Le père d’Anis Amri, auteur de l’attentat de Berlin, tenant le portrait de son fils.
Berlin souhaite persuader Tunis d’accueillir ses citoyens dont la demande d’asile a été rejetée, à un moment où plusieurs Tunisiens craignent le retour des jeunes radicalisés.
Par Karin Finkenzeller et Christian Ramthun *
La banderole sur laquelle on pouvait lire “Angela Merkel! Tunesien ist nicht die abfall von Deutschland” («La Tunisie n’est pas un dépotoir de l’Allemagne ») s’étalait sur toute la voie de droite de l’avenue Habib Bourguiba, au centre de la capitale Tunis (lors d’une manifestation antiterroriste du 8 décembre 2016, Ndlr).
Sous la pression de la rue tunisienne
Le message, ainsi exprimé, est clair: plusieurs milliers de Tunisiens en colère craignent que leur gouvernement ne cède à la pression allemande et qu’il accepte les expulsions en masse de citoyens tunisiens déclarés indésirables par l’Allemagne vers leur pays d’origine.
Les manifestants redoutent que leur république, déjà assez fragilisée, succombe à une instabilité encore plus profonde, si les demandeurs d’asile tunisiens dont la candidature a été rejetée retournent au pays frustrés et deviennent plus réceptifs à la propagande de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (EI, Daêch) et autres groupes extrémistes.
Mais le gouvernement allemand n’est pas disposé de prendre ces craintes tunisiennes en considération, surtout au lendemain de l’attaque au camion-bélier contre le marché de Noël de Berlin, (le 19 décembre 2016, ndlr) qui a coûté la vie à 14 personnes et dont l’auteur était un citoyen tunisien auquel les autorités allemandes ont refusé le statut d’exilé politique.
Thomas de Maizière, le ministre allemand chrétien-démocrate de l’Intérieur, souhaite renégocier les accords de rapatriement dans leur totalité. Thomas Oppermann, chef du groupe parlementaire de l’Union démocratique chrétienne (CDU), menace que, s’il le faut, «des sanctions économiques ne devraient pas être exclues, non plus», de façon à convaincre des pays comme la Tunisie à opter pour la coopération sur cette question.
Mais cette position rigide fait face à une opposition forte dirigée par nul autre que Gerd Müller, membre de l’Union sociale chrétienne (CSU), le parti frère bavarois de la CDU. En tant ministre de la Coopération économique et du Développement, Müller a une tout autre vision des pays d’Afrique du nord: «Nous avons besoin d’une stabilisation économique. Personne ici, en Allemagne, ne tirerait le moindre profit si ces pays venaient à s’écrouler et que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants se dirigeaient vers l’Europe.»
Depuis quelque temps déjà, Gerd Müller planche sur l’idée d’un Plan Afrique qui – à l’instar du Plan Marshall qui a porté assistance à l’Europe, au lendemain de la 2e Guerre mondiale – fournirait à ces pays de la région d’Afrique du Nord des aides dans leurs projets éducatifs et d’infrastructure et sous forme d’investissements.
Pour l’avenir, M. Müller envisagerait même un élargissement de la zone économique européenne: «Nous devrions raisonner et travailler sur le long terme afin d’établir une zone de libre-échange à laquelle l’Afrique du nord – autant que certains pays du Moyen Orient – aura accès.» A court terme, il prône l’adoption d’un «impôt-développement» destiné à promouvoir l’investissement allemand dans le monde en développement, par le biais d’exonérations fiscales plus rapides…
Un Plan Afrique vs un Contrat avec l’Afrique
Sauf que le ministre CSU rencontre la forte résistance du ministre des Finances Wolfgang Schäuble, membre de la CDU, selon lequel ces incitations fiscales pour la promotion de l’investissement des pays industrialisés, «se fondant sur des expériences antérieures, sont loin de faire l’unanimité quant à leur efficacité – et du point de vue du ministère des Finances, elles sont négatives.»
Au lieu du Plan Afrique, proposé par son collègue de la Coopération économique, Schäuble suggère un «Contrat avec l’Afrique», un plan élaboré expressément pour la présidence allemande du sommet du G20, en 2017 (les 7-8 juillet, à Hambourg, ndlr). L’idée de Schäuble consiste notamment à assigner au Fond monétaire international et à la Banque mondiale un rôle important, particulièrement dans l’application des réformes structurelles.
La grande divergence entre les plans de ces deux hommes, c’est que Schäuble souhaite exiger des pays nord-africains qu’ils fassent plus d’efforts en matière de réformes.
Le désaccord entre les deux ministres n’est cependant pas définitif: la communication se poursuit afin de trouver un terrain d’entente entre les deux départements. (…)
Pourtant, le temps presse – surtout en Tunisie. Les jeunes, en particulier, auxquels la Révolution arabe a accordé des droits civils mais, jusqu’ici, aucun emploi rémunéré, pourraient être tentés de prêter une oreille attentive à l’idéologie radicale. Salwa Hamrouni, professeure de droit à l’Université de Tunis, met en garde: «Déjà, actuellement, la Tunisie est aux prises des difficultés sécuritaires qui sont, dans une très large mesure, la conséquence de l’ouverture de nos frontières aux réfugiés libyens, au lendemain de la révolution de 2011.»
«Cet afflux massif et non contrôlé a permis à plusieurs mercenaires et terroristes d’entrer en Tunisie», déplore Mme Hamrouni.
De l’avis d’un nombre important de Tunisiens, toute personne rapatriée, indépendamment du lieu d’où elle peut revenir, est un terroriste potentiel qui devrait être déchue de sa nationalité. Ainsi, il devient clair que l’espoir est minime pour le gouvernement allemand de pouvoir convaincre le premier ministre tunisien Youssef Chahed qui sera à Berlin, fin janvier. Le chef du gouvernement tunisien a à l’esprit, en tout premier lieu, l’humeur de son électorat. Et les susceptibilités allemandes ne viennent qu’en second lieu.
Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla
*Cet article de Karin Finkenzeller et Christian Ramthun est d’abord paru dans WirtschaftsWoche, une publication sœur d’Handelsblatt.
** Les titre et intertitres sont de la rédaction.
Source : ‘‘Global Handelsblatt’’.
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