Pièce sur les incompréhensions de l’amour, du sexe et du couple, ‘‘Dès que je t’ai vu’’ a été présentée les 4 et 5 février 2017, à l’espace Le Quatrième Art, devant une salle quasi comble.
Par Fawz Ben Ali
Cette nouvelle production du Théâtre national tunisien (TNT) est une pièce en dialecte tunisien, écrite et mise en scène par Salah Felah, qui propose une nouvelle forme de réflexion sur l’amour moderne et ses illusions, et ce, en partant des vers du poète classique arabe Al-Maarri : «Quant à la certitude, elle n’existe pas/ L’apogée de mes efforts se trouve/Dans l’intuition et les pressentiments.»
La pièce réunit dans sa distribution Basma El-Euchi et Bechir Ghariani, ainsi que les jeunes membres du TNT Rahma Felah, Aymen Selliti, Rami Zaatour, Talel Ayoub, Nidhal Shili, Basma Baazaoui et Hiba Trabelsi.
Liberté sexuelle et révolution du corps
‘‘Dès que je t’ai vu’’ traite du thème de la liberté sexuelle et de la révolution du corps dans le monde arabe et plus particulièrement dans la Tunisie d’après le 14 janvier 2011, à travers divers personnages modernes, incarnant une forme de marginalité et de liberté.
Le sujet demeure peu exploité dans le théâtre tunisien où, ces six dernières années, la politique est devenue le sujet le plus en vogue aussi bien au cinéma qu’au théâtre.
Toutefois, la pièce ne rompt pas tout à fait avec l’idée de la révolution mais tourne autour subtilement en y implantant ses repères temporels et en lançant des clins d’œil au contexte actuel du pays.
La pièce s’ouvre sur un décor plutôt rudimentaire, un grand canapé rouge au milieu de la scène et des tas de livres par-dessus un vieux bureau au coin. En face de nous, sur le grand écran, apparaissent des séquences romantiques de couples mythiques du cinéma classique, nous installant dans le vif du sujet, celui de l’amour.
Retour sur les planches, on se trouve chez le couple central de l’intrigue : une journaliste qui vient de quitter son travail et un professeur de sociologie qui a accepté de recevoir ses étudiants, qui, sous sa direction, mènent une enquête sur les tabous des relations amoureuses.
Comme ce couple d’intellectuels est en crise, il représente un cas d’étude intéressant pour les étudiants. Placés au milieu de la scène avec la lumière braquée dessus, ils tentent tant bien que mal de répondre aux questions qui se multiplient et deviennent de plus en plus indiscrètes et dérangeantes.
Balbutiante avec sa voix troublée, la jeune épouse évoque le passé de son couple avec nostalgie : «On s’était rencontré à la place Mohamed Ali, dans une manifestation en soutien à la Palestine», se remémore-t-elle. Mais après 4 ans de vie commune et la charge d’un enfant, les mots doux et les petites attentions se font de plus en plus rares, laissant place au vide émotionnel.
Le malaise et l’insatisfaction dans le couple
Dans cette sorte de radioscopie de relation, ce couple nous rappelle celui du fameux film ‘‘Scènes d’une vie conjugale’’ d’Ingmar Bergman, un classique sur le malaise et l’insatisfaction dans le couple.
Par la suite, s’enchaînent une série de témoignages sous forme d’épisodes sur les relations affectives et sexuelles dans le milieu universitaire et où chaque intervenant est en même temps membre du projet de l’enquête.
La présence du personnage du cameraman, qui se contente de filmer les déclarations des protagonistes, donne à la pièce l’allure d’un reportage. Si au début on a l’impression que les épisodes sont décousus, on comprend mieux au fur et à mesure que la pièce avance, que toutes les histoires et tous les personnages sont liés. Alors que certaines étudiantes sont exploitées financièrement et sexuellement, d’autres sont victimes d’harcèlement sexuel de part de leurs professeurs ou de discriminations régionalistes.
L’un des temps forts de la pièce est marqué par la conversation entre deux jeunes amoureux avides de liberté sur la révolution sexuelle comme cause politique surtout quand on vit dans un pays où la sexualité est passée de la sphère intime au domaine public, faisant l’objet de morale religieuse et de «lois obscènes qui ne cherchent qu’à dominer le corps», lance la jeune étudiante.
La pièce a le mérite de soulever un point qu’on cherche à tout prix d’écarter des débats publics et qu’on a tendance à considérer comme un luxe qui risque de détourner l’attention des «vrais enjeux de la révolution».
Un deuxième cycle de représentation de la pièce est prévu pour les 17, 18 et 19 février courant.
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