Kamel Eltaief est l’ennemi juré de Chafik Jarraya, le baron de la contrebande ami des islamistes.
Il n’y a pas qu’en Turquie que les islamistes ne sont pas kémalistes. En Tunisie aussi, c’est le cas. Sauf que chez nous, il ne s’agit pas de Kemal Atatürk mais de Kamel Eltaïef.
Par Chedly Mamoghli *
L’homme d’affaires et lobbyiste politique est un personnage qui, depuis les années 1980, ne laisse personne indifférent et dont la discrétion peut alimenter interrogations légitimes, gêne et incompréhension. Elle peut aussi alimenter les commérages et les fantasmes les plus farfelus qu’adorent servir certains politiques à l’opinion publique et à une certaine presse si friande des médisances.
Pourquoi cette fixation sur Kamel Eltaïef ?
Dimanche soir, 23 juillet 2017, je lisais un article dans un journal électronique de la place reprenant et décortiquant un statut Facebook de Imed Daïmi.
L’actuel député, ancien secrétaire-général du Congrès pour la république (CPR) et ancien directeur du cabinet présidentiel à l’époque du président provisoire Moncef Marzouki, développe le moins que l’on puisse dire un trouble obsessionnel à l’égard d’Eltaïef doublé d’une haine viscérale. Il lui souhaite ouvertement la prison, se délecte en disant que la cellule attenante à celle de Chafik Jarraya serait le meilleur endroit pour préserver Kamel Eltaïef d’un éventuel kidnapping. Il parle de «ghorfet améliyet» (salle d’opération) qu’il dirige, use et abuse d’un vocabulaire qui pourrait laisser libre cours aux fantasmes dont certaines personnes raffolent.
Et Imed Daïmi n’est pas le seul, les islamistes et leur appendice, le CPR, depuis rebaptisé Harak Tounes Al-Irada, se sont assignés une mission bien déterminée, faire écrouer le lobbyiste. On se souvient de ce que Mohamed Ben Salem, dont le passage à la tête du département de l’Agriculture a marqué l’histoire agronomique tunisienne, a dit au chef du gouvernement Youssef Chahed, la semaine dernière, à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Et quand on n’est pas dupe, on se pose des questions: pourquoi cette fixation sur Kamel Eltaïef?
Et bien c’est simple, il y a un grand scandale, celui de la Banque franco-tunisienne (BFT), qui va coûter des centaines de millions de dollars à l’Etat, et dans lequel serait impliqué le gendre de Ben Salem et le pote de Daïmi, l’ancien ministre des Domaines de l’Etat, Slim Ben Hmidène.
Il y a aussi le très grave dossier Syphax Airlines, qui nous rappelle la grandeur et la décadence d’une autre compagnie que nos frères algériens connaissent si bien, Khalifa Airlines.
Une stratégie de la diversion
Ils veulent faire oublier aux Tunisiens ces scandales et ces dossiers explosifs en inventant des histoires pleines de fantasmes sur Eltaïef. Stratégie de la diversion. Certes, le concerné a toujours été influent mais il ne faut pas délirer et lui prêter tout et n’importe quoi.
A seulement 32 ans, il a été la cheville ouvrière de la destitution de l’ancien président Habib Bourguina, le 7 novembre 1987, et a été le véritable «patron» de celui qui a succédé à ce dernier, Zine El Abidine Ben Ali, jusqu’à 1992, avant de narguer l’ancien dictateur et de se mettre au service de l’opposition. Il a ainsi aidé tous les opposants, des plus libéraux et aux plus gauchistes. Ils peuvent toujours essayer de minimiser son rôle, cela ne marchera pas. Ils sont tous ses copains : de Néjib Chebbi à Radhia Nasraoui qui, en 2000, prit sa défense, lorsqu’il avait publié une opinion sur la corruption de la famille de Ben Ali, à l’époque de «sénéwét el jamr» (années de braise), alors que son époux Hamma Hammami était entré dans la clandestinité.
Ce dernier a aussi mis à disposition de l’opposition tunisienne ses relais dans la presse française.
Egalement, homme de réseaux et bénéficiant d’un entregent varié, il a toujours entretenu de bons rapports avec les Américains et toujours été proche du pouvoir algérien.
Cependant, il connaît ses limites et ne s’aventure pas dans les domaines où d’autres se sont faits piéger, ce n’est pas un contrebandier et n’est pas lié à l’envoi de la chair à canon en Syrie. Il n’a pas un frère qui a une association louche à la réputation sulfureuse et financée par la fondation de Cheikha Mozah et sur laquelle pèsent de lourds soupçons sur d’éventuelles collusions avec les réseaux terroristes et l’envoi des jeunes gens en Syrie.
Eltaïef n’a pas inscrit son fils au Lycée Cailloux tout en insultant la France et la francophonie et en se la jouant le Don Quichotte de la langue arabe en traitant les francophones d’orphelins de la France.
En définitive, Kamel Eltaïef est influent et a un réseau qu’il s’est constitué au fil des ans mais il ne faut pas non plus délirer et lui prêter les pouvoirs des méchantes des dessins animés de Disney. Il ne faut pas tomber dans le ridicule. Tout ce qui est exagéré est insignifiant, dit l’adage. Mais on l’a bien compris, Eltaïef est aux islamistes tunisiens ce que Fetullah Gülen est à Erdogan. Si jamais malheur arrive à la Tunisie et que les islamistes accaparent le pouvoir et s’enracinent, créeront-ils peut-être un chef d’inculpation «collusion avec Kamel Eltaïef» comme le fait aujourd’hui l’idole des islamistes tunisiens en Turquie avec Gülen pour se débarrasser de ses adversaires?
* Juriste.
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