Dans son seconde roman ‘‘Journal d’un apostat’’, Anouar El Fani dénonce franchement l’absurdité et la cruauté des fondamentalistes musulmans.
Par Mohamed Sadok Lejri *
Après ‘‘Songes d’une nuit d’été’’, paru en 2015 (éd. Arabesques,Tunis), Anouar El Fani vient de publier un nouveau roman chez le même éditeur ‘‘Journal d’un apostat’’**, un roman-bourrasque pour faire tomber les feuilles mortes.
‘‘Journal d’un apostat’’ est un roman courageux qui fait l’inventaire des événements qui se sont déroulés de 2010 à 2016 et prend pour trame l’actualité post-14 janvier pour développer des réflexions qui pourraient paraître un peu trop tranchantes aux yeux de certains et pour véhiculer un discours pouvant paraître subversif ou passer pour un éloge éhonté de l’apostasie.
Les confessions d’un imam atypique
Dans ‘‘Journal d’un apostat’’, l’auteur dénonce franchement l’absurdité et la cruauté des fondamentalistes musulmans. Ce livre atteste la remarquable lucidité de l’auteur et son courage intellectuel. Une chose est sûre : on ne peut reprocher à Anouar El Fani sa frilosité vis-à-vis des ennemis de l’intelligence, de la rationalité et de la liberté. La lecture de son roman nous persuade que nous sommes en présence d’un écrivain tunisien qui mérite d’être davantage connu sous nos cieux.
‘‘Journal d’un apostat’’ est l’histoire d’un imam qui se confesse dans un journal intime, qui commence le vendredi 17 décembre 2010 et finit en janvier 2016.
Ce journal sert de trame à un récit inscrit sur une toile de fond d’une actualité brûlante, en l’occurrence les événements que connaît la Tunisie depuis 2011. Les velléités totalitaires des islamistes ont tout de suite éveillé en lui une méfiance à leur égard – il faut dire que c’est un imam atypique et d’une grande ouverture d’esprit.
Dans son journal, l’imam revient sur le règne de la «troïka», l’ex-coalition gouvernementale conduite par le parti islamiste Ennahdha, et le déferlement de haine et de violence qui s’est emparé de la Tunisie durant les années 2012 et 2013 où ils tenaient les rênes du pouvoir : le discours infâme des dirigeants, les hordes de salafistes qui semaient la terreur, les incidents du 9 avril 2012, les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, en 2013… Et, au fur et à mesure des méfaits commis par les extrémistes, le doute s’instille progressivement dans son esprit.
Réquisitoire sans appel contre le fanatisme islamique
Le projet totalitaire prôné par les islamistes, leur volonté de noyauter la société et les atrocités commises par ceux qui se nourrissent à la même sève spirituelle que lui le troublent profondément.
L’imam Ahmed commence alors à se poser des questions sur les origines du terrorisme islamique. Le genre de questions qui provoque chez le croyant un conflit intérieur et des tourments, voire une déchirure s’il ose franchir le pas en renonçant à sa religion, en devenant un apostat. Ahmed procède aux révisions les plus déchirantes. Après de longues réflexions, il abjure sa foi, et cela après plusieurs années de foi et de piété.
Il prend ainsi ses distances vis-à-vis des croyances et des dogmes religieux et finit par s’en départir d’une manière définitive après la révolution de janvier 2011. Il quitte l’islam et l’annonce à son épouse, ce qui provoquera un bouleversement sans précédent dans sa vie conjugale; son ménage n’en sortira pas indemne.
Ahmed se lâche dans la dernière partie du roman et dresse un réquisitoire sans appel contre le fanatisme islamique. Il revient sur la double victoire du camp démocrate et laïque de l’année 2014 (aux législatives et à la présidentielle) grâce, entre autres, à la mobilisation et la ténacité des Tunisiennes. Il parle également des ravages exercés en Syrie et en Irak par les jihadistes de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech).
L’on note qu’il y a de la profondeur dans les idées exprimées dans cette partie du roman, laquelle est parsemée de passages qui contiennent des illustrations historiques et des évocations à connotation symbolique : la fabuleuse Mésopotamie, les grandes civilisations antiques, la pensée d’Ibn Rochd qui allie la foi à la rationalité… Le protagoniste revient également sur les attaques terroristes perpétrées sur le sol français le 7 janvier (‘‘Charlie Hebdo’’) et le 13 novembre de la même année.
Le livre commence par un malaise, par des frémissements, par poser des questions qui annoncent une tempête intérieure, une métamorphose, pour finir par un réquisitoire des plus éloquents et convaincants contre le fanatisme islamique et les dogmes qui en découlent directement.
Anouar El Fani débat de son roman avec le public de Sousse.
Les contradictions et tourments d’un homme de foi
Dans ‘‘Journal d’un apostat’’, l’auteur propose une renaissance du monde musulman tout en s’adonnant à un pamphlet contre l’obscurantisme religieux.
L’on comprend que, pour l’auteur, l’heure de la réflexion et du courage intellectuel a sonné après plusieurs siècles de décadence.
Anouar El Fani dénonce l’intolérance des islamistes et la léthargie qui caractérise les sociétés musulmanes, il dénonce un mode de pensée archaïque qui fait que nos contrées sont bien souvent le théâtre de violence et de désolation, une violence qu’on s’évertue également à répandre aux quatre coins du monde.
L’écrivain, par la voix de son protagoniste, prône la nécessité de refonder l’islam. L’on sait toutefois combien il est difficile d’éveiller les consciences et d’instaurer un débat constructif quand la doxa est omniprésente, quand les dogmes et les traditions sont profondément enracinés dans les esprits formatés et entretenus par les médias et l’ensemble de la société ; ce qui explique un peu le pessimisme du personnage principal du roman, Ahmed.
Ce livre dépeint les multiples contradictions et les tourments d’un homme de foi face aux doutes et à la cruauté de ses coreligionnaires activistes. Il dépeint un homme qui se débat avec son engagement, sa foi, et qui finit par abjurer sa religion. Que l’on soit croyant, agnostique ou athée, les impressions qu’éveille ce texte changent forcément d’un lecteur à l’autre. Les réflexions développées dans ce livre sont servies par une plume exquise. Journal d’un apostat est un roman qui se doit d’exister, c’est celui d’un écrivain courageux qui s’attelle à une tâche salutaire pour les générations futures.
* Chercheur universitaire.
** Anouar El Fani a présenté, vendredi 5 mai 2017, à l’hôtel Karawan de Sousse, son roman pamphlétaire ‘‘Journal d’un apostat’’. L’événement a été organisé par le Rotary Club de Sousse et la présentation assurée par l’universitaire Yosr Rezgui Guetat.
Donnez votre avis