De Washington à Paris, la mobilisation contre Donald Trump le nouveau président des Etats-Unis prend des allures d’une révolte des peuples, d’un «printemps occidental».
Par Habib Trabelsi, notre correspondant à Paris
«Nous, les peuples… nous devons opposer à la culture de la guerre la culture de la paix. La culture de la paix a besoin de la femme longtemps soumise. Le cyberespace nous offre la liberté de la parole. Il faut oser parler, s’exprimer, faire pression, agir. Aujourd’hui plus que jamais à cause de M. Trump», a claironné Federico Mayor, président de la Fondation Culture de Paix et ex-directeur général de l’Unesco.
Federico Mayor.
S’exprimant à la veille de l’investiture du Donald Trump, lors de sa première conférence à l’Unesco, depuis la fin de son mandat (1987 à 1999) à la tête de cette organisation internationale, le chantre indiscutable et incessant de la «Culture de la Paix» a souligné l’urgence d’une «refonte des Nations-Unies» et de la mise en place d’«une organisation démocratique multilatérale, d’une gouvernance démocratique mondiale pour faire respecter les droits de l’Homme ».
L’homme de science, le poète et ancien ministre et diplomate espagnol a surtout lancé une mobilisation planétaire contre l’ordre mondial post-1945 et contre le 45e président américain.
Appel à la mobilisation citoyenne
«Nous, les peuples, pendant des siècles, nous avions peur. Maintenant nous sommes libérés de la peur. Grâce à la révolution de la technologie digitale, nous devenons des citoyens du monde. Nous devons profiter de l’immense pouvoir médiatique pour opposer à la culture de la guerre la culture de la parole, de la pensée, de l’imagination, de la création. Nous en avons les repères éthiques dans le préambule de l’Unesco. Nous devons être libres et responsables», a-t-il dit.
«Chaque jour, nous investissons quatre milliards de dollars dans l’armement, dans la guerre… Et nous sommes incapables d’avoir un peu d’argent pour les migrants ! Et l’aide pour le développement a pratiquement disparu… Le bilan de cette ‘‘civilisation du progrès’’ est désastreux!», a tempêté M. Mayor lors d’une longue allocution plusieurs fois accueillie par de longues et chaleureuses ovations d’un auditoire nombreux et trié sur le volet.
«Vous savez ce que cela signifie vivre pendant 60 ans dans un camp de concentration! Comment peut-on accepter que des Palestiniens passent toute leur vie à attendre? Ce qui se passe aux Nations-Unies est absolument honteux! Les Nations-Unies doivent reconnaître l’Etat de Palestine. Nous les peuples, nous devons agir pour faire disparaître le droit de veto. La différence entre vote et veto c’est la différence entre démocratie et absolutisme», a-t-il poursuivi.
«Nous peuples, nous sommes en train de vivre des situations irréversibles. C’est le destin de toute l’humanité qui est en danger. Il faut donc agir aujourd’hui. Demain, ce sera peut-être trop tard. Nous pouvons mobiliser des millions et des millions (…) Nelson Mandela, que j’ai eu la chance de connaître grâce à cette organisation, m’a dit que la culture de la paix a besoin de la femme. Les femmes utilisent exceptionnellement la force, les hommes ne l’utilisent pas… qu’exceptionnellement», a-t-il ironisé avant d’appeler à une mobilisation générale contre M. Trump: «On dit très souvent qu’il faut entendre la voix de ceux qui se sont exprimés dans les urnes. Faites attention ! Après avoir eu l’honneur d’être pendant deux ans à la tête de cette organisation, je peux vous dire que mon innocence a disparu. Les élections sont manœuvrées.. Tout est payé. Tout est préparé d’avance. Aujourd’hui, s’il y a un ‘Non’ qu’il faut prononcer c’est le ‘Non’ à M. Trump ! J’espère donc qu’il ne mettra pas ses menaces, à exécution parce que le monde entier en subira les conséquences… Nous, peuples, nous devons lui dire que nous ferons tout notre possible pour qu’il ne mette pas en danger le monde entier ».
Interrogé en aparté par Kapitalis sur le «Printemps arabe», M. Mayor s’est borné à redire qu’il faudrait «refonder les Nations-Unies pour éviter ce qui s’est passé pour le Printemps arabe», ajoutant que «les intellectuels doivent être l’avant-garde de la mobilisation, en s’inspirant de la Constitution de l’Unesco».
«We the People» fait tache d’huile
L’appel de cet homme charismatique, conjugué surtout avec ceux lancés par une grand-mère de Hawaï, Teresa Shook, et d’une femme d’affaires de New York, Bob Bland – qui ont appelé leurs «sœurs» à protester contre le nouveau président et qui ont enflammé les réseaux sociaux – ont fait sortir dans les rues des millions de manifestants dans 400 villes américaines et dans 70 pays. Et des protestations se sont aussi tenues à Paris.
Dans la forêt de pancartes et banderoles brandies samedi dernier par les manifestants anti-Trump, figuraient en bonne place des affiches conçues par l’artiste américain Shepard Fairey et le slogan «Nous, les peuples», cher à Federico Mayor.
Le pendant parisien de la «Women’s March», à l’appel du collectif américain pour dénoncer le «Trumpisme», a réuni 7.000 personnes, selon les organisateurs, et mobilisé des associations féministes, des expatriés américains, des militants du Parti démocrate.
Ambiance de kermesse aux bonnets roses
Les marcheurs ont battu le pavé du Parvis des droits de l’Homme, sur l’esplanade du Trocadéro, au Mur pour la Paix, sur le Champ-de-Mars, près de la Tour Eiffel, dans une ambiance de kermesse aux côtés de femmes coiffées de «pussy hats» (bonnets roses de laine à oreilles de chat), une allusion à une confidence scabreuse de Donald Trump à un ami, fixée sur vidéo en 2005, et ressortie par la campagne Clinton, dans laquelle il parlait d’attraper les femmes par leur «pussy» (mot familier désignant le sexe féminin) pour les séduire.
«Je me bats depuis toujours pour l’Environnement, la Paix dans le monde, les droits des peuples, et particulièrement les droits des femmes bafoués depuis des siècles partout sur la planète», a déclaré à Kapitalis Jean-Baptiste Reddé, qui se fait appeler Voltuan et se dit «activiste international et poète». «L’homme à la pancarte et aux mille manifs», comme le désigne la presse locale, écume les manifestations depuis quinze ans, un sac bigarré au dos et un masque des pirates informatiques Anonymous sur la tête. «Il est temps que ça change… Aujourd’hui plus que jamais… Trump partira… C’est l’effet papillon. Je crois au pouvoir du cyberespace et de l’Amour», a-t-il débité avant de reprendre ses harangues, toujours en portant la pancarte géante à bout de bras.
«Toutes opprimées, toutes révoltées, toutes unies pour résister !», « So… So… Solidarité, avec les femmes du monde entier!», «Make love, not war» et mille autres slogans, souvent en anglais, scandés par une foule. Un bain de foule multinationale.
«Trump people» français et européens aux anges.
Ignorant superbement la mobilisation monstre aux Etats-Unis et l’hostilité mondiale à son égard, Donald Trump a donné l’ordre par décret, dès son arrivée à la Maison Blanche, d’alléger les réglementations liées à l’extension de la couverture santé (l’Affordable Care Act ou «Obamacare»), la réforme la plus emblématique de la présidence de Barack Obama. La «tabula rasa» ne fait que commencer. Car, selon lui, «le 20 janvier 2017 demeurera dans les mémoires comme le jour où le peuple aura repris le pouvoir. Le pouvoir sera déplacé de Washington et rendu au peuple des États-Unis. Toutes les décisions en matière de commerce, de taxes, d’immigration ou d’affaires étrangères seront prises au profit des travailleurs américains et des familles américaines. L’Amérique sera uniquement ‘‘les États-Unis d’abord’’…».
C’est «le Trumpisme, un mélange toxique de suprémacisme blanc, de misogynie, de xénophobie, de militarisme et de régime oligarchique», honni par ses détracteurs et béni par les «Trump people» français et européens.
Habib Trabelsi, notre correspondant à Paris.
Ainsi, une soirée de gala en l’honneur du nouveau président américain a réuni dans un hôtel de luxe à Paris plusieurs dizaines de «Trumpistes», dont le maire de Béziers Robert Ménard et le député européen Bruno Gollnisch.
Et des populistes européens se réclamant de Donald Trump – dont la Française Marine Le Pen, présidente du Front national et le Néerlandais Geert Wilders, président du PVV – ont fêté samedi à Coblence (Allemagne) l’investiture de leur coqueluche et… juré de s’inscrire dans son sillage.
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