Le Bundesrat a rejeté un projet de loi de la coalition gouvernementale qui aurait permis d’accélérer les extraditions vers les pays du Maghreb.
Par Marwan Chahla
Cette fin de non-recevoir de la chambre haute du parlement allemand, intervenue vendredi 10 mars 2017, porte un coup sérieux à la nouvelle stratégie migratoire de la coalition gouvernementale allemande menée par la chancelière Angela Merkel.
«Ne garder que les personnes vraiment menacées»
Le vote du Bundesrat n’était même pas serré. Au contraire, une majorité écrasante a opposé un niet catégorique à ce projet de loi, introduit par le gouvernement de Mme Merkel et adopté en première lecture par le Bundestag, la chambre basse du législatif fédéral d’Allemagne, qui aurait considéré la Tunisie, l’Algérie et le Maroc comme étant «des pays d’origine sûrs» et ainsi facilité la déportation de ceux d’entre les ressortissants de ces pays du Maghreb dont la demande d’asile a été rejetée.
Les représentants du gouvernement fédéral allemand et l’Etat conservateur de la Bavière ont expliqué que cette loi était nécessaire pour empêcher les personnes souhaitant s’installer en Allemagne pour des raisons économiques de détourner la législation allemande en matière d’asile. Ils ont insisté qu’une proportion infime des demandeurs d’asile de ces trois pays du Maghreb ont été déboutés.
Le ministre de l’Intérieur bavarois, Joachim Herrmann, avait clamé: «Nous ne souhaitons garder en Allemagne que les personnes qui sont vraiment menacées», dans leurs pays d’origine.
L’opposition de gauche – notamment les sociaux-démocrates, les Verts et le Parti de gauche – a un tout autre avis sur cette question. Par exemple, Dieter Lauinger, le ministre de la Migration et de la Justice de l’Etat de Thuringe, a fait observer que le nombre de demandeurs d’asile maghrébins a atteint un niveau très bas –268 seulement, à la fin février 2017 –, ajoutant que, «dans cette affaire, l’obstacle majeur réside dans le fait que les pays d’origine de ces demandeurs d’asile ne veulent pas d’eux. Il ne s’agit pas d’un problème de nombres, mais plutôt d’un problème de déportation de ces personnes vers leurs pays d’origine. Pour nous, déclarer ces pays comme étant sûrs ne sera pas une bonne chose.»
Thomas de Maizière est «triste»
Pour rappel, ce projet de loi relatif à la qualification des pays du Maghreb comme «pays d’origine sûrs» a été soumis par le gouvernement fédéral début 2016, c’est-à-dire au lendemain des incidents du Nouvel an, à Cologne, où des Africains du nord auraient commis des viols et autres agressions sexuelles.
Le chrétien-démocrate Ole Schröder, secrétaire d’État parlementaire du ministère fédéral allemand de l’Intérieur, s’est indigné: «Jamais nous n’en sommes arrivés à des viols de masse sur la place publique comme cela. Les faits sont là: des jeunes Maghrébins, qui ont pour la plupart des antécédents pénaux, ont abusé de nos lois sur l’asile! »
Ce à quoi Ulla Jelpke, la porte-parole du Parti de gauche allemand, répond : «Les atteintes aux droits humains, la persécution politique, les assassinats politiques et la torture sont des pratiques communes au Maroc et en Algérie. La Tunisie, elle, est un pays dirigé par un régime qui a déclaré un état d’urgence permanent. De plus, dans ces trois pays, les gays et les lesbiennes sont persécutés…»
Conclusion pour Ulla Jelpke: «Il serait tout à fait absurde de déclarer la Tunisie, l’Algérie et le Maroc comme pays d’origine sûrs.»
Il est à noter que le Bundesrat est composé de représentants des 16 Etats fédéraux allemands. Son adoption du projet de loi sur la déclaration des pays du Maghreb comme étant «sûrs» était nécessaire car ce sont les Etats, et non pas le gouvernement national, qui ont la charge de l’exécution des ordres d’extradition.
L’on comprend, alors, la désolation du ministre conservateur de l’Intérieur, Thomas de Maizière: «C’est une bien triste journée pour les efforts que nous déployons pour mettre un terme à l’immigration illégale», a-t-il déclaré aux médias à l’annonce du rejet du projet de loi par le Bundesrat, en voulant amèrement aux Verts qui, selon, «portent l’entière responsabilité» de ce qui arrivera à l’avenir…
Et tout cela se passe dans un contexte de campagne pour les élections générales où la question migratoire est de toute évidence le thème central de la compétition et où l’extrême droite xénophobe allemande a le vent en poupe.
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