Arthur Balfour et sa fameuse déclaration: quelques lignes qui planteront u couteau dans le corps des Arabes.
C’est la déclaration Balfour, qui remonte à 100 ans, qui a marqué l’irruption officielle de la question sioniste sur la scène internationale et préparé la création de l’Etat d’Israël.
Par Dr Mounir Hanablia *
Un siècle après, cette déclaration continue de susciter des réactions passionnées. Mais de quoi s’agissait-il exactement ?
D’une lettre adressée par le secrétaire d’Etat britannique à la Guerre, Arthur Balfour, à Lord Rothschild, membre de la direction de la fédération sioniste d’Angleterre, dans laquelle il déclarait que son gouvernement envisageait favorablement la création d’un foyer juif en Palestine, étant entendu que les droits civils et religieux des populations non juives y seraient respectées, ainsi que les droits politiques des juifs dans toute autre partie du monde.
Un homeland pour un peuple venu d’ailleurs
Deux ou trois lignes sans plus mais qui auraient des conséquences incalculables.
D’abord, il faut savoir qu’il y avait eu deux ébauches précédentes de la déclaration, mais que les sionistes avaient récusées , parce que d’une part, elles avaient été trop équivoques envers les ambitions juives, ou plutôt assez explicites sur les garanties de respect des droits des populations locales en Palestine, et d’autre part, elles avaient ignoré les objections des juifs libéraux anglais antisionistes qui étaient nombreux et puissants.
La version finale, qui avait donc reçu l’approbation des sionistes, parlait d’un foyer juif, homeland, dont la nature politique n’était pas spécifiée, mais qui ne pouvait être par la force des choses qu’un Etat pour les juifs, puisque tous ceux qui y résideraient y étaient qualifiés par une négation, celle de non-juifs, et surtout n’y disposeraient que de droits civils et religieux, c’est-à-dire en fait d’attributs relevant des spécificités naturelles à toute communauté.
Theodor Herzl.
Autrement dit, les populations non juives qui se trouveraient dans le foyer juif seraient privées de droits politiques, qui sont les droits les plus importants qui garantissent la souveraineté du sol, qu’aucune population native au monde n’accepterait d’abandonner sans lutte, en particulier à un peuple venu d’ailleurs, c’est-à-dire venu coloniser le territoire.
Le gouvernement anglais et les sionistes étaient bien entendu tout à fait conscients des implications des termes utilisés, et de ce qu’y n’avait pas été dit, en particulier que le seul droit qui resterait aux non-juifs natifs du pays et qui refuseraient d’abandonner leurs droits politiques, serait, d’une manière ou d’une autre, de partir.
Mis à part cela, le gouvernement britannique pouvait s’engager à établir le foyer juif en Palestine, alors que les armées du général Allenby y déferlaient après en avoir chassé les Turcs.
Cette spécification du lieu en Palestine était quand même importante, parce qu’une partie des membres de la fédération sioniste mondiale, conduite par le fondateur du mouvement Théodore Herzl, avait jadis demandé à ce le dominion juif soit éventuellement établi en Ouganda, mais à cette proposition s’étaient violemment opposés les sionistes les plus misérables mais les plus nombreux, ceux qui avaient fui les pogroms tsaristes en Russie, Ukraine et Pologne, et qui avaient voté pour un seul territoire, la Palestine. Mais de quelle partie de ce pays était-il question?
Flou entretenu sur la nature politique de l’entité juive
La déclaration ne l’a pas spécifié, et pour cause : la Grande Bretagne s’était déjà engagée à établir un Royaume Arabe par le biais de la correspondance Hussein-Mac Mahon, et elle avait établi avec la France un plan de découpage des territoires ottomans conquis sur les Turcs, par le biais de ce qui serait appelé accords Sykes-Picot.
On peut cependant penser que les sionistes, ayant pris acte des engagements multiples et contradictoires de leur allié, ont compris qu’en réalité, la non-délimitation du territoire qui leur serait alloué en Palestine revenait en fait à leur fournir l’opportunité de le conquérir en totalité, et le flou entretenu sur la nature politique de l’entité juive leur assurait au cas improbable où les choses se dérouleraient mal, la solution minimale, c’est-à-dire la possibilité d’établir un simple dominion, un protectorat sous souveraineté britannique.
Il fallait, en effet, compter avec l’Italie, et surtout la Russie, qui s’était toujours posée en puissance protectrice des Orthodoxes, y compris ceux d’Orient. Mais au moment de la publication de la déclaration Balfour, le trône du tsar chancelait et serait dans quelques jours balayé par la révolution d’Octobre.
Quant à l’Italie, ses ambitions seraient ruinées par l’entente franco-britannique qu’elle serait obligée d’entériner, et plus tard par la perte des territoires qui lui avaient été concédés en Anatolie, où elle se trouverait en concurrence avec l’expansionnisme grec, puis sous l’effet de la poussée victorieuse du nationalisme turc victorieux.
Mais dominion ou Etat, il n’en demeurait pas moins que la déclaration Balfour, au moment où elle niait les droits politiques des Arabes qualifiés de non-juifs en Palestine, évoquait ceux des juifs dans toute autre partie du monde.
Les petits calculs des Anglais
En réalité, la création du foyer national juif avait été loin de faire l’unanimité chez les juifs, loin de là; elle n’avait pas été du goût des membres les plus influents de la communauté britannique, qui s’y étaient opposés parce que, à juste titre, elle risquait de soulever la question de leur propre loyauté envers leur pays, l’Angleterre, et donc de remettre en question les droits politiques qu’ils y avaient acquis.
La figure marquante de cet antisionisme juif avait été Lord Montagu, mais finalement le courant libéral juif anglais avait dû s’incliner face aux sionistes plus nombreux et beaucoup plus manœuvriers qui avaient réussi à discréditer leurs adversaires et à profiter de leurs erreurs.
Mais pourquoi les Anglais s’étaient-ils sentis obligés de contracter une telle promesse auprès des sionistes? D’abord ceux-ci comptaient dans leurs rangs des membres éminents de la famille Rothschild, qui au bénéfice de l’Angleterre avait acquis la majorité des parts de la compagnie de Suez, ainsi que la banque Indo Suez qui en était actionnaire, lorsque le Khédive d’Egypte s’était trouvé dans l’obligation de vendre les siennes.
Cette compagnie contrôlait donc le canal, la veine jugulaire de l’empire britannique par où transitait la totalité de ses échanges avec l’Inde, et les Rothschild avaient de surcroît investi dans le pétrole, en particulier celui de Bakou, et escomptaient donc de l’occupation de l’Irak par l’Angleterre en 1917 des bénéfices fabuleux par son exploitation.
L’Angleterre était donc d’autant plus désireuse de complaire à cette puissante famille qu’elle craignait que celle-ci ne choisisse le camp adverse, celui de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie, où elle était également présente, ce qui aurait eu pour effet d’augmenter ses propres difficultés pour financer la guerre, et de la prolonger.
Il y avait eu aussi certaines raisons d’ordre idéologique ou sentimental, en particulier le procédé industriel découvert par le chimiste sioniste Haim Weizman pour produire l’acétone nécessaire à la fabrication des explosifs et des obus. Et en cette époque où le racisme était très répandu dans les milieux impérialistes bien pensants de l’empire britannique, beaucoup de ses membres influents avaient fini par regarder les juifs comme une race remarquablement créative de laquelle en lui donnant un pays situé près du canal de Suez, il ne faut pas l’oublier, on s’assurait l’alliance financière et militaire, et on fournissait l’occasion de faire étalage de son génie.
L’émir Fayçal (devant) à la conférence de Versailles en 1919. À sa gauche, derrière, T. E. Lawrence.
Les Arabes condamnés à la guerre
Dire que la déclaration Balfour a été écrite par des racistes serait donc un euphémisme, les Anglais en réalité condamnaient les juifs à occuper les non-juifs ainsi qu’ils les avaient nommés, c’est-à-dire à les coloniser par la force, et condamnaient à la guerre également les populations autochtones non-juives pour obtenir les droits politiques dont on les avait privés, des Arabes bien sûr auxquels on avait refusé de reconnaître cette qualité nationale culturelle et linguistique, celle de nation, pour ne pas être obligés de les incorporer dans le Royaume Arabe concédé – verbalement – aux Hachémites, que Lawrence, le célèbre espion, avait promis au nom de son pays.
Mais le contexte politique et diplomatique de l’époque de la déclaration avait été tout de même celui de la célèbre déclaration du président américain Wilson, en faveur de la liberté des peuples, au moment où l’armée US débarquait en Europe pour porter l’estocade finale aux puissances centrales, et pourtant personne n’avait pris garde de s’abstenir de satisfaire les ambitions d’un nationalisme allogène, au détriment des droits naturels d’un peuple installé dans son pays depuis des millénaires.
En fait, en créant la Société des Nations, les Américains s’étaient lavés les mains de la question palestinienne sur le dos des Anglais, qui en assumant la fonction de puissance mandataire en Palestine, au nom de la Société des Nations, avaient bien pris soin d’incorporer la déclaration Balfour dans les termes du mandat. C’est ainsi que celle-ci, au départ simple déclaration d’intention en faveur de la fédération sioniste, avait acquis l’onction du droit international.
Par la force des choses on en revient donc à la situation qui aujourd’hui, 100 ans après, prévaut dans les territoires occupés : le gouvernement israélien pour la première fois depuis 15 ans a autorisé la construction de maisons juives en plein cœur d’Al Khalil Hébron, une ville arabe où seules quelques familles juives avaient été habilitées à habiter dans une rue de l’ancien hôpital Hadassa, sous haute surveillance de l’armée coloniale.
Après avoir établi partout des colonies juives de peuplement dont le rôle était de disloquer la continuité du territoire arabe palestinien, les sionistes sont donc passés à une nouvelle étape de la colonisation, celle de la colonisation au cœur même des villes arabes, avec toutes les conséquences, de résistance, de représailles et de violence inévitable inhérente à toute entreprise coloniale.
Cent ans après, qu’est-ce qui arrêtera la colonisation des terres arabes par les Israéliens ?
En réalité, et ainsi qu’on le voit depuis sa création, et à quelques nuances près, l’Etat d’Israël n’a fait qu’appliquer les termes de la déclaration définie en 1917 d’un commun accord entre le cabinet anglais et la fédération sioniste, et entérinée plus tard par le mandat de la Société des Nations. Certes, le Droit International établi plus tard avec l’Onu dénie à toute puissance occupante le pouvoir de changer la composition démographique d’un territoire occupé. Il n’en demeure pas moins que les premiers à l’avoir permis en Palestine ont été les Anglais, et que les juifs, en agissant comme ils n’ont jamais cessé de le faire, ne font que continuer de préserver les droits civils et religieux des non-juifs, y compris en en partageant les mosquées pour y établir des synagogues.
En fin de compte, et malgré le caractère outrancièrement scandaleux, injuste et inhumain, de la politique israélienne, les juifs n’ont pas tort de dire, qu’eu égard au droit international, ils ne sont pas des occupants en Palestine. Sur ce point en tous cas la déclaration Balfour, établie par des impérialistes et des racistes anglais, leur a donné largement raison.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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