Donald Trump ne tombe pas de la dernière pluie et l’homme ne manque pas de cohérence et de suite dans les idées. Et si son avènement était plutôt une bonne nouvelle ?
Par Yassine Essid
Dans son discours d’investiture, exagérément agressif et controversé, le 45e président des Etats-Unis a bousculé bien des principes établis que dictaient jusque-là ce genre de rituel : remercier et louer l’effort du président sortant sans jamais établir un inventaire décapant de sa politique ni procéder d’une manière incendiaire pour en dénoncer les lacunes.
Il demeure néanmoins admis qu’on puisse exprimer avec une certaine réserve les résultats atteints tout en indiquant de quelle manière on peut en tirer profit afin d’aller de l’avant et engager une autre politique pleine de promesses pour l’avenir des citoyens américains ainsi que pour la paix dans le monde.
On se doit de reconnaître pourtant, que sur le fond autant que dans la forme, l’allocution de Donald Trump manquait franchement de respect et de tact, tant il était impérieux pour lui de se démarquer de la politique de son prédécesseur.
Harangues sévères et menaces explicites
Tout en flattant ses électeurs, ses harangues sévères étaient truffées de menaces explicites et ses paroles, en totale rupture avec le passé, étaient destinées à être immédiatement mises à exécution. D’ailleurs, la cérémonie à peine achevée et avant l’ouverture du bal qu’on voyait le nouveau président se précipiter au bureau ovale pour signer ostensiblement son premier décret, en attendant son abrogation définitive par le congrès, ordonnant aux diverses agences fédérales de «soulager le poids» de la loi de réforme du système de santé (Obamacare), une loi phare censée permettre à des millions d’Américains, jusque-là privés d’assurance maladie faute de revenus suffisants, d’être enfin couverts. Une façon pour lui de prouver avec éclat que le moment était venu de mettre fin aux bavardages et de passer à l’action. Bref, que c’est l’Amérique d’abord et le peuple américain désormais dépositaire de tous les pouvoirs.
La série de mesures envisagées par M. Trump semble prendre à contre-pied la conception qu’on se faisait jusqu’alors d’une Amérique ouverte et généreuse. Désormais il s’agit de n’encourager le libre-échange que tant qu’il profite au pays, réduire drastiquement l’aide étrangère, stimuler la croissance par le travail créateur de richesse, revoir les projets d’exploitation énergétiques contrariés par de futiles motifs environnementaux, rebâtir l’infrastructure du pays pourvoyeuse d’emplois, arrêter l’afflux d’immigrants mexicains, et bien d’autres moyens censés assurer le progrès et défendre l’intérêt public quitte à passer pour un affreux réactionnaire aux yeux de ceux qui manifestent bruyamment contre son élection.
Pour toute nation impériale, l’essentiel de la politique relève de l’exercice de la diplomatie. Débarqué en tenue de campagne, M. Trump a tenu un discours au ton hautement belliciste, censé rendre à l’Amérique sont statut incontestable de puissance économique, politique et surtout militaire en mesure de déterminer l’avenir de la planète. Ainsi, les principes mêmes sur lesquels reposaient la politique étrangère, jusque-là conçue par l’establishment politique de Washington, notamment les relations avec le monde arabe et musulman, doivent être repensés et, au besoin, ravaudés.
Venir à bout du terrorisme islamiste
Donald Trump n’a pas tenu à rester dans le vague. Il a exprimé, sans ambages ni circonlocutions, sa détermination de venir à bout du terrorisme islamiste. «Nous renforcerons, dit-il, les vieilles alliances, nous en établirons de nouvelles et nous unirons le monde civilisé contre le terrorisme de l’islam radical que nous éradiquerons complètement de la surface de la terre». Des bravades pures non seulement destinées à faire trembler les djihadistes, mais constituent accessoirement un précieux réconfort pour tous les opposants aux conceptions primaires sur l’islam et l’appui inconsidéré de l’administration Obama qui n’a pas arrêté de balancer l’encensoir sur l’avènement de régimes islamistes dits modérés au Maghreb et au Proche-Orient avec le dénouement que l’on connaît.
Barack Obama et Hillary Clinton étaient complaisants avec l’islam radical.
D’ailleurs, et pendant huit ans, l’ex-président Barack Obama s’était soigneusement gardé dans ses discours d’identifier les attentats terroristes avec l’islam. Une attitude partagée par la secrétaire d’Etat Hilary Clinton, grand soutien des Frères musulmans et cheville ouvrière d’une véritable politique qui a ravagé le monde arabe, qui n’a fait usage de l’expression d’«islamisme radical» que pendant la campagne présidentielle et jamais avant. «Et, pour moi, disait-elle, le djihadisme radical, l’islamisme radical, je pense qu’ils signifient la même chose».
Sa défaite électorale fut par conséquent un coup dur pour les Frères musulmans du monde entier et leur rêve de domination. Elle constitue en revanche un vrai soulagement et un motif d’optimisme pour les régimes égyptien et algérien. D’ailleurs, Abdel-Fattah Al-Sissi aussi bien qu’Abdelaziz Bouteflika ont été, paraît-il, les premiers chefs d’Etats au monde à féliciter le président élu. Le premier, parce qu’il est venu à bout du président Mohamed Morsi et ses coups de force à répétition visant à asseoir un régime islamiste aux mains des Frères. Quant au second, il a réussi, contre la volonté des Américains, à mettre l’Algérie à l’abri du vent de contestation qui a parcouru tout le monde arabe en 2011.
Dans sa guerre annoncée contre les islamistes radicaux, Trump sait qu’il peut compter sur Poutine et Al-Sissi.
Clinton a transformé le monde arabe en un champ de ruines
Pendant les quatre années d’Hillary Clinton, le Département d’Etat américain était le haut-lieu d’une diplomatie cynique pour ne pas dire d’une conspiration institutionnalisée. Les ambassades américaines dans le monde arabe, bien actives, sont devenues un rassemblement de divers services où se côtoient agents et opérateurs du renseignement : CIA, NSA, DIA, DEA, etc. Quant aux ambassadeurs, ils interféraient sans vergogne dans la politique intérieure de tous les Etats du Maghreb et du Proche-Orient ex auctoritate imperatoris (par voie d’autorité impériale).
On a tous en mémoire comment Jacob Walles, alors ambassadeur des Etats-Unis à Tunis, était sorti de son rôle de diplomate en invitant à sa table les prétendants à la fonction de président de la république, leur faisant subir l’ultime test de plaire ou déplaire aux autorités de son pays. De même qu’il s’est octroyé le statut d’observateur à titre spécial des élections de 2014, se rendant en toute autorité dans certains bureaux de vote pour apprécier le bon déroulement du scrutin.
Mme Clinton a fait preuve d’un esprit va-t-en guerre au Maghreb et au Proche-Orient, disposait d’un serveur à domicile et d’une messagerie privée grâce auxquels elle entretenait une correspondance incriminante qui échappait à tout contrôle de peur qu’elle ne soit compromise.
Le monde arabe après le passage du cyclone Clinton.
Vu de cette perspective, le printemps arabe n’a plus rien d’une révolution moderniste et progressiste. Il n’était rien d’autre qu’une entreprise de déstabilisation conçue par l’administration américaine pour accélérer le projet du Grand Israël en transformant le Moyen-Orient en une immense ruine. Ce qui est actuellement le cas.
Toutes cela nous amène à questionner la vocation de la diplomatie américaine, qui a toujours eu la prétention de préserver et de renforcer sa position de première puissance. Les autres pays du monde ne serviraient que de base d’opérations pour la promotion de ses intérêts économiques et commerciaux. Il arrive aussi, le moment venu, que la force tienne lieu de diplomatie, qu’elle dégénère en entreprises militaires qui ont toutes échoué à atteindre les objectifs politiques.
Depuis la fin de la guerre froide, la politique étrangère américaine a été au centre d’une querelle passionnée entre trois politiques quant au rôle que les États-Unis devraient jouer dans le monde.
Les néoconservateurs sont partisans de l’utilisation de la force et veulent que les États-Unis soient le gendarme du monde. Par conséquent ils n’ont cure des alliances et des accords internationaux.
Les libéraux, qui soutiennent l’accord nucléaire actuel avec l’Iran, tout en souhaitant que les États-Unis conservent une action planétaire, s’opposent à toute attitude unilatéraliste et considèrent que le progrès découle de l’interdépendance croissante et des accords entre les Etats auxquels les Etats-Unis doivent se conformer.
Quant aux réalistes, ils estiment que les relations internationales avancent sous la poussée d’Etats puissants qui cherchent leur propre intérêt. Ce qui signifie que les États-Unis devraient se concentrer sur leurs relations avec les grandes puissances sans se préoccuper de ce qui se passe dans des pays mineurs. Une telle conception plaide en faveur d’un engagement beaucoup plus limitée des États-Unis dans des conflits du Moyen-Orient.
Jusqu’à la chute du mur de Berlin, les États-Unis avaient fait de l’anticommunisme l’un des fondamentaux de leur politique étrangère. La même politique continue aujourd’hui face au terrorisme qui l’oblige à lancer de nouvelles guerres pour protéger Israël et les ressources énergétiques de la région.
Ces guerres ne semblent pas diminuer d’intensité, elles grandissent et, à mesure qu’elles grandissent, se connectent à d’autres conflits, reproduisant encore plus de terrorisme et encourageant l’émergence de «sosies» d’Al-Qaïda au Mali, en Libye, en Syrie, en Irak et au Maghreb qui ne cessent de gagner en force et en soutien.
C’est dans un tel contexte chaotique d’instabilité et de danger planétaire que Donald Trump débarque à la Maison-Blanche, se presse de jeter aux orties les fondamentaux de la politique étrangère américaine, notamment la reconnaissance de l’importance pour la sécurité des États-Unis de la contribution des alliés et des alliances autant économiques que militaires. Ainsi, plutôt que d’œuvrer pour le renforcement des liens politiques et économiques avec l’Union européenne (UE), il s’en désolidarise et se félicite du Brexit.
Depuis les années 1940, les États-Unis n’avaient cessé d’œuvrer pour le développement d’une économie de marché à l’échelle mondiale à partir d’un intérêt réfléchi. Tout en se proclamant prometteurs de la démocratie dans les pays nouvellement indépendants, ils préféraient favoriser des régimes autoritaires qui leur permettait de bénéficier d’une plus grande liberté d’action en attendant qu’ils soient mûrs pour une «démocratie» qui ne remettra pas toutefois en question leur hégémonie. Aussi, dictateurs, despotes et autres autocrates, bien que peu appréciés, étaient parfaitement tolérés et régentés.
Mais voilà que, subitement, la politique étrangère de M. Trump surprend une opinion internationale qui ne s’était jamais intéressé jusque-là à ses déclarations. Car personne n’imaginait qu’il serait un jour président.
Pour nuancer ce qui est attribué à son caractère impulsif, à ses positions improvisées dictées par les événements du moment et en totale contradiction avec les impératifs de la diplomatie américaine, il faut revenir un peu en arrière. Sa conception de la politique étrangère des Etats-Unis s’avère dans son essence parfaitement cohérente pour peu qu’on daigne regarder les choses d’un peu plus près.
En 1987, M. Trump a payé 100.000 $ pour faire paraître dans le ‘‘New York Times’’, ‘‘The Washington Post’’ et le ‘‘Boston Globe’’, une lettre ouverte au peuple américain, au titre évocateur, critiquant la politique étrangère américaine. Il se demandait pour quelle raison l’Amérique continuerait à payer pour défendre des pays qui peuvent se permettre de se défendre eux-mêmes: «“An open letter from Donald J. Trump” — addressed “To The American People” — “On why America should stop paying to defend countries that can afford to defend themselves’’.»
Il reviendra sur ce même thème dans une autre interview accordée en 1990 au magazine ‘‘Playboy’’. C’est toujours la même approche : froide, brutale, autoritaire. A quoi bon, déclare-t-il, dépenser des milliards chaque année pour défendre les nations riches. Il en est de l’Europe comme du Japon, de l’Allemagne, de l’Arabie Saoudite, de la Corée du Sud, etc. Tous brassent pourtant d’immenses machines à sous aux dépends de nos intérêts. Et si leurs produits sont meilleurs c’est grâce aux subsides de leurs Etats. Pendant ce temps l’Amérique dépense en pure perte des milliards de dollars pour assurer leur défense!
L’admiration de Trump pour les leaders qui ont de l’autorité, tel Poutine, n’est pas exceptionnelle et il lui est arrivé précédemment d’exprimer le même sentiment pour Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi. Des points de vue qui ne s’alignent pas sur les approches actuelles de la politique étrangère, mais remontent aux idées isolationnistes de Charles Lindbergh, aux doctrines mercantilistes de Robert Taft, partisan d’une intervention minimale des Etats-Unis dans les affaires du monde ainsi qu’à la rhétorique enflammée du paléo-conservateur Patrick Buchanan qui a publiquement célébré la victoire de Trump.
L’ex-ambassadeur Walles chez Ghannouchi: l’administration Trump se laisserait-elle duper ?
Enterrer à jamais le printemps arabe
Enfin, pour ce qui est du monde arabe et musulman, la transition sera sans doute spectaculaire. Face à la menace terroriste, Trump est pris d’un sentiment d’urgence.
Contrairement à la perception qui a prévalu jusque-là à Washington, à la Maison-Blanche et au Pentagone, convaincus qu’ils n’étaient pas en mesure de venir à bout de ce phénomène, Trump entend dynamiser tous les éléments du pouvoir national d’une manière cohérente et synchronisée – semblable à l’effort consenti pendant la Seconde guerre.
Pour engager une telle bataille, seules des personnalités suffisamment fortes, telles que lui-même et le russe Poutine, seraient capables de venir à bout de la menace terroriste par l’instauration de régimes suffisamment autoritaires pour sortir leurs pays d’un chaos labyrinthique.
Pour écraser les djihadistes, il faudra commencer par enterrer à jamais le printemps arabe désormais dépouillé de sa raison d’être. Il est grand temps de procéder à un rééquilibrage de la politique dans la région.
Pour l’Egypte, le général Al-Sissi, déjà en place, fait bien l’affaire. En Libye, Haftar serait un bon candidat à soutenir. Quant au régime algérien, menacé par une crise économique profonde à la suite de la chute du prix du pétrole, son dirigeant espère que Trump réaffirmera son soutien à l’industrie pétrolière et rendra effectif une politique non interventionniste. Le sort de la Tunisie est plus incertain. C’est après tout la seule nation de la région dont le processus révolutionnaire a conduit à une transition démocratique. Aussi, la position que prendra la nouvelle administration républicaine de la Maison Blanche dépendra largement de l’évolution de l’islam, dit modéré, incarné par Ennahdha qui a réussi à tromper la candeur de l’Occident sur ses véritables intentions. Tout dépend si l’administration Trump se laisserait duper.
Donnez votre avis