Malgré sa chute brutale au cours des derniers jours, le dinar peut encore être sauvé et la Tunisie se redresser.
Par Kaouthar Ben Hamida *
Le 24 avril 2017, le taux de change euro/dinar a franchi la barre de 2,7x soit une hausse de 35% par rapport à sa valeur d’il y a 5 ans.
On peut se poser la question sur ce qui s’est passé depuis 5 ans pour tenter de comprendre à qui incombe la faute et savoir si on peut rattraper le cours du change.
Depuis la révolution de janvier 2011, il y a eu 7 gouvernements en moins de 6 ans, ce qui fait qu’un ministre occupe son poste pour un peu plus de 10 mois en moyenne. C’est trop court pour appréhender la complexité de la réalité tunisienne avec tous ses aspects épineux et notamment la lourdeur administrative, les défis sociaux et les mafias politico-affairistes.
On est arrivé au pied du mur
Le dinar est en baisse depuis les années 2000 quand 1 euro valait moins de 1,3 dinar. Pour atténuer cette chute et la lisser dans le temps, la Banque Centrale achetait du dinar avec les réserves de l’Etat en devises étrangères.
Mais on est arrivé au pied du mur! Les caisses sont vides ou presque et on ne peut plus gaspiller ce qui reste des réserves en devises pour racheter du dinar. On ne va pas non plus emprunter pour cela !
Les caisses sont vides parce que d’une part on ne produit pas assez et n’exporte pas assez et d’autre part, on importe beaucoup. Et ce n’est ni la faute du ministère des Finances, ni de la Banque Centrale!
Entre le tourisme en berne, le phosphate qui se laisse désirer, les entreprises qui ont quitté la Tunisie et les innombrables grèves et mouvements sociaux, la Tunisie a du mal à relever la tête.
On a gagné la bataille de la liberté et de la démocratie mais restent des difficultés sociales et des challenges économiques.
Les mouvements sociaux, sont compréhensibles. Les grandes attentes populaires de travail et de dignité restent globalement sans réponse depuis la révolution. Le fossé ne cesse de se creuser et pour couronner le tout, le vampire du commerce parallèle avec la Libye vide le pays de son sang et le prive de revenus en devises.
Mais en plus, on voit qu’il y a une mauvaise gestion globale dans des secteurs clé tels que l’énergie et le commerce. Où sont les projets tant annoncés? Où est la lutte contre la corruption tant promise?
Deux exemples suffisent pour illustrer mon propos.
Depuis des mois, on entend parler des énergies renouvelables, mais rien ne sort encore. Des investisseurs étrangers sont prêts à injecter de la liquidité pour développer ce secteur permettant ainsi d’atténuer la facture énergétique qui revient cher aujourd’hui à l’Etat.
Alors que la Tunisie est loin d’assurer son autosatisfaction énergétique, ces projets traînent et tardent à voir le jour sous la pression de la Société tunisienne d’électricité et de gaz (Steg). L’incompétence, la bureaucratie et la mauvaise gestion du secteur énergétique, non seulement plombent la balance budgétaire de l’Etat, mais aussi privent les Tunisiens d’opportunités de création d’emplois et de la possibilité d’exporter à terme l’électricité vers l’Europe.
Le second exemple concerne le ministère du Commerce qui a échoué à développer l’exportation de produits et de services tunisiens à forte valeur ajoutée et qui laisse faire la contrebande et le trafic organisé de tonnes de produits vers la Libye. Et comme si ce n’est pas assez, il permet d’importer des produits futiles de la Turquie par exemple. Et même des projets de rénovation dans l’aéroport de Tunis-Carthage sont donnés à des sociétés turques et non tunisiennes. C’est à se demander si ces ministres qui encouragent le commerce turc, la langue turque et même la culture turque sont bien tunisiens.
Il est encore temps d’agir
J’ai comme l’impression que la ministre des Finances Lamia Zribi et le Gouverneur de la BCT Chedly Ayari sont à la barre d’un bateau qui, en plein brouillard, a percuté des icebergs et risque d’abîmer sa coque. Ils font tout pour combler les brèches dans un premier temps mais ils se retrouvent obligés de prendre les canoës de sauvetage pour sauver les voyageurs. Alors ces derniers vont vivre une expérience unique, celle de la survie économique où il va falloir ramer pour arriver à port.
Pour relancer le dinar, il faut certes consommer tunisien, à l’instar des Japonais qui ont un sens patriotique très haut. Avec la campagne ‘‘Consommes Tounsi code barre 6821’’, la société civile a démontré, une fois de plus, une grandeur qui dépasse de loin les dirigeants. Plus encore, il faut absolument débloquer les projets entravés par les chaînes administratives. Il faut que les toutes les forces vives se mettent vraiment au travail, de façon plus efficace. Il faut les écouter, entendre leurs attentes et passer des accords de productivité avec eux. Il faut arriver à instaurer une trêve sociale pendant au moins 2 ans. Il faut abattre la corruption qui plombe le pays et empêche son envol.
J’y crois à la Tunisie, le pays où tout est possible. Il est encore temps d’agir…
* Experte en banque & finance.
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