Plaidoyer pour une refondation des relations arabo-européennes en vue d’un nouveau «vivre ensemble» et d’un espace commun.
Par Miguel Angel Moratinos * et Dr Horst-Wolfram Kerll **
De nombreux citoyens arabes s’interrogent sur leur devenir. Les soulèvements de 2011 ont suscité de nombreuses aspirations qui n’ont pas été satisfaites même si les acquis sont indéniables, notamment dans certains pays, sur le plan institutionnel et en matière de liberté d’expression. Mais l’absence de résultats économiques, l’aggravation de l’endettement et du chômage, les coûts faramineux de la lutte contre l’insécurité font peser de lourdes incertitudes sur leur avenir. L’accroissement des inégalités et l’absence d’espoir chez une part croissante de la population de moins en moins disposée à faire crédit à des élites, qui donnent l’impression de se consacrer essentiellement à la défense de leurs privilèges, contribue à renforcer la montée des revendications fondamentalistes et extrémistes.
Les Européens sont dans le désarroi. Les vagues successives d’immigrés suscitent de fortes appréhensions, accrues encore par les menaces persistantes d’attentats. Les gouvernements sont en état d’alerte. Ce contexte favorise évidemment l’accès au pouvoir de leaders populistes d’autant que la montée de ces nouveaux leaders s’inscrit dans un climat économique défavorable amplifié par la peur de l’islam qui serait de nature à menacer les valeurs traditionnelles de l’Europe.
Il serait grave de sous-estimer les conséquences de ce double constat. Le plus inquiétant serait de ne rien faire, considérant que le pire n’est pas certain.
L’Europe et le monde arabe ont besoin l’un de l’autre
L’Europe et le monde arabe pourraient gérer chacun de leur côté leurs problèmes s’ils n’étaient pas intimement liés. En faits, ils le sont. Ils ont besoin l’un de l’autre pour s’extraire d’une situation délétère qui les menace dangereusement.
Dans le monde arabe, avec le péril que font peser les fondamentalistes religieux sur la modernisation de leur pays, et dans les pays d’Europe, à travers la montée des populismes susceptible d’ébranler leur assise démocratique.
Les poussées extrémistes autour de la Méditerranée ne sont pas pure coïncidence. Elles se nourrissent de l’anxiété générée par la détérioration de la situation politique et économique et par la «menace migratoire» (tant au Sud à travers l’émigration qu’au Nord avec l’immigration) habilement récupérée par les partis extrémistes qui entretiennent avec constance ces frustrations pour s’emparer du pouvoir. Leurs démarches sont facilitées par l’absence de réactions adéquates et coordonnées des acteurs gouvernementaux. Désorientés par des scénarios qu’ils n’ont su ni prévoir, ni prévenir, les gouvernements européens et arabes sont réduits désormais à opter entre deux attitudes.
La première est de rester dans l’atermoiement avec les risques pour certains pays de s’enfoncer dans un marasme politique, économique et social et, pour d’autres, d’une alternance populiste ou fondamentaliste de nature à entraîner des dérives autoritaires, voire totalitaires.
La seconde consiste au contraire à relever les défis et à mettre en œuvre, dans une vision commune et partagée, des initiatives propres à promouvoir un climat de coopération favorable à un développement politique, économique, social et culturel pour contrer les discours haineux des milieux extrémistes et pour préserver la paix sociale.
Cette seconde option est notre meilleure chance de conduire nos sociétés, autour de la Méditerranée, vers une nouvelle prospérité et une paix sociale durable en évitant un nouveau cycle de violences et de haines destructrices. Elle implique une forte détermination politique et la volonté d’agir en prenant acte des aspirations des peuples.
Vers un nouveau partenariat euro-méditerranéen-arabe
Dès l’Antiquité, les peuples de l’espace méditerranéen partagent un destin tissé d’innombrables conflits et d’échanges qui ont façonné leur identité. C’est sur ce socle et ces richesses qu’il faut entamer un dialogue et engager une nouvelle coopération.
Mais cette force et cette conscience d’un «agir-ensemble» ne peuvent s’exprimer qu’à travers une mobilisation de la société civile. Elle doit en être le moteur et en garantir à la fois la légitimité et la pérennité. On ne peut attendre que seuls les gouvernements, déjà ébranlés par une situation politique et économique qui leur échappe entreprennent une telle démarche.
Ce n’est pas non plus avec des actions disparates dans différentes régions du monde arabe ou des prêts financiers que les pays européens parviendront à insuffler un nouvel élan de solidarité qui manque si cruellement dans les relations méditerranéennes et euro-arabes.
Après plusieurs tentatives d’accords, il faut oser une grande ambition à la hauteur des menaces que les antagonismes actuels font peser sur le destin des citoyens de toute cette région.
C’est dans ce contexte qu’une Fondation pour la promotion du dialogue méditerranéen et euro-arabe/FDMEA a été créée en 2013 et qu’un appel a été lancé, en mai 2016, par diverses personnalités du monde euro-arabe, dans le but de lancer une initiative pour un nouveau Partenariat euro-méditerranéen-arabe de coopération et de sécurité (Pemacs).
Cette initiative est articulée autour d’un «Partenariat académique» ouvert aux institutions universitaires de tout l’espace méditerranéen et euro-arabe et d’une «Commission politique» composée d’une quinzaine de personnalités politiques.
Le «Partenariat académique» a pour tâche de consulter la société civile méditerranéenne et euro-arabe et de l’engager à formuler ses aspirations dans un ‘‘Livre blanc’’ pour promouvoir un «agir ensemble» qui motive l’ensemble de ses concitoyens.
La «Commission politique» veille pour sa part à engager les gouvernements à conclure sur la base des propositions du ‘‘Livre blanc’’ les accords nécessaires pour donner vie et crédibilité à cet espace commun.
Respect de l’altérité et des minorités et rejet des préjugés
La démarche s’étend sur plusieurs années car sa réussite nécessite l’apprentissage par les acteurs de la société civile du respect de l’altérité et des minorités et du rejet des préjugés. Ce n’est qu’au terme de cette catharsis qu’il sera possible d’entrevoir un avenir commun. Tout au long de ce processus les intellectuels et l’ensemble des acteurs culturels, nourris de l’héritage méditerranéen, ont une immense responsabilité. Ils sont les mieux outillés pour porter cette ambition. Cette démarche doit être épaulée par une mobilisation des jeunes, à travers les réseaux sociaux, car leur avenir est en jeu. Les entrepreneurs, du moins ceux qui sont mus par un sens éthique, ne peuvent se dérober à cet effort et doivent conjuguer leurs efforts avec ceux des acteurs de la société civile et des partenaires académiques pour répondre aux attentes d’une plus grande prospérité partagée dans l’espace méditerranéen et euro-arabe.
Quant aux gouvernements, ils doivent assurer que cette consultation de la société civile aboutisse dans les meilleurs délais et avec la plus grande efficacité à des propositions concrètes sous la forme d’un ‘‘Livre blanc’’ qui servira de fondement à un futur accord méditerranéen et euro-arabe de coopération. C’est le prix à payer pour éviter de fatales dérives politiques qui n’ont jamais été aussi menaçantes.
Madrid/Berlin 21 janvier 2017
* Ancien ministre espagnol des Affaires étrangère, président de la Commission politique Pemacs.
** Ancien ambassadeur d’Allemagne (2007-20012 à Tunis), vice-président de la FDMEA.
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