes laisse à désirer. Dr. El-Fekih estime que, au sein de l’institution où elle exerce, près de la moitié des patients qui ont été opérés de la cataracte infantile et qui avaient besoin de soins antirétroviraux pour leur épargner une amblyopie n’en ont jamais reçu.
Les enfants qui contractent une amblyopie ont besoin d’une formation pointue pour personnes malvoyantes, mais il n’existe en Tunisie que deux centres spécialisés de ce genre et, lorsque l’accès à ces services rares est possible, le problème de la difficulté financière se pose une nouvelle fois…
«Un enfant peut avoir besoin de plus qu’un seul appareil adaptatif pour l’aider à corriger sa faiblesse de vision et, parfois également, cet appareil, pour une raison ou une autre, doit être remplacé. Et cela coûte très souvent cher», reconnaît Dr. Lamia El-Fekih.
Remèdes et traitements en abondance
Relever ces défis requiert l’adoption d’une approche pluridisciplinaire.
Tout d’abord, il y a un travail pédagogique à entreprendre auprès des parents et des prestataires de soins de santé afin de faire connaître la cataracte infantile et de renforcer la gestion adéquate de cette déficience. Une meilleure conscientisation parentale a aussi le mérite d’un meilleur respect du suivi post-opératoire et des protocoles du traitement de l’amblyopie.
Cette tâche éducative ne suffisant pas à elle seule, elle doit être accompagnée par des programmes gouvernementaux de détection et de traitement précoces de toutes les causes de la cécité infantile, de mettre en place et d’améliorer les systèmes de référence.
Il y a lieu aussi d’adopter une démarche proactive consistant notamment à analyser et à identifier les centres disposant d’installations pour le traitement de patients pédiatriques, et à combler les lacunes là où elles existent.
Dr. El-Fekih fait le triste constat du peu d’intérêt que portent les ophtalmologistes à la pédiatrie: «Bien que nous ayons en Tunisie près de 600 ophtalmologistes, pour une population de 12 millions, le nombre des ophtalmologistes pédiatriques reste très limité…»
Source: ‘‘Ophthalmology Times’’.
* Dr. Lamia El-Fekih, chef service d’ophtalmologie à l’hôpital des Forces de Sécurité Intérieure (FSI)-La Marsa-Tunis, membre de Nadi Al Bassar, a accordé un entretien à la revue médicale ‘‘Ophthalmology Times’’, conduit par Cheryl Guttman Krader, dont nous empruntons ici de larges extraits.
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