L’année 2018 risque d’accentuer l’injustice sociale, l’iniquité fiscale, la disparité des pouvoirs d’achat et le surendettement extérieur, les malédictions de l’économie tunisienne.
Par Mohamed Chawki Abid *
Depuis l’adoption du projet de «réforme fiscale» en 2014, il était convenu d’étendre la base fiscale, de récupérer les créances impayées, de diminuer la pression fiscale sur les contribuables surtaxés, et de sévir contre les défaillants et ce, en vue d’assurer graduellement une évolution vers l’équité fiscale promise.
Trois ans après, rien n’a été fait conformément au plan d’actions. Bien au contraire, des dispositions fiscales ont été décrétées pour amplifier la disparité contributive et encourager l’évasion fiscale.
Consécration des malfaiteurs et torture des contributeurs
Au vu de projet qui circule sur les canaux électroniques, la Loi de Finances 2018 consolide la consécration des malfaiteurs et la torture des contributeurs, ce qui est contraire au fondement constitutionnel de la république.
Sur le plan de la gestion des finances publiques, au lieu de recourir :
1) au lancement d’assauts contre les débiteurs vis-à-vis du fisc (≈4 milliards de dinars tunisiens, MdDT) et des douanes (≈3 MdDT);
2) à l’application de la loi en matière de traque contre la fraude déclarative et l’évasion fiscale (≈10 MdDT/an);
3) à l’implémentation du plan de réforme fiscale finalisé en 2014, dans une perspective de répartition équitable;
4) au recensement et à l’intégration du secteur économique non soumis au système fiscal;
5) au recouvrement des primes d’investissement indûment touchés notamment par les IDE (≈2 MdDT/an);
6) à la rationalisation des subventions de fonctionnement abusivement consommées (≈1 MdD/an);
7) et à l’implémentation des mesures numériques décidées dans le cadre des Lois de Finances 2016 & 2017… le gouvernement «BCE 4» propose une Loi de Finances 2018 revêtue d’une intensification de sa politique confiscatoire à l’égard des contribuables disciplinés (fiscalité directe et indirecte), ainsi que d’un maintien de son attitude généreuse à l’adresse des champions de l’évasion fiscale, de la fraude comptable, du traficotage douanier, et des consommateurs récurrents de subventions.
Alors que les experts en la matière ne cessent de marteler que «trop de taux tuent les totaux», nos princes pensent pouvoir augmenter en 2018 les recettes fiscales par une hausse des taux (fiscalité directe & indirecte). Ils oublient que la réalité ne correspond pas à la règle de proportionnalité. Il suffit que les revenus soient judicieusement minorés de ≈6%, pour que la cagnotte de 2018 s’inscrive en baisse par rapport à 2017.
Visiblement, ils veulent booster substantiellement l’économie souterraine, inciter les champions de l’évasion fiscale à la persévérance, et pousser les contribuables-payeurs à développer la composante «noire» de leurs revenus. Seuls les salariés ne vont pas pouvoir échapper à cette suppression contributive, de par leur asservissement au moyen de la retenue à la source.
Le déficit commercial est-il une fatalité ?
Quant au souci de la maîtrise des «flux extérieurs», notamment le déficit commercial et la tension sur la balance des paiements, au lieu de prioriser :
a) l’abrogation du décret-loi 2011-98 autorisant les FCR à enfreindre la réglementation des changes;
b) la réparation des carences réglementaires favorisant ou facilitant la fuite de capitaux (≈2Md $/an);
c) la sanction des sociétés offshores fictives (≈12.000) servant de sociétés écrans livrant de faux-services;
d) et la maîtrise des importations notamment par la réduction du flux de biens de consommation superflus (≈6 MdD/an)… les autorités compétentes privilégient le recours excessif à l’endettement extérieur, quand bien même improductif, dominé par des prêts destinés à financer la consommation importée et non l’investissement créateur de valeur ajoutée.
S’agissant du derniers cas, si elles cherchaient réellement à infléchir l’aggravation du déficit commercial et à maîtrise la structure de la balance des paiements, elles devraient cesser d’être intimidées par le lobby des importateurs de biens de consommation, et devraient entamer rapidement l’implémentation de mesures urgentes visant la réduction substantielle des importations superflues, et notamment :
1) réinstaurer le taux de compensation de 50% pour toutes les activités d’importation de biens de consommation (fringues, autos…);
2) appliquer les dispositions des deux lois 96-106 et 99-09 prévoyant l’instauration de quota, relèvement des tarifs douaniers, institutions de normes qualitatives, etc. (en cas de dérapage excessif de la balance commerciale ou d’importation
de produits dumping);
3) rétablir les barrières tarifaires avec les pays non conventionnés (tels que la Chine, et autres pays du sud-est asiatique);
4) négocier l’enclenchement des mesures de sauvegarde prônées par l’OMC et prévues dans les conventions de libre-échange en vigueur (Union européenne, Turquie…).
Malheureusement, et à l’exception de quelques annonces sporadiques dans les médias, le chef de gouvernement Youssef Chahed et son ministre du Commerce n’entendent prendre aucune mesure pour ne pas mécontenter l’état major de l’Utica.
Après avoir souffert de l’autocratie uninominale, le peuple se trouve être terrorisé sous l’emprise de l’autoritarisme oligarchique.
Alors que l’injustice sociale, l’iniquité fiscale, la disparité des pouvoirs d’achat et le surendettement extérieur sont quatre malédictions condamnées par la Constitution de 2014, l’on constate que la médiocratie s’installe aux commandes de l’État, le copinage devient la règle, la corruption se propage, la disparité du pouvoir d’achat s’accentue, la fracture sociale s’amplifie, l’évasion fiscale se banalise, la fraude douanière se généralise, la fuite de capitaux se «légitimise».
Si le gouvernement en exercice continuait à être laxiste face aux multiples problématiques et généreux vis-à-vis de la délinquance économique, à quoi devrions-nous nous attendre dans quelques mois?
La plupart des initiés voient une année cruelle se dessiner à l’horizon, quand elle ne sera pas barbare.
* Ingénieur économiste.
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