Après l’identité, l’immigration, le communautarisme, l’islamisation rampante et le déferlement des réfugiés, le thème clivant de la colonisation s’invite dans la campagne pour la présidentielle française.
Par Slaheddine Dchicha *
À l’instar de la mode, pour continuer à opérer, les thèmes politiques se doivent de se renouveler sans cesse car, c’est connu, l’habitude engendre la banalisation et cette dernière, la lassitude. Par conséquent, comme en marketing, il s’agit en politique d’attirer l’attention et donc de surprendre.
Après avoir usé jusqu’à la corde le thème de l’immigration, entendez celle des Maghrébins, «mangeurs du pain des Français et voleurs de leur travail», les candidats français sollicitant le suffrage de leurs concitoyens ont jeté leur gourme sur l’identité menacée à leurs yeux par le «communautarisme», bien sûr musulman, et surtout par «l’islamisation effrénée et massive» de la société française.
Depuis les attentats qui ont frappé la France, la «sécurité et la guerre déclarée au terrorisme» se sont imposées comme thèmes majeurs suivies depuis peu par la menace que constituerait le «déferlement des réfugiés barbares».
Cependant, il ne faut pas croire qu’un thème chasse l’autre. Non, ils s’additionnent et s’accumulent et par sédimentation, ils engendrent les discriminations, les inégalités, les contrôles au faciès, les viols à la matraque et autres bavures policières, administratives, sociales, économiques…
«Partage de culture» ou «crime contre l’humanité»?
En cette année électorale, le passé colonial français a surgi et commence à s’imposer comme enjeu de la présidentielle en France.
En effet, l’attitude de François Fillon, le vainqueur de la Primaire de la droite et candidat «Les Républicains» est connue. En septembre dernier, il avait comparé la colonisation française à «un partage de culture». Cette attitude consistant à «refuser la repentance» et à mettre en valeur le «côté positif» du colonialisme a suscité les protestations de l’extrême gauche et d’une partie de la gauche.
Tandis que la récente déclaration du candidat Emmanuel Macron à Alger, qualifiant, mardi 14 février 2017, la colonisation française de «crime contre l’humanité», a déchaîné l’indignation de la droite et de l’extrême droite.
L’intérêt électoral du discours clivant
Deux attitudes connues qui coïncident grosso modo avec le découpage gauche/droite et il est aisé de reconnaître d’un côté les traces des analyses d’un Franz Fanon ou d’un Albert Memmi et de l’autre les restes du discours colonialiste d’un Jules Ferry ou d’un Paul Leroy-Beaulieu.
Dans un cas comme dans l’autre, l’électeur français est loin de ses préoccupations quotidiennes, en vrai, il s’agit de faire diversion et de détourner son regard de ses problèmes réels : les conséquences désastreuses des choix géopolitiques et des orientations économiques; l’augmentation continue des inégalités, l’amplification de l’injustice sociale; l’appauvrissement constant des travailleurs dont une partie ne peut même plus se loger ; la marginalisation et la ghettoïsation de pans entiers de la population; l’échec de l’intégration à la française…
Au lieu de quoi, il est fait appel à la mythologie et au roman national : il y aurait les «Souchiens» et les «Indigènes». La droite et l’extrême droite s’adressent aux Français de «souche» et jouent sur la fibre nationaliste en entretenant la nostalgie de l’empire colonial et la fierté de «l’œuvre civilisatrice française en Afrique et en Asie». Elle tente ainsi de déculpabiliser et d’absoudre de toute responsabilité mais surtout elle espère s’attirer les voix des rapatriés, les Pieds noirs, les Harkis et leurs descendants.
La gauche, quant à, elle nourrit le même espoir mais en s’adressant aux immigrés et aux anciens colonisés et à leurs enfants.
D’où l’intérêt électoral du discours clivant, même si l’on remarque des revirements, des marche arrière, des démentis et des ambiguïtés dans les deux camps, car aucun camp ne se suffit de son électorat traditionnel, mais espère gagner plus de voix en ratissant large.
Un obstacle au vivre ensemble
Mais ce clivage est à double tranchant car il divise la population et constitue un obstacle au vivre ensemble, car il fait émerger un litige ancien qui au lieu d’être réglé a été nié, occulté voire refoulé.
En effet, cet ancien litige, ce passé colonial ne passe pas faute de travail de mémoire. Les grands débats, les grands livres, les grands films et les grandes commémorations sur la blessure coloniale sont rares pour ne pas dire inexistants en France. Cette amnésie ne fait que perpétuer les malentendus, alimenter le ressentiment et nourrir la discorde et les haines.
* Universitaire.
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