Le remaniement effectué samedi par le chef du gouvernement traduit sa volonté de poursuivre une politique visant à restaurer l’autorité de l’Etat.
Par Chedly Mamoghli *
Youssef Chahed a effectué un remaniement partiel de son gouvernement qui a surpris non par son timing, car il y était contraint, mais par les messages qu’il a adressés aux différentes parties prenantes de la scène politique.
Abid Briki, ex-ministre de la Fonction publique et de la Gouvernance, avait fait part de son intention de quitter le gouvernement. En brandissant la menace de la démission, qui plus est à travers les médias, faisant ainsi du chantage au chef du gouvernement, il n’a pas laissé à ce dernier le choix de la réponse adéquate : il devait réagir de manière à montrer son autorité, à faire savoir qu’il est le patron et qu’il n’entend pas se faire dicter ses décisions. Ayant eu la confirmation de l’intention de Briki de démissionner, Chahed a débarqué l’ancien secrétaire général adjoint de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), lui coupant ainsi l’herbe sous les pieds.
Briki, l’arroseur arrosé
Morale de l’histoire, Abid Briki, dont la prétention n’est pas le moindre défaut, a sous-estimé Youssef Chahed. Le vieux routier du syndicalisme a cru pouvoir en imposer au jeune chef du gouvernement, en cherchant à profiter d’une situation de crise créée par ses «camarades» syndicalistes.
S’étant planté, il peut continuer à gesticuler dans les médias, à se justifier et à critiquer le chef du gouvernement pour ne lui avoir pas fait savoir sa décision de le limoger dans l’entretien téléphonique qu’ils ont eu samedi matin. Il faut être un novice et un bleu en politique pour croire que Chahed allait lui révéler ses intentions. Ou le prier de rester au gouvernement.
Sur ce coup, le chef du gouvernement s’est montré politiquement habile même si on décèle, dans la rapidité de la manœuvre, la touche de son parrain politique, le président de la république Béji Caïd Essebsi, un orfèvre en la matière et qui n’est jamais trop loin pour lui chuchoter à l’oreille.
Le pire dans l’affaire, c’est qu’Abid Briki dit avoir consulté l’UGTT, son secrétaire général actuel Noureddine Taboubi et deux des prédécesseurs de ce dernier, en l’occurrence Houcine Abassi et Abdessalem Jrad.
Cela veut dire que la menace de démission était calculée et minutieusement préparée dans le cadre d’une manœuvre politique concertée, qui viserait, peut-être, à créer les conditions d’une confrontation entre la centrale syndicale et le gouvernement. D’autant que la nouvelle direction issue du dernier congrès de l’UGTT avait multiplié les provocations, notamment le soutien aux syndicats de l’enseignement exigeant le départ du ministre de l’Education Neji Jalloul. Le maintien de ce dernier à son poste a, d’ailleurs, été compris comme une fin de non-recevoir adressée aux doléances des dirigeants syndicaux qui cherchent à imposer leurs volontés au gouvernement.
Des rééquilibrages nécessaires
L’UGTT ne devait aucunement se sentir lésée. Elle était représentée au gouvernement par deux ministres, Abid Briki et Mohamed Trabelsi, en charge des Affaires sociales, alors que l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica) ne l’était pas. Le rééquilibrage vient donc d’être opéré. Avec la nomination de Khalil Ghariani à la tête de la Fonction publique, les deux organisations sont désormais représentées chacune par un membre.
Au-delà de la crise provoquée par le limogeage de Briki, car c’en est un et amplement mérité, nous devons nous intéresser aux autres aspects du remaniement, et notamment au profil des entrants et des sortants.
Khalil Ghariani est un homme rompu aux négociations sociales et, en sa qualité d’entrepreneur, il connaît parfaitement les pesanteurs de l’administration qui handicapent l’investissement et empêchent la relance de l’économie, priorité du gouvernement Chahed. Connaissant bien le monde de l’entreprise et celui du syndicalisme, il peut faire avancer les programmes de réforme de l’administration dans un esprit de concertation et de consensus. Et pour avoir succédé à feu docteur Amor Atallah à la présidence de la Fédération tunisienne de golf (FTG), il connait aussi le monde associatif. Et cela lui sera très utile dans ses nouvelles fonctions.
Ahmed Adhoum, le nouveau ministre des Affaires religieuses, est, quant à lui, un juriste de formation, juge judiciaire de profession, qui a été ministre des Domaines de l’État au gouvernement Caïd Essebsi, en 2011. Il a, de ce fait, une expérience gouvernementale, ce qui est un avantage. Par ailleurs, la nomination d’un juriste à la tête du ministère des Affaires religieuses, domaine très sensible qui doit rester sous la tutelle de l’État, est une sage décision.
Le cas du secrétaire d’État au Commerce, Fayçal Hafiane, dont la détérioration des relations avec son ministre de tutelle, Ziad Ladhari en l’occurrence, a affecté le fonctionnement du département de l’Industrie et du Commerce, mérite qu’on s’y arrête aussi. Les déclarations de Fayçal Hafiane sur le déficit de la balance commerciale de la Tunisie avec la Turquie, en raison de l’accord de libre échange signé entre Tunis et Ankara, en 2012, sous le gouvernement de la Troïka, la coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, n’a pas été du goût de l’islamiste Ladhari, qui ne voit aucune nécessité à revoir les termes de cet accord.
Le remplacement de Fayçal Hafiane par Abdellatif Hmam, le directeur de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) et ancien dirigeant de la Centre de promotion des exportations (Cepex), s’est donc imposé au chef du gouvernement comme un moindre mal. Cela lui permet de ménager ses alliés d’Ennahdha et, en tout cas, de ne pas les avoir contre lui, au moment où il fait face à la grogne des syndicats.
En appelant, par ailleurs, M. Hafiane à ses côtés, à la Kasbah, comme conseiller, M. Chahed ne céde pas sur tout et ne braque pas, non plus, son propre parti, Nidaa Tounes en l’occurrence, dont M. Hafiane est membre.
Il reste maintenant à espérer que ce remaniement n’aggrave pas la crise larvée avec l’UGTT, d’où montent déjà de nouveaux appels à la grève; et que le chef de gouvernement poursuive dans cette politique qui vise à restaurer l’autorité de l’Etat, aujourd’hui malmenée de toutes parts.
* Juriste.
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