Les islamistes sont responsables de la montée de la violence en Tunisie et dans toute la région.
Ennahdha, filière de l’organisation agonisante des Frères musulmans, ne pourra que prolonger sa propre agonie en louvoyant et en baissant ses frocs. Sa fin est imminente.
Par Moncef Kamoun *
Ennahdha est le parti politique islamo conservateur issu de la mouvance des Frères Musulmans. Créé en 1981 dans l’illégalité, il sera légalisé 30 ans après, soit le 1er mars 2011, par le gouvernement d’union nationale instauré après la révolution du 14 janvier 2011.
Son principal objectif, au-delà de la logorrhée soporifique et lénifiante de ses dirigeants : instaurer un Etat islamique fondé sur l’application de la charia.
Les islamistes à l’assaut de l’Etat
La période de la révolution du 17 décembre au 14 janvier 2011, Ennahdha se faisait le plus silencieux possible pour ne pas provoquer le courroux de la dictature. Le jour où tout a basculé, suite à la fuite de Ben Ali, la machine du mouvement islamiste tunisien a allumé ses moteurs.
Rached Ghannouchi, chef historique du mouvement, est retourné en triomphateur, le 30 janvier 2011 après plus de 20 ans d’exil à Alger, à Khartoum, puis à Londres. Plusieurs milliers de ses adeptes l’attendaient à l’aéroport de Tunis-Carthage.
De nouvelles structures dirigeantes ont été créées avec un comité constitutif de 33 membres et un bureau exécutif de 13 membres.
Hamadi Jebali, secrétaire général du mouvement, s’est rendu à Washington, en mai, sur l’invitation du Centre d’étude de l’islam et la démocratie (CSID), dirigé par un militant du mouvement, Radwan Masmoudi, et rencontré, à cette occasion, les sénateurs John McCain et Joseph Lieberman.
Ennahdha est sorti vainqueur des élections de la l’Assemblée nationale constituante (ANC), en octobre 2011, en remportant 40% des sièges.
Dès qu’il a accédé au gouvernement et imposé son contrôle sut l’Etat et ses institutions, Ennahdha n’a pas tardé à faire tomber le masque et montrer une nette volonté dictatoriale, dont ont souffert même ses alliés de la «troïka», la coalition gouvernementale qui gouvernera la Tunisie de janvier 2012 à janvier 2014. Il a gouverné sans concessions aucune à l’opposition, pensant sans doute qu’il a pris le pouvoir pour l’éternité.
Nagdh lynché à mort par des islamistes.
Les islamistes perdent le soutien populaire
Manque de compétence et mauvaise gouvernance ont été les marques de son règne. Il a entamé son mandat sans programme économique et social et en l’absence totale de feuille de route, multipliant les gaffes qui ont conduit à des résultats désastreux à tous les niveaux : dégradation de l’Etat, creusement des déficits publics, accentuation du chômage et aggravation de l’insécurité totale avec la montée de l’extrémisme religieux et du terrorisme.
Chaque semaine nous apportait son lot de maladresses, de scandales et de décisions inappropriées. Conséquence : la plupart des Tunisiens ont perdu toute confiance dans ces gens qui, disait-on alors, «craignent Dieu», mais dont on a découvert, peu à peu, qu’ils ont une grande soif de pouvoir et sont aussi solubles dans l’argent que le clan des Ben Ali-Trabelsi dont on venait de se débarraser.
On ne peut énumérer toutes les erreurs commises par les 2 gouvernements de la «troïka» ou sous le règne direct des islamistes. On me contentera de passer en revue les plus graves qui ont suscité le plus de réactions négatives.
Funérailles nationales de Chokri Belaid, assassiné par des islamistes.
• La rupture des relations diplomatiques avec la Syrie :
Quarante jours après son investiture, Ennahdha a décidé de fermer l’ambassade de Tunisie en Syrie et de rapatrier le personnel diplomatique suite à la décision des Frères musulmans et du Qatar.
• Le lundi noir, 9 avril 2012 :
Des manifestants s’étaient rassemblés au centre-ville de Tunis pour commémorer la Fête des Martyrs à la mémoire des victimes de la répression du 9 avril 1938 par l’armée française. Des heurts ont éclaté entre policiers et des manifestants, hostiles au gouvernement. Ils seront violemment réprimés par une sorte de police parallèle à la solde d’Ennahdha. Et l’avenue Habib Bourguiba sera interdite pour la première fois de son histoire à tous les rassemblements.
• La honte nationale pour les droits de l’homme :
Le 24 juin 2012, Baghdadi Mahmoudi, ancien Premier ministre libyen, a été extradé vers la Libye. Hamadi Jebali, alors chef du gouvernement, a affirmé que le gouvernement libyen lui a fourni toutes les garanties d’un procès équitable.
Les islamistes font flotter le drapeau noir des jihadistes sur le toit de l’ambassade américaine à Tunis.
• L’attaque de l’ambassade des Etats-Unis :
Le vendredi 14 septembre 2012, deux jours après l’assassinat, le 11 septembre, de Christopher Stevens, l’ambassadeur américain à Benghazi, en Libye, et de trois employés de l’ambassade, des centaines de salafistes sortis de la mosquée El-Fath, connu pour être le lieu où prêchait le ministre des Affaires religieuses, sont allés jusqu’au siège de l’ambassade américaine, aux Berges du Lac de Tunis, soit 12 kilomètres à pied, et ont pu atteindre leur but: remplacer le drapeau américain par le drapeau noir des salafistes jihadistes au fronton du bâtiment, avant d’y pénétrer de force, de fracasser des portiques en verre et de mettre le feu à des dizaines voitures stationnées dans le parking.
• Premier assassinat politique après l’indépendance:
Dix mois à peine après la prise du pouvoir par Ennahdha, la Tunisie vit son premier assassinat politique. En effet, le 18 octobre 2012, Lotfi Nagh coordinateur de Nidaa Tounes à Tataouine, a été lynché jusqu’à la mort devant son lieu de travail par des groupes extrémistes appelés Ligues de Protection de la Révolution, affiliés à Ennahdha et au Congrès pour la république (CPR), de l’ancien président par Intérim Moncef Marzouki, placé par les islamistes au Palais de Carthage. Il a laissé derrière lui 6 orphelins.
• La répression violente de la marche pour la dignité à Siliana :
Le 28 novembre 2012, les habitants de Siliana quittent leur ville pour une marche symbolique de 137 km. La ville a été depuis ce jour le théâtre d’un drame à huis-clos, marqué par de violents affrontements entre les forces de l’ordre et des citoyens ayant fait plus de 200 blessés.
• L’attaque du siège de l’UGTT :
Le siège de l’Union générale tunisienne du Travail (UGTT) à Tunis a été attaqué, le mardi 4 décembre 2012, le jour de la commémoration du 60e anniversaire de l’assassinat du leader syndicaliste Farhat Hached. Les membres de l’UGTT ont été surpris par les milices de la Ligue de protection de la révolution qui criaient «dégage» et appelaient à l’assainissement de l’UGTT : 10 membres de l’organisation ont été blessés.
Un tireur islamiste embusqué tire une dizaine de balles sur Mohamed Brahmi, devant son domicile.
• La journée du grand deuil national :
Le 6 février 2013, le dirigeant de gauche Chokri Belaïd a été assassiné par balles devant son domicile. Ce meurtre a déclenché de nombreuses manifestations dans tout le pays. Un peu plus d’un million de personnes ont assisté à ses funérailles nationales, tous accusaient nommément Ennahdha et Rached Ghannouchi de son assassinat.Le jour même, pris de panique, Hamadi Jebali annonce la dissolution de son gouvernement.
• La journée nationale de la colère :
Le 25 juillet 2013, un autre dirigeant de gauche, le constituant Mohamed Brahmi a été assassiné devant son domicile, par 10 balles tirées par un tireur embusqué, sous les yeux de sa famille : il décèdera quelques minutes plus tard à l’hôpital. L’UGTT a annoncé une grève générale pour le lendemain, la troisième de son histoire.
Le 26 juillet, des centaines de manifestants ont défilé dans la capitale demandant le départ du gouvernement de l’islamiste Ali Larayedh, qui a succédé à Hamadi Jebali. Une crise majeure s’est installée dans le pays. Et c’est grâce à une société civile active et vigilante et des organisations nationales apolitiques, disposant d’un crédit historique majeur et d’une réelle légitimité auprès des acteurs politiques et de la population, que le pays a pu s’en sortir.
En octobre 2012, un dialogue national a été organisée, à la demande de la centrale syndicale, afin d’initier un débat pour rapprocher les protagonistes et réduire les tensions nuisibles au traitement des questions sociales en suspens. C’est ainsi que, sous la pression de la rue, et notamment du long sit-in Errahil, qui a duré plusieurs semaines, devant le siège de l’Assemblée au Bardo, que le Premier ministre d’Ennahdha s’est résigné à démissionner.
Abdelfattah Al-Sissi Prend le pouvoir en Egypte: fin de partie pour les Frères musulmans.
Ennahdha perd ses soutiens politiques
Outre la résistance et au rejet auxquels ils ont fait de la part de la société tunisienne, et notamment des femmes, les islamistes ont aussi subi un contrecoup dont ils ne se relèveront pas : le 3 juillet 2013, l’armée égyptienne renverse le président Mohamed Morsi, un peu plus d’un an après son investiture.
Le président déchu était président du Parti Liberté et Justice (PLJ), vitrine politique des Frères musulmans, soutenu par le Qatar. Il avait remporté les élections avec 51,7 % des suffrages.
Trois mois après sa destitution, un tribunal égyptien a interdit les activités de la confrérie et gelé ses avoirs financiers jusqu’à ce que ses dirigeants soient jugés pour des faits criminels qui leur sont reprochés. Cette implacable campagne a fait à ce jour plus d’un millier de morts et a conduit à des milliers d’arrestations dans les rangs des islamistes, notamment la quasi-totalité de la direction des Frères musulmans.
L’Egypte a ensuite déclaré officiellement que les Frères musulmans sont une organisation terroriste, une décision qui a donné aux autorités le pouvoir d’inculper tous ses membres.
Cette perte du pouvoir en Egypte a représenté un sacré échec pour les Frères musulmans, l’Egypte étant considérée comme l’un des principaux axes du redéploiement régional de l’internationale islamiste. Surtout après le début de l’échec en Syrie.
La chute des Frères musulmans en Egypte et dans tout le monde arabe est sans doute une grosse perte pour Ennahdha, qui voit ses soutiens politiques à l’échelle internationale se réduire comme peau de chagrin.
Arabie saoudite-Etats Unis : un nouvel axe anti-Frères musulmans.
Ennahdha perd ses soutiens financiers
Le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite et ses alliés (Egypte, Emirats, Bahreïn, etc.) annoncent la fin des relations diplomatiques avec le Qatar auquel ils reprochent de financer le terrorisme par l’intermédiaire des Frères musulmans. Ce conflit entre l’Arabie saoudite et le Qatar couve en réalité depuis plusieurs années puisque Riyad avait longtemps soutenu financièrement les Frères musulmans pendant plusieurs décennies avant de les abandonner dans les années 2000 à cause de leur caractère de plus en plus agressif et ouvertement antimonarchique. Le Qatar avait pris alors la relève du financement de cette organisation considérée comme une arme anglo-américaine de déstabilisation du monde musulman.
Ce tandem Qatar/Frères Musulmans était à la pointe lors du printemps arabe pour changer les régimes et permettre aux Frères musulmans de prendre le pouvoir en Égypte, en Tunisie, en Libye et en Syrie où ils disposent de satellites et de relais.
Le Qatar, par son hyperactivité et profitant du contexte, va alors supplanter l’Arabie saoudite dans un domaine qui lui appartient historiquement. Mais si cela a moyennement marché en Egypte, en Tunisie et en Libye, l’échec des jihadistes en Syrie a été un coup très dur, qui a affaibli largement le Qatar.
L’émir du Qatar sur un siège éjectable : ici avec son serviteur Moncef Marzouki.
Dans ce contexte et profitant de la visite de Donald Trump à Riyad, en mai dernier, venu redonner un nouveau souffle aux liens historiques entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis, des contrats commerciaux et d’armement de plus de 300 milliards de dollars ont été signés entre les deux parties. Les Saoudiens ont profité de l’occasion pour avoir l’aval américain pour faire changer le régime au Qatar et se débarrasser de cet encombrant et incontrôlable voisin.
Aujourd’hui tout laisse à penser que l’année 2017 pourrait être celle où l’organisation des Frères musulmans sera criminalisée et consignée sur la liste des organisations terroristes des principales puissances mondiales. Voilà sans doute un des tournants majeurs que l’espace arabe vient de connaître, la mort annoncée de ce mouvement qui a explosé dès qu’il s’est trop approché du pouvoir. Et dans le sillage de cette explosion, Ennahdha pourra commencer à compter les jours qui lui restent.
*MK Architecte.
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