Passation, aujourd’hui, vendredi 20 janvier, entre Barack Obama et Donald Trump.
Le bilan de la politique américaine au Moyen-Orient sous le double mandat de Barack Obama est peut-être moins mitigé qu’il n’y paraît. Finalement, on a évité le pire.
Par Roland Lombardi *
Les dernières actualités au Moyen-Orient, comme notamment le cessez-le-feu russo-turc de décembre dernier en Syrie, qui, au passage, semble se révéler être un tournant majeur de la guerre civile syrienne et qui, surtout, est parrainé par la Russie et la Turquie, confirment clairement la mise hors-jeu de l’Europe (et notamment de la France) mais aussi de l’Onu.
En ce qui concerne les Etats-Unis, c’est peut-être moins évident que cela. Par exemple, concernant l’initiative de Moscou et Ankara en Syrie, certes, les Américains ont été écartés (ils se sont d’ailleurs eux-mêmes mis en retrait sur le dossier syrien ces derniers mois) des négociations, mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, Washington a sûrement mais discrètement été informé, d’une manière ou d’une autre, des grandes lignes de ce nouvel accord.
D’abord par la Turquie, toujours membre important de l’Otan, mais aussi par la Russie, qui malgré toutes les apparences, discute toujours de la région avec les Etats-Unis (notamment les militaires des deux nations) et qui souhaite, également, démontrer sa bonne volonté quant à une future coopération pour combattre le terrorisme et l’islam radical dans la région.
Obama a tenu sa promesse de mettre fin au déploiement américains en Irak.
Obama a respecté la plupart de ses promesses
Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’au Proche et Moyen-Orient, comme en Europe d’ailleurs, les Etats-Unis semblent s’être progressivement désengagés de ces régions. En ces temps de fin de règne, les détracteurs d’Obama déplorent qu’en matière de politique étrangère, le président américain sortant se soit contenté, durant ses deux mandats, de réagir timidement aux événements, au lieu d’adopter une stratégie beaucoup plus proactive.
C’est cette relative «passivité» et ses retenues qui lui sont reprochées. Certains évoquent même un bilan pitoyable vu que l’Amérique paraît avoir reculé sur tous les fronts.
Pour ma part, même si par le passé j’ai souvent critiqué le président américain, tout compte fait, je dirais que ce bilan est finalement mitigé et moins négatif qu’on pourrait le croire.
D’abord, car Obama a, au final, respecté tant bien que mal la plupart de ses promesses électorales de 2007, comme le retrait stratégique du Moyen-Orient (grâce à l’indépendance énergétique américaine), en mettant fin aux opérations en Irak et en Afghanistan mais tout en poursuivant la lutte contre le terrorisme, le rééquilibrage de la présence militaire et l’investissement stratégique américain en Europe et au Moyen-Orient au profit de l’Asie-Pacifique («pivot vers l’Asie») et enfin, la fin des antagonismes avec les «adversaires» et les «ennemis» du passé («reset»).
Et en effet, il faut rappeler qu’en 2015, Obama a conclu d’importants accords commerciaux en Asie et négocié notamment un grand traité de libre-échange, le Partenariat trans-pacifique (TPP), avec Brunei, le Japon, le Vietnam, la Malaisie, Singapour, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Chili, le Pérou, le Mexique et le Canada (la Chine étant exclue bien sûr). Ce traité couvre 40% de l’économie mondiale.
Obama a également normalisé les relations avec Cuba (2014) et, surtout, signé, en juillet 2015, l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien qui est en train d’«ouvrir» l’Etat phare du chiisme et la puissance émergente du Moyen-Orient. Ceci, tout en accordant une aide militaire record de 38 milliards de dollars à l’Etat hébreu…
Les ratés de la politique des «reset»
Seul bémol dans la politique des «reset», c’est qu’avec la Russie, ça n’a pas abouti… Loin de là ! Il suffit pour cela de se remémorer l’expulsion du territoire américain, à la fin de l’année 2016, des 35 diplomates russes faisant suite aux récentes et quasi hystériques accusations de la part de l’administration démocrate sortante à propos de l’espionnage et de l’ingérence russes dans la politique étasunienne.
Obama au Caire en juin 2009: la paix promise au Proche-Orient est renvoyée aux calendes israéliennes.
L’autre déception concerne la paix promise, notamment lors du célèbre discours du Caire de juin 2009, au Moyen-Orient et notamment entre Israéliens et Palestiniens. Le statut quo dans le dossier israélo-palestinien durant huit années et l’affaire de la dernière résolution onusienne contre Israël, où les Etats-Unis se sont spectaculairement abstenus (mais qui, là encore, n’aura aucune incidence majeure pour l’avenir) en sont la triste illustration…
Certes, l’élimination au Pakistan du chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, en mai 2011, est l’un des succès du président américain. Par ailleurs, l’administration Obama a intensifié sa lutte contre le terrorisme en privilégiant le renseignement, les forces spéciales et les drones (51 frappes par des drones sous Bush et plus de 500 sous Obama). Mais en Irak et en Afghanistan, il s’est avéré que le retrait militaire de la région a peut-être été prématuré. Et effectivement, Obama a été obligé de renforcer les troupes américaines en Irak (surtout des forces spéciales) et de plus, relancer des frappes aériennes contre l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech) en Syrie et en Irak depuis septembre 2014.
Obama suit les péripéties du meurtre de Ben Laden en mai 2011.
Toutefois, beaucoup reprochent encore à Obama, l’absence de réaction lorsque la ligne rouge des armes chimiques a été franchie en août 2013. Mais peut-on réellement le blâmer? A l’inverse de l’inconséquent président français qui était alors prêt à en découdre (et qui fut encore pitoyablement humilié par la suite), peut-être que le locataire de la Maison Blanche, devant aussi le désistement des Britanniques, a préféré, à une intervention aux conséquences incontrôlables, une négociation avec les Russes et ce pour une issue beaucoup plus raisonnable.
Ce sursaut de réalisme salvateur du président américain était peut-être aussi dû à quatre principales raisons.
D’abord, les Américains, excédés de se faire manœuvrer, ne souhaitaient pas se lancer une nouvelle fois dans une aventure si hasardeuse, puisque leurs services de renseignement n’étaient pas aussi certains, à l’inverse des médias et de certains responsables politiques, quant aux seules et uniques responsabilités du régime de Damas dans l’utilisation d’armes chimiques…
Ensuite, il y avait le souvenir du désastreux épisode libyen, avec une intervention (où il avait suivi Cameron et Sarkozy) qui fut dramatique pour la Libye et aussi traumatisante pour les Etats-Unis. Car, on a oublié cet événement, mais l’ambassadeur américain à Benghazi, Chris Stevens, avait été assassiné en septembre 2012.
Enfin, sa méfiance vis-à-vis de l’Arabie saoudite et surtout, les premiers rapports alarmistes du Pentagone, faisant état de l’inéluctable échec de leur soutien aux rebelles syriens, ont, en l’occurrence et sans aucun doute, fini de refroidir le président Obama. Par exemple, la CIA avait prévu d’organiser, de former et d’armer une unité de 5 000 rebelles «modérés». Elle n’a pu en recruter qu’une centaine qui, pour une part, se sont fait tuer, et pour l’autre, sont passés avec armes et bagages chez les jihadistes!
Certes, les intelligentsias occidentales ont beaucoup critiqué la «passivité» et la politique mesurée d’Obama en Syrie (comme en Ukraine). C’est vrai que nos belles âmes va-t-en-guerre sont toujours très courageuses… mais avec le sang des autres! Le prix Nobel de la paix de 2009 a, quant à lui, choisi la prudence et c’est tout à son honneur. Plus qu’ailleurs, en politique internationale, mieux vaut souvent ne rien faire que faire n’importe quoi !
Je pense que l’Histoire nous dira peut-être que le président Obama a résisté, tant bien que mal, durant ses mandats, aux influences néfastes et aux diverses pressions.
Pressions des différents lobbies (notamment anti-Russes, pro-Saoudiens…), de certains stratèges et responsables de la CIA, encore bloqués sur les vieux logiciels de la Guerre Froide et «de la carte islamiste», et enfin, des dangereux idéologues de son parti et de son administration.
Ainsi, Barack Obama n’aura pas seulement juste été qu’un simple «extraordinaire communicant au charisme ravageur», comme je l’ai souvent moi-même décrit. En définitive, il nous a sûrement évité le pire !
La fin de la puissance américaine ?
A mon sens et comme je l’évoquais précédemment, les «erreurs» et surtout les tergiversations et les hésitations comme la grande prudence d’Obama auront au moins évité une dégradation encore plus catastrophique de la situation au Moyen-Orient comme en Europe (Ukraine).
Pour autant, il ne faut pas se leurrer, les Etats-Unis demeurent encore et toujours LA seule superpuissance planétaire, à la fois sur le plan culturel, technologique, financier, économique (le taux de croissance est le plus élevé de tous les Etats occidentaux) et par-dessus tout stratégique et militaire (le budget de sa défense est égal aux dépenses de défense des sept pays qui le suivent).
De fait, donc, les Etats-Unis seront toujours respectés et surtout, écoutés. Ils restent le centre et le leader du monde occidental libéral. Reste à savoir comment sera utilisée cette puissance, toujours d’actualité je le rappelle, par la nouvelle administration Trump.
Un futur nouvel ordre mondial sans un leadership américain est-il plus dangereux ?
C’est peu probable. Même si le candidat Trump a appelé durant sa campagne à plus d’isolationnisme et au désengagement de l’Amérique face par exemple aux «coûts exorbitants» de l’alliance transatlantique ou de la présence américaine au Moyen-Orient, les Etats-Unis ne pourront totalement abandonner leur leadership. Tout simplement car l’Europe et le Moyen-Orient sont les bases du pivot tant souhaité vers l’Asie. Ce qui nécessite donc leur stabilité, tout comme des relations apaisées entre l’Occident et la Russie.
Ainsi, si l’ancien homme d’affaires pragmatique Trump tient ses promesses, notamment sur un éventuel rapprochement avec la Russie, et qu’il fonde effectivement sa future politique étrangère sur le réalisme, il y a un certain espoir… En tout cas, avec les dernières nominations aux futurs postes clés de son administration, d’hommes d’expérience (Mike Pompeo à la CIA), compétents (les généraux Flynn et Mattis, respectivement à la Sécurité nationale et à la Défense) et surtout rationnels (Tillerson au secrétariat d’Etat), parfois en désaccord entre eux (sur l’Iran notamment) mais aussi amis de la Russie, ce qui ne gâche rien, Trump peut ouvrir, n’en déplaise à ses détracteurs, des perspectives prometteuses…
* Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse de JFC Conseil.
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