La Tunisie est en crise. Trêve de radotage. La solution ne viendra pas des politiques, mais des citoyens eux-mêmes qui se prennent enfin en charge.
Par Mohamed Malek Hadhri *
Commérer, ragoter et se lamenter sur son sort est le sport national en Tunisie. Nous le pratiquons tous à volonté, à satiété quel que soit le sujet… Si le Tunisien est plus assidu aux terrasses des cafés qu’à son travail, c’est qu’il est plus prompt à pratiquer son hobby favori que de produire.
Depuis la révolution, la politique est devenue le met principal de nos joutes verbales malveillantes. La politique a détrôné le football, autrefois champion toutes catégories des sujets de radotage.
Une diarrhée verbale incontrôlée
Fidèles à nous-mêmes et à notre méthodologie ancestrale, nous appréhendons la politique et l’intérêt général avec les mêmes réflexes. On dénigre, on propage des rumeurs, on croit aux rumeurs qu’on a nous-mêmes propagées, on insulte, on crie, on prend position, on ne sait pas écouter, on agresse, on exulte devant le complot… le tout dans une diarrhée verbale incontrôlée notamment depuis la révolution et la libération de la parole.
Cette approche, aussi bouillonnante et bruyante qu’elle soit, a un mérite incontestable. Le Tunisien est un chevronné du diagnostic. Nous sommes tous conscients, dans les plus fins détails, de la situation extrêmement critique dans laquelle se trouve notre pays, qui agonise : une économie à genoux, des caisses presque vides, une souveraineté nationale poreuse, un taux de chômage exponentiel, une fronde sociale magmatique, une corruption gangréneuse, une dette abyssale et un danger sécuritaire croissant.
Devant ce tableau, nos gouvernants s’entêtent à trouver des solutions «politiciennes», compensatoires, démagogiques, de court terme et populistes. Tel un pompier armé de sa seule salive face un volcan en pleine irruption.
Le point commun entre ces mouvances politiques est qu’elles se limitent toutes à des déclarations d’intention perdues dans d’infinis débats idéologiques d’adolescents attardés rescapés des années 70.
Béatement, nous avions cru à leurs slogans et mensonges. Par parcimonie, ils ont réussi à nous occuper les esprits et dévier notre attention vers leur parlotte creuse et leurs querelles futiles.
Dans le volet idéologie nous distinguions: le retour à la pensée bourguibiste, le retour au benalisme, l’islam politique, le socialisme ou l’extrême gauche, le panarabisme, les révolutionnaires…etc.
Dans le volet déclarations d’intentions : dialogue social, dialogue national, accord de Carthage, lutte contre la corruption, réconciliation nationale, réformes de la santé, de l’éducation, de l’administration, etc. Le tout enveloppé dans une flopée de conférences et cérémonies tapageuses.
Tous ces slogans et belles paroles, aussi ornementés et évolués soient-ils, ne peuvent apporter de solution concrète à la crise actuelle. Sans mécanismes, sans programme détaillé, sans actions concrètes et chiffrées, ces intentions, sans juger de leur noblesse ou leur sincérité, ne peuvent point se traduire en remède.
Une aversion généralisée pour la politique
Perdu dans ces méandres, le Tunisien, à l’image de son vote, a erré entre ces influences. Il y avait plusieurs variétés de votes mais point de vote de conviction. Nous avions alterné le vote de confession, le vote d’opposition ou frondeur, et enfin le vote utile qui s’est avéré futile.
Toutes ces voix se sont avérées infructueuses. La déception, la frustration et le sentiment de trahison du tunisien n’ont fait qu’augmenter. Il en résultera une aversion généralisée pour la politique et un désintérêt total de la chose publique.
Aujourd’hui, c’est le statut quo. Le constat n’a pas changé, les maux se sont même accentués. Une dichotomie et un fossé quasi irrémédiables se sont érigés entre les politiciens et la population.
Que peut-on faire pour changer les choses? Que peut chacun d’entre nous pour casser cette morosité? Peut-on juste continuer à se lamenter sur notre sort en victimes? Peut-on continuer dans l’oisiveté, l’inaction et la consommation?
Candide et néo-incrédule, j’ai décidé de me donner la chance de changer les choses. Je veux être citoyen. Ce pays est le mien. Cette terre m’appartient. Cette responsabilité est mienne au même titre que tous les Tunisiens.
Moi citoyen, je veux…
Trêve d’analyses récurrentes, trêve d’observation.
Moi citoyen :
Je ne veux plus de perditions idéologiques, plus de slogans creux, plus de déclarations d’intentions, plus de querelles de bas niveau, plus de dispersion des causes urgentes, plus d’état des lieux, plus de débats identitaires.
Moi citoyen :
Je veux de l’action, je veux du concret, je veux un programme chiffré, je veux du résultat, je veux des échéances claires, je veux… du pragmatisme.
Je veux un gouvernement apolitique pour ne pas m’embrouiller.
Je veux un gouvernement entièrement dédié à l’intérêt général, non aux intérêts des personnes, des partis ou de lobbies.
Je veux un gouvernement honnête et totalement transparent.
Je veux un gouvernement qui me rende des comptes.
Je veux un gouvernement avec une obligation de résultats.
Je veux un gouvernement à orientation économique claire.
Je veux un programme détaillé, chiffré, daté, jalonné.
Je veux un programme par région, par ville par patelin, par commune.
Je veux un programme par secteur d’activité, par domaine, par centre d’intérêts.
Je veux un programme où chaque administré se retrouve visé, concerné et impacté.
Je veux Etat de droits, juste, équitable et ferme dans l’application de la loi.
La politique publique est un métier, c’est une science. Ce n’est ni une vocation, ni une dissertation, ni un lot de pensées. Tous les gouvernants qui se sont succédé ont échoué à la manœuvre. Il ne s’agissait nullement de mauvaise volonté ou d’actes manqués. Il ne s’agissait que d’incompétence. Or la Tunisie en regorge de personnes compétentes. Le chemin menant vers le pouvoir a été obstrué par le vice de la politique de caniveaux. Remettons nos compétences en selle, poussons nos experts vers le pouvoir et soutenons les dans le redressement de ce pays. Valorisons nos expertises, utilisons nos techniciens, consommons leur savoir, etc. Il ne s’agit que d’un retour sur investissement. Il est temps que la Tunisie amortisse de son investissement d’antan dans l’école. Mobilisons-nous et frayons le chemin du pouvoir à la jeunesse et à la compétence…
Une fois prospères, nous pourrons revenir à nos commérages et à nos ragots.
Vive la Tunisie !
* Consultant en systèmes d’information.
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