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Retour sur le putsch du 7 novembre 1987 : Ni anges ni démons

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Il y a 29 ans, le 7 novembre 1987, Ben Ali destituait Bourguiba et prenait le pouvoir qu’il gardera jusqu’au 11 janvier 2011.

Par Dr Mounir Hanablia *

Le 7-Novembre, cette commémoration de l’inconstance humaine : pendant 23 ans ce jour a été célébré comme celui de la gloire et il est devenu peu après la chute du colosse aux pieds d’argile, le jour commémorant l’avènement de la servitude.

Aujourd’hui qu’en est il? Plutôt un symbole de la division des Tunisiens, en particulier sur leur passé, et de leur désaccord concernant l’avenir. Mais qu’en avait-il vraiment été de cette journée?

L’automne du patriarche

Un vieux président, qui était la figure de proue de la lutte de libération nationale et le père fondateur de l’Etat moderne et dont le régime politique dictatorial avait apporté de multiples bienfaits au pays en particulier en matière d’acquis sociaux, a fini placé sous influence, entouré d’une camarilla de courtisans ambitieux et intrigants dont le plus audacieux, probablement grâce à des soutiens extérieurs, organisait un coup d’Etat et réussissait à le déposer sans effusion de sang.

 

 
Ce qu’on avait fini par lui reprocher? Son grand âge et sa lucidité intermittente et chancelante; pour preuve on avait invoqué ses sautes d’humeur le conduisant à entreprendre des remaniements ministériels successifs en l’espace de quelques jours, c’est du moins ce qui était communément admis : l’automne du patriarche, un entourage qui diffuse toutes sortes de rumeurs allègrement reprises par une opposition à l’affût et une vox populi avide de sensationnel et de sordide.

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Ben Ali, ministre de l’Intérieur, s’apprête à chasser Bourguiba du Palais de Carthage. 

Mais quelques voix s’élèveront plus tard contre une telle interprétation des faits, en particulier celle de l’un de ses médecins, le Professeur Amor Chadli, pour qui la lucidité de Bourguiba avait toujours été intacte, et qui attribuera la responsabilité du coup d’Etat à Ben Ali et à quelques uns de ses amis comme Hédi Baccouche, ou le ministre de la Santé qui se serait chargée de réunir et de convaincre le fameux staff médical chargé d’apporter l’habillage médical nécessaire à la légalisation du coup d’Etat; ainsi d’ailleurs qu’à la passivité de quelques membres de l’entourage de Bourguiba qui, tel Mezri Chekir, auraient su mais n’auraient pas réagi, ou n’y auraient pas accordé foi comme Amor Chadli lui-même.

Un coup d’état médico-légal

Mais il faut reconnaître que les thèses de Amor Chadli demeurent hypothétiques puisqu’elles n’ont pas été corroborées par d’autres témoignages, et lui-même, pourtant médecin, ne fournit aucun détail sur les circonstances exactes ayant conduit ses collègues à apporter leur caution à la destitution de l’ancien président; d’aucuns ont évoqué une réquisition nocturne des médecins conduits «manu militari» au ministère de l’Intérieur où ils auraient été sommés de signer un document déjà préparé.

Ce que l’on sait c’est que personne parmi les sommités médicales n’avait refusé de cosigner le fameux document et qu’aucune expertise n’avait été réalisée pour justifier du bien-fondé de la décision de destitution, ce qui soulève sur un plan professionnel la question du respect de la déontologie médicale. C’est ce qui avait évidemment conduit, plusieurs années plus tard, après la fuite de Ben Ali, l’avocat de la famille Bourguiba à porter plainte pour complot contre la sûreté de l’Etat, et violation de la déontologie médicale.

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Ben Ali rend visite à son « prisonnier ». 

La main de l’étranger

Dans tout cela il est néanmoins question d’une main étrangère, et il faut relever à ce propos la déclaration en 1999 de l’Amiral Fulvio Martini du Sismi, les services secrets militaires italiens, au journal ‘‘La Repubblica’’ évoquant des contacts dès 1985 de l’ancien président du conseil italien Bettino Craxi, qui s’était réfugié plus tard à Hammamet pour échapper à la justice de son pays, avec les Algériens, puis avec les Libyens, en vue du remplacement de Bourguiba par Ben Ali, l’Algérie et l’Italie craignant, en cas de changement politique majeur en Tunisie, des répercussions indésirables sur le gazoduc reliant ces deux pays à travers le nôtre; la présence de Hédi Baccouche, en tant qu’ambassadeur à Alger à cette époque, indiquerait donc de sa part une implication plus importante, en dépit de ses affirmations initiales signifiant qu’il n’aurait accepté de s’associer à Ben Ali que dans l’intérêt du pays après que ce dernier eût affirmé œuvrer pour l’instauration de la démocratie dans le pays, il a d’ailleurs reconnu que la fameuse déclaration du 7 Novembre avait été son œuvre.

En fin de compte, le coup d’Etat du 7-Novembre fut-il une entreprise bénéfique pour la Tunisie? Les avis sont évidemment partagés et largement influencés par les événements ultérieurs qui sont survenus dans le pays.

Ben Ali avait prétendu avoir pris de vitesse, de 24 heures, un coup d’Etat fomenté par des officiers islamistes, le fameux groupe dit Barraket Sahel dont les membres ont réclamé leur réhabilitation, depuis la révolution de janvier 2011, mais on n’en sait pas beaucoup plus.

Il avait également prétendu avoir épargné au pays une guerre civile qui aurait été déclenchée par l’exécution réclamée par Bourguiba de Rached Ghannouchi après la révision de son procès.

Il est certain qu’il est difficile d’imaginer ce qui aurait pu se passer et comment Bourguiba aurait pu quitter le pouvoir sans un coup de force. Il n’en demeure pas moins que les 23 ans de pouvoir de Ben Ali n’ont finalement rien résolu quant à la légitimité du pouvoir et la période de transition ayant fait suite à son départ a laissé un vide politique qui a été dangereusement comblé et qui a même aggravé une situation économique déjà fort préoccupante, dont le pays n’émerge toujours pas.

Et les médecins dans tout ça

Mais pour en revenir à la fameuse journée du 7 novembre 1987, l’aspect le moins glorieux en a été la caution unanime apportée par un groupe d’éminents médecins à un coup d’Etat alors que leur devoir eût été en particulier pour ceux parmi eux qui en avaient été les médecins traitants, de s’impliquer d’autant moins contre les intérêts de leur patient finalement relégué dans une résidence surveillée, que l’affaire relevait d’un changement politique usant de la force armée . C’est d’autant plus regrettable qu’en 1971, lors du coup d’Etat de Skhirat, au Maroc, Henri Dubois-Roquebert et Jean Himbert, deux éminents médecins français, n’avaient pas hésité à payer de leurs propres vies, les soins que dans un pays étranger et dans une période critique, ils avaient dû apporter aux blessés pour tenter de sauvegarder la vie humaine .

Tous les médecins ne sont finalement pas faits de l’étoffe des héros.

* Cardiologue, Gammarth La Marsa.

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