«Depuis sa naissance, le Club africain a toujours évolué dans l’adversité», disait une grande figure du club de Bab Jedid, qui ne croyait pas si bien dire.
Par Hassen Mzoughi
Aujourd’hui, c’est jour de naissance du CA, un grand club de Tunisie. Cette naissance est à placer dans un contexte où les Tunisiens focalisaient sur la création d’associations sportives, au début du 20e siècle.
Les Tunisiens avaient mis à profit des événements majeurs : l’annonce du principe d’auto-détermination et d’indépendance pour les pays soumis dans les 14 points du président américain Wilson et le développement d’une conscience nationale.
Ce ne fut pas fortuit que l’année 1920 enregistra la naissance du premier mouvement politique tunisien : le Parti libéral constitutionnel (Al-Hizb Al-Horr Addoustouri).
A l’époque, Tunis, et surtout sa médina, avait une unité territoriale et identitaire, et ce n’est que plus tard, à la suite de la création du Club africain que la vieille ville de Tunis fut divisée, le quartier de Bab Jedid ayant été le premier à forger sa propre identité autour de ce club.
Un club qui doit tout à la ferveur de son public.
Un premier président tunisien
Le CA fut autorisé à exercer le 4 octobre 1920 après la tenue de l’assemblée générale constitutive, dans un café, à Bab Jedid. Le premier siège social du club fut le « Makhzen Essouf » (Dépôt de laine), situé dans le quartier El-Morkadh (Place des chevaux).
Outre Mohamed Soudani et Jameleddine Bousnina, les pères fondateurs sont Salah Soudani, Jameleddine Bousnina, Béchir Ben Mustapha, Mahmoud Mallouche, Chedly Louerghi, Abdelmajid Chahed, Hassen Nouisri, Mohamed Badr, Mohamed Abdelaziz Agrebi, Abderrazek Karabaka, Manoubi Haouari, Fradj Abdelwahed, Mohamed Ayad, Ahmed Dhahak, Mohamed Ezzeddine, Arbi Negli, Ahmed Zeglaoui, Ahmed Mestaoui, Abdelwahab Bouallegue, Mohamed Machouche (le père d’Abdeljabbar Machouche, l’avant centre de l’Espérance sportive de Tunis dans les années 70), Ahmed Ben Miled, Béchir Ben Amor (le premier gardien de but du club) et Abderrahmen Kalfat.
Les pères fondateurs furent beaucoup plus intransigeants que ceux de l’Espérance et imposèrent un bureau directeur entièrement tunisien, présidé par Béchir Ben Mustapha. Une première dans l’histoire sportive tunisienne et un précédent sur lequel d’autres équipes ont construit leur création, comme l’Etoile sportive du Sahel (Ahmed Zeglaoui, un des pères fondateurs du CA fut, entre autres, à l’origine de la création de l’ESS) et le Club de Tunisie (actuellement le Club sportif sfaxien, CSS).
Le premier Comité Directeur du Club Africain était composé de Béchir Ben Mustapha (président), Jameleddine Bousnina (vice-président), Chedly Louerghi (secrétaire général), Abdelmajid Chahed (secrétaire général adjoint) et Hassen Nouisri (trésorier).
Dernier trophée en date du Club africain: la Coupe de Tunisie 2017.
Un club qui avait sa propre troupe de théâtre
Depuis sa naissance, le CA s’était identifié à la cause nationale. Peut-on ne pas citer parmi ses fondateurs, le Docteur Ahmed Ben Miled, appelé «médecin du peuple», compagnon du grand Mohamed Ali Hammi, fondateur de la première centrale syndicale tunisienne. Outre Jameleddine Bousnina, qui fut un écrivain et le premier journaliste sportif tunisien de langue arabe, la dimension culturelle était présente au club dont une bonne partie des dirigeants étaient des hommes de lettre et d’art.
Le CA articulait, d’ailleurs, ses activités sur trois axes : le sport, la musique et le théâtre.
Ainsi Ahmed Dhahak, Jameleddine Bousnina et Belhassen Ben Chedly ont-ils contribué à la mise en place, en 1934-35, de la troupe de la Rachidia, temple du patrimoine musical tunisien. Au cours de ces années trente, le club disposait déjà de sa propre troupe théâtrale. Dans les années cinquante, le CA était derrière la présentation de certaines pièces de théâtre, écrites, entre autres, par Ahmed Kheireddine, grande figure du théâtre tunisien.
Mohamed Abdelaziz Agrebi et Abderrazek Karabaka, grandes figures artistiques tunisiennes, ont également été parmi les premiers pionniers clubistes. La grande cantatrice Chafia Rochdi finançait certaines activités du club.
Il est donc clair que, parallèlement au rectangle vert, le CA a bataillé sur d’autres terrains, et a conquis des trophées autres que sportifs. Il a puisé dans le creuset national et dans le patrimoine populaire pour mûrir et grandir.
De Bechir Ben Mustapha à Chérif Bellamine, en passant par Mustapha Sfar, Moncef Okbi, Dr Salah Aouij, Azzouz Lasram, Fathi Zouhir, Ridha Azzabi, Ferid Mokhtar, Ferid Abbes, Ridha Mzabi, et Hamadi Bousbia, que de défis et de conquêtes. Le «peuple clubiste» puise toujours, dans ses valeurs, cette force et cet orgueil de rebondir et de se surpasser.
Abdelaziz Dahmani aujourd’hui: du football au journalisme.
Abdelaziz Dahmani, premier buteur du club après l’indépendance
Le CA a vu défiler plusieurs générations de grands joueurs mais beaucoup ignorent que notre ami et confrère, l’élégant Abdelaziz Dahmani, ex journaliste à ‘‘La Presse’’ et longtemps grand reporter à ‘‘Jeune Afrique’’, demeure l’auteur du premier but de l’histoire du CA après l’indépendance. C’était en finale de la Coupe de Tunisie, contre le Stade Tunisien perdue 3-1. Mieux, Abdelaziz Dahmani a été de l’équipe clubiste qui a participé au premier match d’un club tunisien hors des frontières. C’était à Oran, en demi finale de la Coupe d Afrique du Nord, en 1956, contre SC Belabbes, le premier match où le drapeau tunisien a été hissé sur un stade étranger, encore français.
Dans un témoignage fort précieux, Abdelaziz Dahmani relate que «les autorités françaises ont refusé de hisser le drapeau tunisien mais Abdelamalek Ben Achour a menacé de retirer l’équipe… Finalement le drapeau Tunisien fut hissé et sifflé par la horde des colonialistes français … Ces faits comptent dans la Vie d’un Club, qui veut avoir une Histoire, bien plus qu’une éphémère victoire de prestige et sans lendemain …»
Donnez votre avis