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Père en deuil et imam en pleurs : L’amour est plus fort que la haine

Un père catalan en deuil a poussé la magnanimité jusqu’à déclarer avoir une pensée pour les parents des terroristes qui ont tué son enfant… 

Par Jamila Ben Mustapha *

Depuis la première invasion de l’Irak par une coalition de plusieurs pays, en 1990, on assiste à des actions guerrières successives de la part des pays du Nord, qui ont conduit à l’éclatement de plusieurs nations (Irak, Afghanistan, Libye, Syrie) et décimé des populations civiles. Ces guerres ont engendré, à leur tour, une série de réactions de la part de certains ressortissants de pays arabo-musulmans, affiliés à des organisations terroristes de plus en plus virulentes : Al-Qaïda, Daech…

 

Le cercle vicieux de la haine et du désir de vengeance

Ces dernières œuvrent autant à l’intérieur de leurs contrées d’origine, selon un processus frappant d’autodestruction, qu’à l’extérieur.

Dans le Nord comme dans le Sud, au hasard des attaques à la voiture-bélier et des explosions de bombes, des innocents trouvent la mort. On est ainsi installé, depuis quelques décennies, dans le cercle vicieux de la haine et du désir de vengeance.

Du point de vue des musulmans émigrés en Europe, les actes terroristes qui s’y produisent sont une véritable catastrophe et ont une efficacité négative redoutable : ne se souciant aucunement de leurs coreligionnaires vivant dans ces pays, les auteurs des attaques contribuent à leur rendre la vie impossible en élevant un mur de haine entre deux communautés condamnées, pourtant, à vivre ensemble.

Le dernier grand attentat commis, ces derniers temps, est celui à la voiture-bélier sur La Rambla, à Barcelone, le 17 août 2017, qui a fait 15 morts et plus d’une centaine de blessés. La photo diffusée du tueur souriant, Younès Abou Yaaqoub, un jeune de 22 ans, montre un visage d’ange à qui on aurait donné le bon dieu sans confession! Parmi les victimes, on compte un Australien de 7 ans et un Catalan de 3 ans.

Répliquer par la main tendue plutôt que par la haine

Lors de la cérémonie d’hommage à l’enfant espagnol diffusée dans une vidéo, nous avons vécu un événement inattendu qui s’est révélé être un très grand moment : le père en deuil, Javier Martinez, a tenu à serrer dans ses bras, devant les centaines de présents et face à la caméra, l’imam de la même nationalité que le terroriste, et qui, submergé par l’émotion, a fondu en larmes. Puis il a attiré à lui, par un merveilleux sourire, alors qu’il venait de perdre de façon violente son fils de 3 ans, des enfants maghrébins présents, qui se sont mis à l’entourer de tous les côtés.

En plein milieu de ce mécanisme infernal de la violence, voilà qu’il nous a été donné de vivre, le jeudi 24 août, une pause brève, précieuse, un moment de grâce, «quelques instants de finesse dans ce monde de brutes» : dans un élan christique et selon une situation inversée, c’est la victime qui réconforte le représentant du groupe auquel appartient le tueur de son enfant, préférant répliquer par la main tendue plutôt que par la haine. Ce père en deuil a poussé aussi la magnanimité jusqu’à déclarer avoir une pensée pour les parents des terroristes !

Cet acte exemplaire est parlant pour toutes les catégories de population : aux musulmans de Catalogne, il constitue l’équivalent d’un baume, face à l’hostilité attendue des autochtones; aux Catalans, il leur offre une autre possibilité que l’impasse représentée par la montée exponentielle de la haine; aux terroristes cachés, confirmés ou en herbe, il risque de les désarmer, de les démobiliser quelque peu en perturbant le mobile qui les fait agir: le rejet systématique de l’autre, leur faisant découvrir la puissance de l’amour par rapport à la haine.

Le père endeuillé a voulu transformer un acte barbare en occasion de rapprochement et non de séparation.

Pour que la mort d’un enfant serve à quelque chose

Instinctivement, ce père a voulu lutter efficacement contre toute recrudescence de racisme, par un geste plus riche que mille paroles. On répète souvent qu’il ne faut pas faire d’amalgame entre un terroriste et ses compatriotes. Au lieu de se contenter de le dire, Javier Martinez a préféré mettre en pratique cette affirmation par un geste symbolique immortalisé par la caméra.

Pour que «la mort de son fils serve à quelque chose», comme il l’a déclaré, ce père a voulu transformer un acte barbare et absurde en occasion de rapprochement, et non de séparation – ce qu’il était destiné à être, pourtant –, entre deux communautés appelées à partager les mêmes lieux de vie.

Les hommes tels que nous les voyons à travers le bruit et la fureur des événements politiques, manifestent souvent de grandes capacités de laideur. Dans des occasions rarissimes comme celle-ci, ils atteignent une élévation, une grandeur qui éclate, devant nos yeux embués de larmes comme ceux de l’imam et du père en deuil, en véritable apothéose !

Avant la perte irréparable de son enfant, Javier Martinez était un être anonyme. Par cette étreinte avec l’imam marocain suggérant une fraternité souhaitée, malgré le terrorisme, entre les deux communautés, il s’est transformé en héros.

La haine ronge et dévaste, d’abord, l’être qui l’éprouve. L’élan vers l’autre est peut-être un moyen de rendre la souffrance plus supportable.

* Universitaire et écrivaine, auteure de « Ruptures » (Déméter, 2017).

 

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