Hamma Hammami doit apprendre à être humble, à se passer du pompeux convoi de protection rapprochée et à cesser de se complaire dans la posture de la victime.
Par Salah El-Gharbi
Une semaine après avoir annoncé son intention d’entamer une grève de la faim pour soutenir son mari et protester contre l’allègement du dispositif sécuritaire mis à sa disposition par les autorités, Radhia Nasraoui a réaffirmé sa détermination d’aller jusqu’au bout de son action, «jusqu’à la mort s’il le fallait», dit-elle…
Ainsi, et face au mutisme de Carthage et de la Kasbah, qui ne semblent pas prêter trop attention à leur menace, Hamma Hammami et sa femme font monter la pression en haussant le ton, prenant à témoin l’opinion. «Sous l’ex-ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou, et à la suite des assassinats de Chokri Belaïd et de Mohammed Brahmi, j’ai été alerté à trois reprises par les autorités sécuritaires des sérieuses menaces dont j’étais l’objet», a expliqué le porte-parole du Front populaire (FP), avant d’ajouter sur un ton grave: «Je ne voudrais pas mourir par traîtrise. Je voudrais mourir debout». On est en pleine tragédie shakespearienne…
Un non-événement
L’attitude du couple Hammami, qui consiste à sur-médiatiser la levée de la protection rapprochée dont jouissait jusque-là le dirigeant de gauche, ne semble manifestement pas produire l’effet escompté.
On s’attendait à une levée de bouclier générale, au moins à gauche, et voilà que la montée du couple au créneau se transforme en un non-événement, sanctionnée par les remarques amusées sur les réseaux sociaux, où l’on ne cesse, depuis plusieurs jours, de commenter ironiquement la démarche du leader de gauche et de son épouse, que certains qualifient d’«inappropriée», d’«outrancière» voire même de «mesquine».
Même les ténors de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), réputés proches du FP, n’ont accordé qu’une attention distraite aux gesticulations de Hamma et Radhia. Ils ont préféré pester contre l’invitation de l’humoriste Michel Boujenah au Festival Carthage. C’est, paraît-il, beaucoup plus grave.
Pis encore, même les autres dirigeants du FP n’ont pas rivalisé de zèle pour exprimer leur soutien à leur porte-parole. Il est étonnant que Zouhair Hamdi n’ait réagi que deux jours après la conférence de presse de Radhia Nasraoui annonçant sa grève de la faim, pour fustiger la décision des autorités, accusées de vouloir porter atteinte au Front.
Les mots utilisés par Hamma et Radhia (conspiration, mort, sacrifice, etc.) semblent tout droit sortis d’une tragédie grecque dont les héros seraient ce couple de militants emblématiques de la gauche tunisienne… qu’on aurait aimé voir dans des rôles plus glorieux ou, tout au moins, moins frivoles et risibles.
La grève de la faim de 2017 n’a pas eu le même impact médiatique que celle de… 2005.
La posture de la victime
Personne ne nie que Hamma Hammami reste un personnage public important, respecté – et pas seulement à gauche – pour son passé de farouche militant, adulé par beaucoup de Tunisiens et jouissant d’une notoriété qui ferait pâlir de jalousie beaucoup de nos hommes politiques. L’homme est, également, très apprécié des journalistes qui trouvent en lui un «bon client». Mais, autant on peut avoir de la sympathie pour le personnage, autant on est surpris, voire désarçonné par sa dernière démarche, qui le décrédibilise davantage au moment où il a du mal à se faire prendre réellement au sérieux par l’opinion publique, qui ne comprend pas sa propension à s’opposer à tout, y compris à la guerre contre la corruption lancé par le chef du gouvernement, et à observer un silence assourdissant à chaque fois que sa voix aurait dû résonner très fort, comme lorsque les avocats – dont sa douce moitié – se sont opposés à une loi qui les oblige à payer leurs impôts comme le reste des contribuables.
Les arguments de Hamma et Radhia ont d’autant plus de mal à passer que personne ne peut imaginer que la présidence de la république ou le ministère de l’Intérieur ait pu prendre une décision aussi importante que l’allègement du dispositif de protection rapproché d’un dirigeant politique de façon légère et non étudiée. On voit mal, en effet, comment un responsable politique digne de ce nom prendrait des risques en exposant au danger la vie d’un opposant aussi important.
«On veut se débarrasser de Hamma», ne cesse de répéter Radhia Nasraoui. On est tenté de lui répliquer : qui, aujourd’hui, aurait sérieusement peur du porte-parole du Front populaire?
Certes, Hamma reste un personnage charismatique, un grand tribun, toujours fringant, charmeur, connu pour son exubérance, ses outrances verbales et sa pugnacité de débatteur. Mais toutes ces raisons sont loin de faire de lui une menace pour le pouvoir en place. Les 200.000 voix obtenues par le leader du Front populaire lors des présidentielles de 2014, c’est de l’histoire ancienne. Faute d’avoir mis à profit ce résultat inédit et cet acquis inespéré, le leader de gauche ne fait que patauger, réduit à ruminer un discours politique devenu obsolète et de plus en plus inaudible, même au sein de son propre public.
Hamma doit désormais apprendre à être humble, à se passer du pompeux convoi de protection rapprochée et à cesser de se complaire dans la posture de la victime. S’il veut durer et sortir de l’isolement politique dans lequel il semble être confiné au sein même de sa propre formation, il n’a qu’à faire preuve de plus d’imagination et de chercher à se réinventer un discours qui tienne compte des nécessités du moment.
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