Le nouveau chef du gouvernement Youssef Chahed demande aux Tunisiens de travailler plus et mieux, mais ne doit-on pas établir, préalablement, des règles encourageant l’effort et sanctionnant la paresse.
Par Mohamed Nafti *
Le nouveau gouvernement dit d’«union nationale» est sur la ligne de départ. Il va partir pour effectuer une première étape longue de 100 jours. Une course contre la montre pour assainir la situation générale dans le pays, impulser les activités économiques et relancer le processus de développement. Sauver le pays n’est pas l’apanage du gouvernement Youssef Chahed, elle est aussi la mission de toute la population active. Nous sommes tous appelés à travailler, à prendre de la peine mais, surtout, à faire correctement notre travail.
Présence, fonction, tâche et production
Historiquement, le travail était synonyme de peine et renvoyait aux efforts exténuants des esclaves. Car les maîtres ne travaillaient pas, mais jouissaient du fruit du travail de leurs obligés. Les pyramides d’Egypte étaient considérées comme l’œuvre des pharaons, le Colisée de Rome comme le chef d’œuvre des empereurs Vespasien et Titus. Quant à la création artistique et à l’invention intellectuelle, elles n’étaient pas classées dans le domaine du travail. Ce n’est qu’après la révolution industrielle, au 19e siècle, qu’on a commencé à donner plus d’importance à la valeur économique et sociale du travail. Il est même devenu l’élément moteur de la richesse et prit sa définition moderne, celle d’une activité rémunérée qui permet la production des biens et services.
Aujourd’hui la notion de travail a une forte connotation sociale qui tend à élever l’homme à une importante valeur morale et lui garantir la dignité. C’est aussi pour défendre cet acquis social et moral et ce droit économique que la jeunesse tunisienne s’était soulevée contre l’ancien régime.
Mais si le travail permet à l’homme de gagner sa vie et lui garantit sa dignité, s’il permet la production des biens et services et crée la fortune, il est néanmoins nécessaire de définir la valeur technique de l’activité pour assurer une meilleure qualité du produit, du service ou de la création intellectuelle. La valeur définie avant le début du travail à effectuer facilitera le contrôle et l’évaluation de ses conditions préalables et sa conformité aux règles établies dans chaque domaine.
Parmi les carences dont souffre notre pays, il y a notre conception erronée du travail. On le considère davantage comme une occupation, un poste et une fonction qui génèrent une rémunération. La qualité de ce qui est produit ou son exécution dans les délais requis importent peu dans beaucoup d’institutions étatiques.
Etre présent physiquement sur le lieu de travail durant un nombre déterminé d’heures ne veut pas dire travailler. S’asseoir confortablement sur un fauteuil de direction et signer le courrier ne veut pas dire non plus bosser. A lui seul, le titre de la fonction ne légitime pas la rémunération. C’est la tâche dans son sens le plus large et la définition des conditions d’exécution de l’activité qui doivent délimiter le contour de l’activité. On l’appelle fiche de poste ou termes de référence ou encore attributions. La définition claire et détaillée de la tâche à accomplir est la meilleure assurance de la qualité du travail et la condition nécessaire pour satisfaire les objectifs de l’institution d’un côté et les droits du travailleur de l’autre.
L’uniformisation de la paresse et du moindre effort
Deux exemples m’interpellent toutes les fois que j’ai à discuter de cette question. Le premier est un modèle de fiche de travail manuel conçu par l’Inspection générale du travail du gouvernement en 2013. Une très belle fiche qui comprend la quasi-totalité des informations concernant le travail, mis à part la nature de la tâche et les conditions de son exécution.
Dans ce cas, un agent de propreté municipale qui se présente en tenue de travail réglementaire à l’heure fixée, qui quitte le lieu de travail à l’heure annoncée et qui fait semblant de travailler touchera la même rémunération que celui qui accomplira l’exploit herculéen de nettoyer les écuries d’Augias.
Le deuxième exemple concerne un ancien concept de travail instauré par les colons français à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et lié à l’organisation du travail au sein de la mine dans cette région. Le «travail à la tâche» et le «travail en régie» sont deux formes de travail qui se distinguent par les conditions d’exécution et par leur résultat (la production).
Une équipe de quatre personnes qui choisit de travailler à la tâche doit remplir huit wagons de phosphates en moins de huit heures et durant la période définie du poste de travail. Si l’équipe s’acquitte de cette tâche en une ou deux heures, elle sera libre de quitter le lieu de travail. Sa tâche est considérée comme accomplie. Si elle remplit sept wagons en huit heures elle sera payée sur la base du taux «en régie».
L’équipe qui choisit le travail en régie doit être présente huit heures entières du début à la fin du poste de travail. Elle doit remplir 2 wagons de phosphates et ne pourra quitter le lieu de travail que lorsque l’heure de fin de travail aura sonné.
Le taux de rémunération de la journée de travail à la tâche est trois fois supérieur à celui du travail en régie. Avis aux amateurs ! Mais ces conditions ne plaisaient pas à tout le monde et ont dû être révisées au cours des années 1970 pour uniformiser la paresse et le moindre effort.
La morale de cette histoire est d’inciter nos institutions à réfléchir à cette problématique de l’évaluation et de la rémunération du travail en vue d’établir des règles qui encouragent l’effort et la productivité et sanctionnent la paresse et la tricherie.
Nul n’ignore que ce domaine est couvert par la fonction ‘‘Gestion des ressources humaines’’ que beaucoup répugnent. Les responsables y voient une entreprise contraignante et difficile à concevoir, les travailleurs et ceux qui les défendent y voient une atteinte à la liberté de se soustraire au travail. Si nous voulons reconstruire le pays, nous sommes tenus de travailler, mais avant cela il faut définir les règles de travail ou les conditions de l’exécution des tâches.
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