L’économie tunisienne qui n’a cessé de s’enfoncer dans la crise depuis la révolution de 2011, aura beaucoup de mal à rattraper ses niveaux de performance de… 2010.
Par Amor Abbassi *
Plus de six ans sont passés depuis la révolution tunisienne, qui était censée annoncer le point de départ d’une ère de liberté, de dignité et de croissance économique. Cela ne fut malheureusement pas le cas, puisque nous avons été conduits de déception en déception par des responsables politiques sans vergogne, égoïstes, avides de pouvoir et incapables de concevoir et de mettre en œuvre un plan de redressement économique et social répondant aux aspirations du peuple et notamment des jeunes qui ont mené cette révolution, si bien que le pays est aujourd’hui au bord de la faillite.
Détérioration continue des indicateurs économiques
Depuis la révolution, l’économie tunisienne a connu un faible niveau d’investissement et un important recul de la productivité, des facteurs qui altèrent la compétitivité du pays.
L’attractivité vis-à-vis des investisseurs est affectée, également, par la lourdeur et le manque de clarté des procédures administratives.
L’activité privée souffre, par ailleurs, d’un manque d’ouverture : les barrières à l’exercice de nombreuses activités et les pesanteurs administratives engendrent des phénomènes de rente.
Le système financier s’est révélé incapable de financer convenablement l’économie, dont la croissance pâtit énormément du développement de l’économie parallèle.
Depuis 2011, la croissance a été essentiellement soutenue par la consommation des ménages et le faible niveau de l’investissement a fortement affecté la croissance potentielle du pays qui varie désormais entre 1 et 2,5%, alors que la moyenne des 20 années ayant précédé la révolution était de 5%.
Tout cela se déroule dans un contexte où les gouvernements successifs n’ont pas eu l’audace de mettre en œuvre des réformes structurelles pourtant identifiées de longue date.
Après avoir ralenti un tant soit peu pendant trois années consécutives, l’inflation est repartie à la hausse depuis la fin de 2016. A fin août 2017, elle s’établissait à 5,7%, contre 3,8% à la même période en 2016.
La dépréciation de la monnaie nationale, le dinar tunisien (DT), s’accélère depuis deux ans (24% par rapport à l’euro) et renforce le phénomène de l’inflation importée. Ce qui conduit les Tunisiens à ressentir une forte augmentation du coût de la vie, malgré une augmentation globale de leur pouvoir d’achat par les hausses consécutives des salaires.
Le taux de chômage stagne depuis 2013 à environ 15% de la population active, avec de fortes disparités (entre régions, sexes, classes d’âge, niveaux d’études), qui elles continuent de s’accroître avec la crise.
Le déficit budgétaire chronique et la forte dépréciation du dinar alimentent la dette publique qui devrait dépasser 70% du PIB en 2017, contre 39% en 2010.
Des réformes difficiles à mettre en oeuvre
Face à cette situation, il devient urgent, dans un contexte social difficile, d’adopter et de mettre en œuvrer rapidement les réformes identifiées depuis une longue date, pour relancer la croissance au niveau de 5% projeté pour 2020.
Le déficit de la balance commerciale continue de se creuser : il s’est établi à environ 9% du PIB en 2016. Sur le premier semestre 2017, le déficit courant s’est encore creusé de plus de 25% par rapport à la même période en 2016. La compétitivité des produits tunisiens à l’exportation continue de s’éroder, alors que l’importation de produits superflus et de luxe sont en croissance continue, si bien que le déficit de la balance courante pourrait atteindre plus de 12%, contre moins de 5% en 2010.
Ces déséquilibres sont en grande partie à l’origine des tensions persistantes sur le dinar, qui se sont renforcées depuis avril 2017 (il faut désormais 2,92 TND pour un euro). Dans le même temps, la Banque centrale de Tunisie (BCT) dispose de peu de marges de manœuvre pour intervenir sur le marché des changes et ses avoirs nets en devises ne représentant plus que 101 jours d’importations mi-septembre 2017, contre 118 à la même période en 2016, et ce grâce aux crédits contractés auprès des bailleurs de fonds étrangers.
La masse salariale de la fonction publique va continuer à augmenter alors qu’elle représente déjà près de 15% du PIB. Depuis plusieurs années, les finances publiques sont contraintes par le niveau de la masse salariale à utiliser le budget d’investissement comme une variable d’ajustement. Celui-ci représente aujourd’hui moins de 20% du budget de l’Etat.
Le dérapage des finances publiques, ainsi que le retard pris dans la mise en œuvre des réformes structurelles, ont conduit à une reformulation des engagements pris par la Tunisie envers le Fonds monétaire international (FMI), dont la tranche d’aide budgétaire, prévue en septembre 2016, a finalement été versée en juin 2017.
L’Union européenne (UE) et la Banque Mondiale (BM) ont également versé pendant l’été 2017 les appuis budgétaires permettant de desserrer la contrainte qui pesait sur les réserves du pays et sur sa capacité à honorer ses engagements.
Une dépendance accrue des bailleurs de fonds étrangers
Aujourd’hui, le gouvernement tunisien est fortement dépendant des bailleurs de fonds pour faire face à ses besoins de financement. L’évolution de la dette publique est d’autant plus préoccupante qu’elle est utilisée pour financer des dépenses de fonctionnement. Elle devrait atteindre 69% du PIB en 2017, contre 40% en 2010.
En tenant compte des risques sous-jacents (garanties accordés par l’Etat, autres emprunts des entreprises publiques, comptes sociaux) ce taux gagnerait 15 points supplémentaires.
La dette publique tunisienne est encore jugée soutenable par le FMI. Cela tient notamment à des maturités relativement longues et à un taux d’intérêt moyen bas, la Tunisie s’endettant auprès des bailleurs internationaux à des conditions favorables. Cependant, une large part de cette dette est libellée en devises (environ 65%), ce qui appelle à une vigilance renforcée, compte tenu notamment du rythme auquel se déprécie le dinar.
Le gouvernement Youssef Chahed a engagé la restructuration de l’administration : plans de départ à retraite anticipée et plan de départ volontaire. Par ailleurs, il s’est engagé, à partir du printemps 2017, dans une lutte sérieuse contre la corruption.
Suite au remaniement du gouvernement en septembre 2017, M. Chahed, dans son discours à l’Assemblée lors du vote de confiance, a repris à son compte les objectifs du programme FMI à l’horizon 2020 : déficit budgétaire à 3% du PIB, endettement à 70%, masse salariale à 12,5%…
Pour parvenir à ces objectifs, il a également annoncé un vaste programme de réformes en évoquant le recours accru aux partenariats public-privé pour relancer l’investissement et l’engagement d’un grand programme de développement des régions désertiques.
Outre l’assainissement des finances publiques et la diminution de la masse salariale de la fonction publique, les priorités seront nombreuses avec, comme ligne de mire, l’amélioration du climat des affaires et de l’attractivité du pays : réforme de l’administration et simplification des procédures, amélioration des services logistiques et douaniers, réforme fiscale, restructuration des entreprises publiques, réforme des caisses sociales, réforme du système de financement de l’économie, réforme du système de compensation des produits de base. Il promet également de poursuivre et d’intensifier la lutte contre l’économie parallèle et la corruption et d’engager le chantier de la réforme territoriale et de la décentralisation.
En somme, ces objectifs relativement modestes par rapport aux aspirations de la révolution, de mise en œuvre délicate, difficile et pleine d’embûches et de surprises, pourront-ils, une fois concrétisés, nous permettre de voir enfin le bout du tunnel !? Rien n’est moins sûr…
* Ingénieur général du génie maritime.
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