Dans son dernier recueil de poèmes, Tahar Bekri exprime son inquiétude, face à la menace de l’«ombre rampante» qui a volé la floraison du «printemps arabe»,
Par Salah El-Gharbi
Tahar Bekri, universitaire et poète tunisien qui vit à Paris depuis une quarantaine d’années, est l’auteur de plusieurs recueils de poésie, traduits dans plusieurs langues. Ancien militant de la gauche tunisienne du début des années soixante-dix, il incarne la voix de la contestation, de la résistance de la «cause arabe», tout en demeurant un fervent défenseur de l’universalisme. Il reste une de ces rares voix à avoir chanté l’amour du pays, dans une langue étrangère, avec une aussi touchante authenticité telle que celle dont en témoigne son recueil ‘‘Je te nomme Tunisie’’, un texte «post-14 janvier», publié aux éditions Al-Manar, en France.
Après l’hiver meurtrier, le printemps arabe
Dans le sillon des poètes arabes contemporains, Tahar Bekri se présente comme un poète «militant». «Contribuer à révéler la vérité, ne serait-ce que peu, est un devoir éthique», aime-t-il affirmer dans ses conférences. Et ‘‘Salam Gaza’’ (publié chez Elyzad, à Tunis, en 2010), qui est un récit militant, dénonçant la terreur d’une guerre impitoyable que les Gazzaouis avaient subie durant trois semaines en 2008, s’inscrit dans cette quête de la vérité, mise au service de la «Cause ». Ce fut l’occasion pour que la plume du poète se transforme en arme au secours d’une population désarmée, abandonnée de tous.
Après l’hiver meurtrier de 2008, vint le «printemps arabe», portant avec lui, l’espoir de tant de populations oubliées de l’Histoire. Et le monde entier retint son souffle, attentif aux atermoiements de cette nature qui s’éveillait, indolente, puis, fébrile, bourgeonnant nerveusement, avant de sombrer, assaillie par les pucerons… Au moment où le vent de la révolte souffle violemment, le poète, lui, à l’ombre de son mûrier, impatient, écoute le bruissement des feuillages, le regard rivé sur l’autre rive, celle d’un pays dont il n’avait jamais cessé de respirer la nostalgie.
Et le nouveau recueil de Tahar Bekri, ‘‘Mûrier triste dans le printemps arabe’’, est le fruit de ces méditations, celles d’une conscience assoiffée de renouveau, luttant contre la tentation du terrible doute. Car, le poète appartient à cette génération d’intellectuels progressistes tunisiens qui, durant cinq décennies, avaient porté en eux la flamme de l’espérance, nourri la possibilité de l’impossible… Jaloux de sa liberté, fanatique des libertés, blasé, il exprime son inquiétude, face à la menace de l’«ombre» rampante, troublante, celle de ces «étranges corneilles» qui «ont volé» la floraison du «printemps arabe», faisant ainsi vaciller toutes les promesses :
«Il est loin le chant que j’ai élevé
Parmi tes solennels feuillages
La Nuit lourde de son sommeil…»
Dans ses tableaux, Tahar Bekri chante le désenchantement, mais aussi l’errance et promène ses lecteurs de rivage en rivage, d’une culture à une autre, d’une époque à une autre. C’est dans une langue marquée par la densité, la sobriété, une parole compacte, cérébrale, sans concessions, qu’il donne à voir du monde d’aujourd’hui, une image contrastée, partagée entre horreur et beauté, entre sagesse et folie meurtrière.
Parole de la contestation, du doute, la poésie de Bekri est aussi un hymne à la beauté d’une nature variée, celle de ces pays lointains, d’Afrique, des Caraïbes… tels ces baobabs du Mali, ou l’«acacia sec et endurci» de Nouakchott, mais aussi, celle du «Pays», Gabès, cette terre qui le vit naître et à laquelle il rend un vibrant hommage en partant sur les traces de son enfance :
«Il me souvient vos matins d’albâtre caressant la source
Abricotiers en fleurs mêlés aux citronniers solaires…
Et ces palmes pour apaiser le vent de sa course…»
* ‘‘Mûrier triste dans le printemps arabe’’, poèmes, Al-Manar Éditions, 2016, avec les illustrations de Jean-Michel Marchetti.
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