Dans cette pièce, Hiam Abbas incarne le rôle de Nour, une prostituée quinquagénaire, d’un pays nord-africain, au lendemain du dit «Printemps arabe».
Par Fawz Ben Ali
Donnée samedi dernier à l’espace Mad’art à Carthage, dans le cadre des Journées théâtrales de Carthage (JTC 2016), la pièce ‘‘In the eyes of heaven’’ (Dans les yeux du ciel) est une production belgo-palestinienne adaptée du texte éponyme de l’islamologue et politologue franco-marocain Rachid Benzine, qui s’est lancé, à travers cette pièce, un double défi : écrire pour la première fois pour le théâtre et se mettre dans la peau d’une femme et parler en son nom.
Une prostituée dans le tourment de la grande histoire
Ce monodrame, mis en scène par Ruud Gielens, est joué par l’actrice aux multiples facettes et identités Hiam Abbas, connue par le grand public par le biais du 7e art grâce à des rôles clés comme dans ‘‘Satin rouge’’, ‘‘Paradise now’’, ‘‘Les citronniers’’…
Dans ‘‘In the eyes of heaven’’, elle incarne le rôle de Nour, une prostituée quinquagénaire, d’un pays nord-africain, au lendemain du dit «Printemps arabe». Comme sa mère, Nour s’est donnée à la prostitution par nécessité, mais assume pleinement ce choix, car, se livrer aux désirs des hommes est sa seule alternative de survie. Ce «travail», qu’elle a hérité de sa mère et dont elle veut à tout prix épargner sa fille, lui a permis de mieux comprendre la société et ses hommes.
Hiam Abbas dans le rôle de Nour, une prostituée quinquagénaire, d’un pays nord-africain.
Hiam Abbas arrive sur les planches avec toute l’aisance qu’on lui a connue au grand écran. Une robe rouge, les cheveux attachés, elle allume une cigarette et nous introduit déjà dans le quotidien de ce personnage. Elle nous dresse le portrait de ses clients qui viennent de tout bord, il y a le gouverneur, le nouveau riche, le journaliste et même le fanatique religieux ou le vieux «pieux» avec la marque de la prière sur le front. «Les visages changent, mais les manières restent les mêmes», dit-elle.
Sa petite histoire est prise dans le tourment de la grande histoire, celle des révolutions arabes et ces rencontres l’amènent à parler de l’absurdité des croyances politiques et religieuses et des contradictions qu’elles entraînent dans les sociétés arabes.
Plaidoyer pour le droit d’être libre
Selon Nour, la révolution politique doit nécessairement passer par une révolution du corps et de l’esprit, «Le vrai changement vient des racines». Elle nous parle des minorités et des sans-voix et invoque, tout au long de la pièce, son ami et confident de toujours Slimane, un jeune bloggeur homosexuel qui croit fort en la révolution malgré l’oppression et l’antipathie qu’il subit quotidiennement. «Pourquoi ne peut-on pas s’aimer au soleil ?», s’interroge-t-il.
Le procès de l’islam politique par une femme qui en a vu passer des hommes.
La pièce est en effet un plaidoyer pour le droit d’être libre, différent et de s’approprier son corps dans une société qui écrase les passions et les désirs, surtout avec la montée de l’islam politique. «Où règne la religion s’évapore la liberté», affirme-t-elle. Mais Nour, qui se considère comme une femme spirituelle, va encore plus loin dans son observation, et s’adresse directement à Dieu pour le questionner et contester les fondements de l’islam, qu’elle trouve injustes et insensés, comme l’hiérarchisation entre le divin et l’humain ou l’homme et la femme. Des mots percutants qui risquent de déranger «les défenseurs du sacré».
Dans un décor très minimaliste et sans fond sonore, ‘‘In the eyes of heaven’’ tient sa force avant tout d’un texte qui respire la liberté et qui décompose intelligemment les sociétés arabes pour pointer ses maux sans ambages ni détours.
Hiam Abbas, toujours généreuse en émotions, a su remplir à elle seule la grande scène et à combler un public très averti.
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