Donald Trump aurait pu – à peu de frais – envoyer un signal positif au monde musulman. S’il déclare un soutien franc et clair à la Tunisie.
Par Christian Caryl *
A présent, le déplacement du président Trump au Moyen-Orient est terminé. La monarchie saoudienne lui a servi en abondance cadeaux et flatteries et, en retour, il lui a offert des ventes d’armes au royaume et des éloges de son régime dictatorial. Ensuite, le chef de l’exécutif américain s’est rendu en Israël, où il a accordé au premier ministre Benjamin Netanyahou tout ce qu’il souhaitait.
L’Histoire offre à Trump une chance inouïe
Cela pouvait représenter un certain écart par rapport à l’approche du président Barack Obama, qui n’était en bons termes ni avec Riyad ni avec Tel-Aviv. De toute évidence, sur un plan plus général, Obama n’a jamais rompu avec la ligne diplomatique traditionnelle des Etats-Unis dans la région moyen-orientale. Il est arrivé au prédécesseur de Donal Trump de se chamailler avec Netanyahou et il a pu faire quelques déclarations sur la démocratie qui ont agacé certains de nos alliés arabes.
Alors que, dans le même temps, Israël, s’appuyant sur ses solides réseaux de soutien hors de la Maison Blanche, a tout simplement continué de faire ce qu’il voulait faire. Et le régime saoudien, lui aussi, pouvait exprimer son mécontentement à l’égard des sermons de M. Obama, mais la vie continuait comme si de rien n’était: le royaume saoudien continuait d’écouler son pétrole et d’exporter ses djihadistes et ses enseignements islamistes – et la police secrète et les tortionnaires saoudiens pouvaient poursuivre leur besogne…
Ainsi, même si ce voyage de Trump a été qualifié par certains observateurs de véritable nouveau départ, il s’agissait, en réalité, d’une reprise paresseuse de politiques établies de longue date – précisément, de politiques qui ont permis de perpétuer des dictatures corrompues, d’interminables vendettas et un dysfonctionnement latent sévissant à travers toute la région du Moyen-Orient et d’Afrique du nord. Le déplacement de Trump aurait dû faire, au moins, allusion à la possibilité d’un avenir différent pour la région. Au contraire, ce fut une occasion de rabâcher le passé. Et si Trump poursuit sur cette voie, cela représentera une tragédie colossale.
L’Histoire a accordé une chance inouïe à Trump d’envoyer un signal positif à une région qui semble avoir perdu tout espoir. Et il peut le faire sans compromettre les alliances établies, ni engager les Etats-Unis dans un nouveau bourbier interventionniste. En faisant cela, il pourrait porter un coup de massue à l’organisation terroriste de l’Etat islamique, Al-Qaïda et leurs semblables dépravés, sur un plan qui importe le plus, c’est-à-dire sur le plan politique.
Les Etats-Unis ont besoin de soutenir la Tunisie, l’unique success story de ce que l’on appelle le ‘Printemps arabe’. Durant les six dernières années, les Tunisiens se sont battus pour défendre leur jeune démocratie. A plusieurs égards, malgré les nombreuses échéances électorales que ce pays a organisées avec beaucoup de réussite et les nombreuses réformes mises en œuvre, la révolution tunisienne se poursuit. Cependant, les obstacles – économiques et politiques – auxquels leur pays est confronté demeurent énormes. Et jusqu’ici, la Tunisie n’a pas reçu le soutien qu’elle mérite vraiment. Tous deux, les Etats-Unis et les Européens, n’en ont pas fait assez pour la Tunisie. Malgré toutes les difficultés qu’elle a rencontrées, l’histoire de la Tunisie reste une source d’inspiration – non pas seulement pour les autres pays arabes, mais également pour le monde entier.
Pourtant, qui est-ce qui aux Etats-Unis a jamais entendu parler de cette réussite de la Tunisie? Le président des Etats-Unis devrait déclarer clairement son appui au combat que mène la Tunisie et il devrait, à la première occasion possible, visiter ce pays…
Pour la Tunisie, il ne s’agit pas de l’édification d’un pays
De plus, le président américain devrait tenter de convaincre les Européens –qui, selon la logique de leurs nombreuses proximités avec la Tunisie, devraient prendre la tête de cette campagne en faveur de la Tunisie, mais ils ont été distraits par leurs propres problèmes internes – à se joindre aux Etats-Unis pour mettre au point un programme d’assistance ambitieux et l’appliquer de toute urgence. (A propos, la Tunisie est un petit pays et, par conséquent, le qualificatif ‘‘ambitieux’’ veut dire en réalité ‘‘pas si énorme que cela peut être dans un ordre plus large des choses’’.)
Ainsi que l’a indiqué, l’an dernier dans un de ses documents d’orientation, l’Atlantic Council, un think tank spécialisé dans les relations internationales basé à Washington, les domaines où les Tunisiens ont clairement le plus besoin de soutien sont: la sécurité, le développement économique et la consolidation des institutions démocratiques du pays. Dans le cas de la Tunisie, il n’est nullement besoin d’édification d’un pays. La Tunisie dispose déjà de solides institutions étatiques et d’une communauté nationale politiquement motivée et engagée – et même d’une importante cohorte de femmes déterminées et instruites.
Les Tunisiens ont réalisé des progrès considérables. Cependant, aujourd’hui, leur expérience est au bord du désastre. Le marasme économique y est à son point le plus grave. La pauvreté et la corruption ne cessent de s’amplifier. Le chômage parmi les jeunes Tunisiens est très élevé. Les élites bien établies s’accrochent au pouvoir. Les extrémistes islamistes capitalisent sur le mécontentement croissant. Et, malgré toutes les réussites qu’elle a pu accomplir, l’on cite beaucoup plus souvent la Tunisie comme étant le pays qui exporte le plus de djihadistes pour prendre part à la guerre civile syrienne.
Et pourtant, essayez d’imaginer l’impact que pourrait avoir une mobilisation mondiale pour venir en aide à la Tunisie. Une relance de l’activité économique dans ce pays donnerait la preuve que les pays arabes peuvent trouver leur place dans le monde sans avoir à posséder nécessairement des mers de pétrole. Des campagnes anti-corruption peuvent administrer qu’il est possible de vaincre l’un des maux régionaux les plus ravageurs. Et la poursuite de la démocratisation constituerait une réponse dévastatrice à ces militants islamistes qui craignent le véritable «pouvoir du peuple» bien plus que toute autre chose!
Ainsi que je l’ai exprimé ailleurs, une réussite de l’expérience démocratique en Tunisie sera la réponse non-militaire la plus efficace que l’on puisse donner à l’Etat islamique. Et contrairement à la politique saoudienne de perpétuelle répression, l’exemple tunisien offrirait une chance de briser ces cycles interminables de violence et radicalisation.
L’avenir du monde arabe ne réside pas en Arabie saoudite. C’est en Tunisie qu’il se trouve. Un choix se présente à M. Trump: il peut continuer à soutenir des gouvernements qui incarnent les politiques défaillantes du passé. Ou il peut envoyer un message positif pour l’avenir.
Il est encore temps pour lui de saisir cette chance.
Texte traduit de l’anglais par Marwan Chahla
*Christian Caryl est rédacteur au service Opinions globales du ‘‘Washington Post’’.
** Le titre original de l’article « Trump a envoyé le mauvais signal au monde musulman», les intertitres sont de la rédaction.
Source: ‘‘Washington Post’’.
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