Dans le communiqué ci-dessous, publié aujourd’hui, jeudi 18 octobre 2018, l’ATDVU demande des sanctions à l’encontre de tous les acteurs impliqués dans le scandale de « la thèse de la terre plate ».
L’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires (ATDVU) a vigoureusement dénoncé le 25 mai 2017, dans l’allocution, malheureusement non médiatisée, prononcée par son président à l’occasion de la cérémonie de signature de la Charte universitaire, la décision prise par les autorités académiques de l’Université de Sfax et de son Ecole nationale des ingénieurs d’autoriser une recherche pour soutenir l’idée anachronique et aujourd’hui absurde de la platitude et de l’immobilité de la terre et de permettre le dépôt de la thèse issue de cette recherche.
Cette étude a été menée depuis 2011 par une étudiante en géologie de l’ENIS avec la bénédiction de la commission des thèses et d’un directeur de recherche de la Faculté des sciences de Sfax qui a, non seulement, donné son aval à la thématique proposée mais qui a aussi et surtout cautionné des arguments pseudo-scientifiques ridicules et des arguments théologiques, sans rapport avec la thèse ou la spécialité et contestés même par des spécialistes en théologie. Aussi a-t-elle suscité l’émoi et le tollé de la communauté scientifique nationale et internationale et des universitaires et militants de la société civile présents lors de la cérémonie de signature de la Charte et terni l’image de marque de l’université tunisienne tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Lors de cette cérémonie, plusieurs voix se sont élevées pour demander des sanctions exemplaires à l’encontre de tous les acteurs impliqués dans le scandale. L’ATDVU a jugé nécessaire de diligenter une enquête pour connaître les tenants et les aboutissants de cette affaire et pour être au fait des dysfonctionnements et des défaillances à l’origine de ce scandale.
C’est le Professeur Beya Mannai Tayech, professeur à la Faculté des sciences mathématiques, physiques et naturelles de Tunis, contactée en vue de d’élaborer un rapport au sujet de la thèse qui, tout en s’abstenant de remettre le rapport demandé, a alerté les autorités académiques de l’ENIS, les responsables de l’Université de Sfax, l’autorité de tutelle et enfin le Professeur Hafedh Ateb qui a été à l’origine de la révélation du scandale sur la toile. C’est ce qu’elle déclare dans une lettre ouverte, adressée le 16 septembre dernier aux membres de Beit Al Hikma, où elle pense avoir violé l’autonomie universitaire, la liberté académique et la liberté de pensée en mêlant «le ministère de tutelle aux problèmes strictement académiques» et où elle nous fait part d’un conflit intérieur qui l’a hantée pendant plusieurs mois entre les exigences éthiques et le respect de l’autonomie institutionnelle. Ce dilemme a abouti à ce qu’elle considère comme un choix cornélien, le sacrifice de l’autonomie et de la liberté académique pour faire valoir l’éthique et la sauvegarde du niveau scientifique et l’abandon d’une position initiale d’opposition catégorique à la médiatisation de l’affaire, consciente a posteriori que c’est l’alerte sur Facebook et la couverture médiatique qui ont empêché la soutenance de la thèse et épargné à l’Université tunisienne un grave dommage moral grave et un discrédit scientifique qui ne peuvent être atténués par la bonne réputation internationale dont jouissent nos meilleurs enseignants-chercheurs.
Beit Al Hikma, consternée elle aussi par la gravité de l’affaire, a appelé le 26 juin dernier les autorités compétentes «à prendre des sanctions exemplaires afin que de pareils sujets de thèse ne soient ni acceptés, ni inscrits, ni soutenus» et elle est revenue à la charge dans un récent communiqué où elle déplore que le directeur de la thèse continue à exercer au sein de l’Université.
Les derniers développements de la situation marquée par la promesse oubliée de l’autorité de tutelle «d’identifier les responsabilités des différentes parties concernées et d’entreprendre les mesures conséquentes» (communiqué du 10 avril 2017) et les communiqués et commentaires, révélateurs de nombreuses équivoques au sujet des principes de l’autonomie institutionnelle, de la liberté académique et des prérogatives respectives des acteurs impliqués dans l’affaire, amènent aujourd’hui l’ATDVU, en dépit de son désir d’éviter les déclarations avant la clôture de l’enquête précitée, à anticiper et à prendre les positions que lui dictent son rôle de veille relative aux valeurs universitaires :
1. Autant elle se félicite de la vigilance de deux universitaires tunisiens jaloux de la sauvegarde de la qualité de l’enseignement et de la recherche dont la réaction ne constitue en aucun cas une violation de la liberté académique ou de l’autonomie institutionnelle et se réjouit de la position prise le 25 juin dernier par Beit Al Hikma, consternée par la gravité de l’affaire, autant elle félicite les deux universitaires et la haute autorité morale et académique présidée par le Professeur Abdelmajid Charfi, pour leur détermination à faire respecter les normes scientifiques et les valeurs éthiques. Autant elle est choquée, six mois après la révélation du scandale et trois semaines après la rentrée universitaire, par le laxisme du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Cherchant à la faveur d’une déclaration du ministre sur la chaîne El-Hiwar Ettounsi à banaliser l’affaire, ne jugeant pas utile de publier les résultats de l’enquête qu’il avait diligentée le 10 avril auprès de l’Inspection générale du ministère et nullement enclin à prendre les mesures administratives, disciplinaires et scientifiques susceptibles de pallier les graves manquements aux normes éthiques et scientifiques à l’origine de l’affaire, il laisse sans voix les observateurs de la scène universitaire et plonge la communauté académique dans une grande perplexité.
2. L’ATDVU est sidérée par le silence des autorités académiques de l’Université de Sfax qui observent sur le sujet un black-out total et qui ne semblent nullement pressés de prendre les mesures administratives, réglementaires et académiques qui sont de leur ressort pour remédier à la situation. Aussi appelle-t-elle les autorités universitaires compétentes (commission des thèses et d’habilitation en génie de l’environnement et d’aménagement de l’Université de Sfax, l’école doctorale, les organes directeurs de l’ENIS et de l’Université de Sfax) à vérifier si la réglementation en vigueur relative au suivi scientifique de l’avancement de la recherche et de l’octroi de la décision de déposer a été respectée et à prendre les décisions qui font partie de leurs prérogatives.
3. Elle rappelle que la liberté de recherche bien comprise est une remise en cause du savoir acquis dans le strict respect des normes scientifiques et qu’elle constitue un progrès et non un retour à l’obscurantisme, qu’elle est censée amener à l’excellence, qu’elle signifie le rejet de tout asservissement à des croyances religieuses, idéologiques ou politiques et aux pouvoirs qui en sont les émanations. Elle n’est, en aucun cas, le rejet des avancées scientifiques modernes par le recours à une pseudo-science et au nom de convictions religieuses érigées, contrairement à tout bon sens et à la démarche scientifique, en dogmes. L’ATDVU dénonce de ce point de vue le regain, après la Révolution, de ces tentatives, aujourd’hui de plus en plus fréquentes, d’assujettissement de l’Université à ces normes sectaires dont la thèse en question est une illustration éloquente et appelle à les combattre vigoureusement pour éviter l’effet boule de neige.
4. L’autonomie universitaire ou autonomie institutionnelle sert à prémunir contre ces velléités d’aliénation de l’Université et elle ne peut en aucun cas servir de couverture aux plus graves manquements à l’éthique et à la science et d’alibi pour étouffer des scandales. Bien au contraire, son exercice est lié à la stricte observance d’une gestion rigoureuse et d’une bonne gouvernance. Elle implique en contrepartie une responsabilité sociale, une redevabilité, une reddition des comptes à la société. Lorsque les garde-fous sautent, dénoncer publiquement les défaillances est une œuvre de salut public.
5. Cette affaire a conforté au sein de l’ATDVU la décision prise d’assurer la plus large diffusion possible de la Charte universitaire du 25 mai 2017 et appelle toutes les institutions universitaires et les bailleurs de fonds à aider à la réussite de ce projet.
6. L’ATDVU appelle enfin la communauté universitaire, la société civile, la FGESRS à se mobiliser pour que toute la vérité soit faite sur ce scandale et pour que des mesures efficaces soient prises pour éviter ces dérapages.
Le président de l’ATDVU
Habib Mellakh
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