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Retour d’Iran : Le pays des ayatollahs et des… poètes (1-2)

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Bien que les Iraniens vivent sous un régime théocratique, l’Iran est une nation trop complexe pour se réduire seulement à être le pays des ayatollahs.

Par Jamila Ben Mustapha *

Quand un pays arabe ou musulman n’est pas en proie à la guerre civile comme le sont actuellement l’Irak, la Syrie, le Yémen, la Libye ou, même encore, l’Afghanistan, l’équilibre qu’il arrive à instaurer pour pouvoir survivre, au milieu des États riches et puissants, lui est le plus souvent spécifique, tributaire qu’il est de son histoire lointaine et récente et du contexte géographique dans lequel il se trouve.

Des touristes tunisiens à Ispahan

Si l’on percevait ainsi l’Iran par rapport à la Tunisie, on pourrait constater les différences qui les opposent, leurs points forts et leurs points faibles n’étant pas répartis de la même façon.

Est-il légitime de prétendre pouvoir parler d’un pays – l’Iran – parce qu’on y a passé deux semaines, au cours d’un séjour touristique où on a habité le milieu standardisé des hôtels et où l’on s’est intéressé essentiellement à son histoire et à son patrimoine architectural et artistique?

Oui, mais cette visite a permis de sillonner les rues des grandes villes et d’apprendre aussi beaucoup de la rencontre, même furtive, avec ses habitants.

L’écrivain français Montesquieu, pour lutter contre l’ethnocentrisme occidental, dans ses ‘‘Lettres Persanes’’ parues au début du XVIIIe siècle, avait imaginé la grande curiosité qu’aurait provoquée la venue de deux Persans, Usbek et Rica, à Paris.

Or, de quelle façon ont été reçus réellement, 3 siècles plus tard, des touristes tunisiens dans les rues d’Ispahan, de Chiraz, de Yazd, de Persépolis ou de Téhéran?

On peut dire qu’ils ont provoqué autant de sensation que le héros de Montesquieu, Rica. La grande question qui fusait inévitablement, toujours la même, était : «Where are you from?». Mais quand on citait la Tunisie, reconnaissons que, dans l’écrasante majorité des cas, notre pays, dix fois moins grand que la Perse et presque invisible sur la carte du monde, est inconnu des Iraniens. La seule façon de les aider à le localiser et de satisfaire leur curiosité, était de leur dire que nous étions voisins de l’Algérie. Nous ne pouvions nous définir qu’en fonction de notre grand voisin, ce qui est un coup porté à notre ethnocentrisme à nous, surtout après la révolution du 14 janvier 2011, qui nous a donné l’illusion d’avoir atteint une renommée internationale!

Certes, l’Iran ne se distingue pas particulièrement par la liberté de croyance et l’aspect théocratique du régime – qui se considère lui-même comme une république islamique – se constate, entre autres, par la présence, dans toute chambre d’hôtel, d’un Coran, d’une table de prière et de l’indication de la direction de la Mecque, ainsi que de versets du Coran inscrits sur la mosaïque, dans la rue, qu’il nous est arrivé de voir à Ispahan.

Le port du foulard est la règle pour toutes les femmes, même les étrangères, ce qui est une aberration; et toute non-Iranienne dont le foulard tombe sur les épaules, est poliment mais fermement rappelée à l’ordre.

À une question posée à notre jeune guide, née après la révolution de 1979: «Et si une Iranienne ne portait pas le voile?», nous l’avons vu fournir avec énergie cette réponse impressionnante: «On la prendrait pour une folle!»

Les descendants de Khayyam, Hafez et Sâadi

En Tunisie, nous avons deux «cheikhs», le président de la république Béji Caïd Essebsi et le président du parti islamiste Ennahdha Rached Ghannouchi, qui veillent aux destinées du pays. Cela est encore plus vrai en Iran où nous n’avons vu aucune photo de l’actuel président Hassan Rouhani, considéré comme un réformiste. Par contre, celles des deux guides spirituels, Rouhollah Khomeiny et Ali Khamenei, l’un décédé et l’autre vivant, s’affichent partout, notamment dans les mosquées, veillant avec vigilance sur le pays.

Nous avons, tout de même, recueilli quelques critiques de citoyens se plaignant de l’aspect autocratique du régime et allant même jusqu’à nous demander pour quelles raisons nous avions choisi de visiter leur pays, oubliant, en disant cela, la grande valeur artistique des multiples monuments iraniens, qu’on pourrait classer, sans hésitation, parmi les plus beaux du monde !

Pourtant, ce pays est aussi celui du savant et poète Omar Khayyam qui, en plein Moyen Âge occidental, a développé dans ses poèmes l’exemple d’une foi inquiète, travaillée constamment par le doute, assumant, pour sa part, la transgression religieuse de la consommation de vin et invectivant familièrement Dieu, vers lequel il fait un retour grandiose, en définitive, comme le montrent les derniers quatrains chantés par Om Kalthoum dans ‘‘Roubaiet Al Khayyam’’ et, particulièrement, le dernier vers : «Accepte le repentir des repentants».

Et ce grand penseur sceptique a toute son importance dans son pays et possède un mausolée à Nichapur, son lieu de naissance, comme d’autres poètes tels que Hafez et Sâadi, dont les tombes se trouvent à Chiraz.

Lorsqu’on voit comment, 10 siècles plus tard, dans le monde arabo-musulman, la foi se trouve souvent réduite à des signes extérieurs comme le voile, la barbe – paradoxalement peu visible en Iran –, le qamis ou le jilbab, à des actes stéréotypés, soumise à une censure stricte, sans tolérance d’aucune pratique personnelle de la religion, sans valorisation d’une quelconque intériorité, on mesure à quel point est contestable la théorie du progrès en histoire – progrès qui concerne surtout la technologie mais non les idées et les mentalités – et combien il faut tenir compte des régressions qui font, le plus souvent, du déroulement de la vie des peuples plutôt un développement en dents de scie.

Mais l’Iran est une nation trop riche, trop complexe pour se réduire seulement à être le pays des ayatollahs.

* Universitaire.

A suivre :

Retour d’Iran : La vie triomphe de l’interdit (2/2)

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