Que penser du philosémitisme soudain d’une certaine élite tunisienne, qui se traduit par une haine des sous-développés : les noirs, les Arabes et les musulmans ?
Par Dr Mounir Hanablia *
Malamour des Juifs? Une députée de la nation a publiquement utilisé une expression insultante et malheureusement usitée à l’encontre d’une communauté religieuse de notre pays. Cette expression a été en fait utilisée probablement comme jugement de valeur, dans un contexte qui n’avait rien à voir avec la communauté juive en question, puisque c’est bien de cette dernière qu’il s’agit. Un jugement de valeur dont personne ne contestera le caractère dépréciatif.
Le parangon de l’antiracisme
Que la députée eût gagné à utiliser un langage plus en conformité avec la dignité de sa mission, personne n’en disconviendra. Ce qui est toutefois surprenant, c’est le tollé que l’usage de cette expression ait soulevé chez certains, bien que la députée en question eût présenté ses excuses.
Antisémite, ignorante , arabe, adepte de l’islam, arriérée, toutes les expressions utilisées par les tenants autoproclamés de plein droit de la culture globale dominante à l’encontre du parent pauvre issu de la campagne, pour lui exprimer leur mépris, tout y est passé.
Les bien-pensants constitueraient-ils le parangon de l’antiracisme, de la promotion duquel ils feraient désormais leur point d’honneur?
Il y a quelques mois, un riche homme d’affaires, président d’un club de football, porte drapeau d’un régionalisme assez affirmé, avait, au cours d’une interview dans un cadre sportif, fait usage d’une expression comparable à celle utilisée par la députée, et offensante pour la communauté juive, qui ne s’était pas fait faute par le biais de ses représentants, c’est la moindre des choses, de dénoncer ces propos irresponsables, et même semble-t-il de porter plainte auprès de la justice.
Ces propos issus d’un membre de l’establishment économique et sportif n’avaient cependant pas eu le même impact médiatique.
Asma Abou Hana, la députée Nidaa Tounes par qui le scandale est arrivé.
Plus encore, il y a quelques semaines les agressions physiques dont avaient été victimes des étudiants noirs avaient fait découvrir, au-delà du fait divers, l’ampleur des mentalités et des pratiques racistes qui gangrènent la société, sans distinction de classes.
La manifestation que les étudiants noirs africains avaient organisée sur l’avenue Habib Bourguiba, au centre-ville de Tunis, avait amplement démontré l’absence presque totale de mobilisation de la société civile et de solidarité avec les victimes, malgré la gravité et les implications du problème. Seul le geste hautement symbolique du Premier ministre allant rendre visite aux étudiants blessés à l’hôpital avait désamorcé la tempête qui s’annonçait, au point que plus personne n’aborde aujourd’hui le sujet.
Mais au-delà du racisme, d’autres expressions d’un rejet culturel en cours, ont acquis droit de cité sous couvert de la nécessaire lutte contre un parti politique fasciste rétrograde menaçant les acquis progressistes de la société, arborant les mêmes symboles que les terroristes, et sur laquelle s’est greffée une revendication ethnoculturelle et linguistique, jusque-là mise sous l’éteignoir au nom des nécessités de l’union nationale, dans les trois pays du Maghreb.
Un clivage politique interne
A la lueur de ces considérations politiques, il est devenu de bon ton, aujourd’hui, dans certains milieux, de reprendre les arguments naguère utilisés lors de la colonisation à l’encontre des autochtones, et remis à l’ordre du jour après les attentats du 11 septembre 2001 par les pasteurs télévangélistes américains Jerry Falwell ou Jimmy Swaggart, contre l’islam, usant d’expressions telles islamo-nazi, afin de mobiliser le peuple américain derrière la politique de la guerre mise en œuvre par l’administration Bush dans le cadre de ce qu’il avait été convenu d’appeler «guerre antiterroriste».
C’est d’ailleurs ce même argumentaire plus politiquement que religieusement engagé qui devait plus tard faire florès en Europe et en France avec des gens comme Eric Zemmour et Elisabeth Levy.
Mais toujours est-il qu’il existe aujourd’hui dans notre pays des gens qui considèrent que le peuple tunisien a été et est toujours colonisé par les Arabo-musulmans. Que cette profession de foi puisse s’exprimer dans le champ de l’Histoire, quant aux conséquences des invasions islamiques, relève d’un nécessaire débat qu’on situerait plus dans des cercles plutôt savants et académiques; qu’elle aboutisse à des revendications politiques visant à l’exclusion de citoyens tunisiens qualifiés pour la circonstance d’Arabes bédouins est plutôt surprenant.
Dans la réalité, cette démarche plus idéologique qu’intellectuelle a révélé la division – quasi politique – du pays en deux partie, selon une ligne de clivage électorale: une partie nord sédentarisée de sensibilité punico latine et moderniste, et une partie sud plutôt bédouine, franchement arabo-berbéro-musulmane, que l’on considérerait comme étant anti moderniste, et vu le contexte du moment, menaçante.
Le phénomène est que pour exprimer ce clivage politique, le discours de rejet de l’islam ait été emprunté à l’Occident, avec d’autant plus de conviction qu’il exprimerait non seulement un phénomène d’identification avec la partie la plus riche et la plus puissante de l’humanité, mais aussi de mépris et de crainte vis-à-vis de ceux qui demeurent attachés à une culture régionale marginalisée et sous estimée par la culture globale dominante issue de la mondialisation.
Pour en revenir aux propos inconsidérés de la députée, il s’agit d’abord de savoir si ce qui est en question à travers le tollé qu’ils ont soulevé ce ne soient pas certaines expressions issues du langage populaire tunisien et traduisant une vision péjorative, sinon antisémite, envers la communauté juive.
L’histoire, en particulier la période de l’occupation allemande, en Tunisie, sous le régime de Vichy, a pleinement démontré que la Tunisie n’avait jamais été une terre d’antisémitisme. Les Maghrébins musulmans dans toute l’Afrique du Nord n’ont pas collaboré à la déportation et au travail forcé des Juifs, et les mesures prises contre ces derniers l’avaient été par l’occupant. Et plus tard, après l’indépendance, mis à part quelques incidents isolés en juin 1967, après la guerre des Six jours, les Juifs de Tunisie avaient vécu jusqu’à l’attaque de la synagogue de la Ghriba, en 2002, en paix avec leurs concitoyens. Il faudrait donc admettre que des expressions telles que اللّطف يهودي (Juif, que Dieu nous en préserve) fassent plutôt partie de ce qu’on puisse nommer «aléas de la cohabitation inter-communautaire»; des expressions semblables existent certainement entre Palestiniens et Israéliens, Grecs et Turcs, Serbes et Croates, Irlandais protestants et catholiques. En Tunisie, est-ce inéluctablement des séquelles de la condition «Dhimmi», comme beaucoup de sionistes voudraient le laisser croire? Possible, mais pas nécessairement; avant de se faire une opinion, il faudrait voir si, dans des pays comme la Turquie et l’Iran, des expressions populaires semblables puissent ou non exister. Mais la condition de «Dhimmi» n’existe plus dans notre pays depuis longtemps. Aussi, peut-être ce qui dérange est que cela eût été dit par une députée de la nation, qui, en tant que représentante du peuple et membre d’un parti politique moderniste, n’avait pas à s’exprimer ainsi. Mais, évidemment, on pourrait autant à travers elle cibler son parti politique dont les promesses électorales non tenues en ont déçu plus d’un.
Le philosémitisme soudain de l’élite
Si tel est le cas, il serait peut être préférable d’éviter d’introduire des considérations ayant une portée internationale dans des règlements de compte politiques locaux. Car au-delà de la levée de boucliers suscitée parmi la frange éclairée de la population, par ces expressions judéophobes, dont pour promouvoir une culture de l’intelligence, il est plus que nécessaire d’expurger nos expressions quotidiennes, le fait que personne n’ait appelé par la même occasion à adopter des comportements et un langage humains avec nos frères africains, laisse suggérer en fin de compte la persistance de la pire forme d’antiracisme, celui lié à l’importance supposée de la communauté d’origine dans la hiérarchie des peuples issue de la mondialisation, pour ne pas dire dans la hiérarchie des communautés peuplant les Etats-Unis d’Amérique.
Autrement dit, ce philosémitisme soudain de certaines de nos élites ne serait que la manière civilisée d’adopter un racisme d’importation, par simple mimétisme, dans le but légitimer son appartenance à la grande civilisation. Un racisme de sous-développés. Dieu nous en préserve !
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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