Le drame vécu par Oum El-Hiran, bourgade habitée par des Arabes israéliens, démontre que ces derniers sont perçus, en Israël, comme des citoyens de seconde zone.
Par Dr Mounir Hanablia *
Qui a jamais entendu parler d’Oum El-Hiran, cette petite bourgade perdue au fond du Néguev, peuplée de bédouins déplacés depuis 1956? Il y a 50 ans, les autorités israéliennes pour des impératifs définis comme étant stratégiques et de sécurité, les avaient transférés de leurs terres d’origine, probablement situées à la frontière, et les y avaient installés, mais sans jamais leur reconnaître aucun titre de propriété, malgré toutes les tentatives entreprises pour légaliser leur situation. Ils y construisirent des maisons en dur et utilisèrent à des fins agricoles les terres des alentours.
Fait qu’il convient de mentionner, ces bédouins sont juridiquement parlant, des citoyens israéliens.
Israël applique sa loi aux Arabes
Au début des années 2000, toutefois, des recours administratifs et judiciaires furent entrepris pour les en expulser par des organisations et des agences relevant de l’Etat israélien, dans le but de construire sur cet emplacement une ville juive appelée Hiran. Le couronnement en fut la décision de la Cour Suprême considérant que les terres d’Oum El-Hiran et les terrains situés aux alentours, appartenaient «de jure» au domaine public, c’est-à-dire à l’Etat israélien. Ce jugement équivalait à reconnaître «de facto» aux autorités le droit d’en expulser à tout moment les résidents.
Les choses en seraient peut être restées là, au moins pour un certain temps; c’est que l’expulsion de citoyens arabes, en particulier quand ils jouissent de la nationalité israélienne, constitue un sujet d’autant plus épineux politiquement et juridiquement, qu’un grand nombre d’implantations juives dans les territoires occupés sont illégales non seulement au regard du droit international, qui comme on le sait prime dans ces questions sur celui des nations, mais aussi au regard du droit israélien, les colons ne possédant, hormis des promesses bibliques, aucune qualité pour occuper leurs terres d’installation.
Mais il y a quelques semaines, un attentat à Jérusalem coûta la vie à un certain nombre de soldats israéliens, et le gouvernement israélien, acculé à faire acte d’autorité face à une opinion publique vindicative, choisit d’«appliquer la loi», en principe contre tous les contrevenants, et naturellement d’abord ceux dûment répertoriés auprès de ses services.
Naturellement, pour faire bonne mesure, et montrer pleinement l’égalité de tous les citoyens devant les lois, quelles que soient leurs origines, les autorités envoyèrent leurs agents sommer les habitants de l’implantation juive d’Amona de se conformer aux lois. Ceci donna lieu à d’âpres discussions, mais quoi qu’il en soit il semble qu’un moratoire sur l’expulsion en eût suspendu l’exécution.
Pourquoi le gouvernement choisit-il Amona, au lieu des dizaines d’autres implantations? Personne ne le sait encore, mais toujours est-il qu’un modus vivendi résolut même temporairement la question, preuve s’il en est que les autorités, comme dans tous les pays du monde, savent, quand elles le veulent bien, faire preuve de souplesse dans l’application de la loi.
Parmi les autres localités servant de démonstration à «la primauté des lois» après l’attentat de Jérusalem, les autorités choisirent la bourgade, perdue au fond du désert du Néguev, d’Oum El-Hiran.
Il faut savoir, à cet effet, qu’aujourd’hui au Néguev, qui se situe, ainsi qu’on le sait, à l’intérieur des frontières d’avant Juin 1967, il y a aujourd’hui 46 villages peuplés d’Arabes israéliens, et aucun ne dispose d’un statut légal reconnu par les autorités. Peut-être est-ce là que se situe l’importance de l’enjeu.
Le village bédouin d’Oum El-Hiran dans le Néguev.
Des policiers, des bulldozers et un meurtre
Quoiqu’il en soit, récemment une force de police accompagnée de bulldozers, débarquant dans le village sans s’annoncer, somma les habitants d’une dizaine de maisons de les évacuer afin d’en procéder à la destruction; un incident somme toute banal dans un pays où l’expropriation des terres des Arabes ne suscite depuis longtemps guère plus d’intérêt, mis à part auprès des listes politiques conjointes judéo-arabes, ou d’une frange pacifiste de la population, désormais très minoritaire mais néanmoins toujours bruyante.
Oum El-Hiran devait sans doute demeurer un endroit inconnu comme il y en a des centaines de milliers à travers le monde, si la police israélienne n’avait abattu un automobiliste à bord de son véhicule, résident du village et instituteur, Yaaqoub Aboul Qiyan, et si un policier israélien, n’y avait été tué, heurté par le véhicule, durant l’incident.
Les bulldozers n’en accomplirent pas moins la tâche qui leur avait été dévolue, et dix familles arabes israéliennes vinrent grossir le flot des réfugiés palestiniens qui ont toujours constitué, ainsi qu’on le sait, une épine dans la substance des nombreux processus de paix qui prétendaient résoudre un conflit politico-militaire vieux de 100 ans.
Immédiatement après l’incident, le ministre de la Sécurité intérieure et le commissaire général de la police déclarèrent tous deux mordicus que l’automobiliste était un membre de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech), qu’il avait tenté d’utiliser sa voiture comme d’un bélier et que les policiers avaient tiré lorsqu’il avait foncé sur eux dans l’intention de les écraser; il avait d’ailleurs mortellement blessé l’un de leurs collègues.
Les habitants arabes, présents sur les lieux lors de l’incident, ont totalement rejeté la version officielle de l’affaire et ont affirmé que l’automobiliste n’avait accéléré que pour fuir après que la police eût ouvert le feu contre son véhicule. Comme souvent, un film vidéo de l’incident, tourné à partir d’un drone volant, a été communiqué à la presse, sans confirmer aucune des deux versions.
Par contre, l’autopsie pratiquée sur le corps de l’automobiliste a apporté des renseignements décisifs dans la recherche de la vérité. Elle a montré la présence de deux balles, l’une dans le genou droit du conducteur, pouvant expliquer l’accélération et la perte du contrôle du véhicule, et l’autre dans la poitrine, qui n’était pas mortelle.
Autrement dit, le conducteur aurait pu être sauvé s’il avait été pris en charge à temps et si ses blessures avaient été soignées.
Affrontements entre policiers et bedouins lors de l’opération de démolition du village d’Oum El-Hiran.
Une politique coloniale belliciste et agressive
Il apparaît ainsi que la mort du policier israélien était purement accidentelle, que la police israélienne avait bel et bien ouvert le feu sur le conducteur sans justification plausible, et que celui-ci n’avait pas été secouru à temps. De là à dire que la police israélienne est arrivée à Oum El-Hiran convaincue que tout Arabe à bord conduisant un véhicule était un terroriste en puissance et qu’il méritait la mort, il n’y a qu’un pas que beaucoup n’ont pas hésité à franchir.
Le caractère spécial de ce drame n’est pas que des Arabes eussent été abattus, les Palestiniens des territoires occupés subissent presque quotidiennement ce genre d’incidents depuis 1967; c’est plutôt que des Arabes israéliens en eussent été victimes, et cela dément formellement la thèse officielle qui fait d’eux des citoyens à part entière dans leur pays.
Cela démontre qu’en Israël les seuls bons citoyens soient les juifs, et qu’aux yeux des autorités, il n’y ait aucune différence entre les territoires occupés avant ou après Juin 1967, ni entre les Arabes qui y résident.
Au tragique de l’affaire s’est surajoutée la dimension symbolique raciste, les autorités, mues sans aucun doute par un désir biblique de vengeance, comme lors de l’attentat de Jérusalem, ont refusé de restituer le corps à la famille.
Cette affaire démontre pleinement, au début de la présidence de Donald Trump aux Etats-Unis, le choix du gouvernement israélien en faveur d’une politique coloniale dure sur le plan intérieur, et sans doute belliciste et agressive à l’extérieur; dont il escompte sans doute obtenir le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, et l’abrogation du traité atomique avec l’Iran, sinon une guerre et la destruction de ce pays. Tout un programme !
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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