La Tunisie, et Tunis en particulier, sont asphyxiés organiquement par la pollution due aux émissions des véhicules. Quand commencera-t-on à penser aux solutions ?
Par Dr Tarak Arfaoui *
Je ne sais pas si Youssef Chahed, premier ministre, aura un jour la curiosité de faire un tour dans la capitale au volant de sa propre voiture, sans cortège pour lui ouvrir la voie, sans gyrophare ni tintamarre. Car sans ces aides à la conduite, je doute fort qu’il pourra arriver facilement à son bureau, et chemin faisant, il sera le témoin, sans faire de jeux de mots, de la catastrophe qui étrangle Tunis du fait de la circulation automobile qui bouchonne à chaque intersection, qui paralyse la capitale et empoisonne l’atmosphère. M. Chahed fera bien de réfléchir sérieusement et de toute urgence aux graves conséquences que peut engendrer ce phénomène sur le plan aussi bien écologique que financier.
Les solutions alternatives existent
Le pays, et en particulier la capitale sont en fait asphyxiés organiquement par la pollution due aux émissions des véhicules, qui, si elle était effectivement mesurée comme cela se fait partout dans le monde, dépasserait très largement les limites toxiques tolérables. Ses conséquence sur la salubrité publique sont désastreuses, et malheureusement, en Tunisie, ni les autorités ni les partis politiques (où est le Parti des Verts?) ni la société civile ne sont sensibles à ce fléau.
Le diesel en particulier, premier polluant de la planète et qui équipe une grande partie du parc roulant en Tunisie est en voie de disparition dans les grandes métropoles étrangères. L’interdiction pure et simple du diesel est devenue le cheval de bataille de tous les partis politiques quelles que soient leurs tendances. En Hollande, le diesel sera bel et bien interdit des 2020 et dans d’autres capitales, comme Paris, il sera interdit dès 2025.
Les solutions alternatives sont bien là et les grands constructeurs automobiles mondiaux préparent déjà l’après diesel en développant les moteurs hybrides (fonctionnant à l’essence et à l’énergie électrique) ou tout électriques. La majorité des taxis en Europe et aux Etats-Unis, par exemple, fonctionnent au moteur hybride. A Amsterdam, bus et taxis sont au tout électrique et, pour dissuader les récalcitrants, il est impossible pour se ravitailler dans la capitale hollandaise de trouver un kiosque à essence à 20 km à la ronde.
En Tunisie, si vous essayez d’importer un véhicule hybride c’est le parcours du combattant qui vous attend entre tarifs douaniers dissuasifs, paperasses sans fin, expertise technique et commissions d’homologation qui durent plusieurs mois.
L’hypocrisie et la myopie politique de nos gouvernants les emmènent, pour satisfaire le bon peuple et ne pas froisser les barons du marché automobile, à importer en masse des voitures et à investir en même temps des dizaines de millions de dinars, pour construire des échangeurs partout, mais est-ce une solution viable?
Actuellement, dans la capitale, il faut compter un minimum de trois quart d’heure pour faire un trajet d’une dizaine de kilomètres et on suffoque malheureusement dans les bouchons où il est devenu habituel de zigzaguer entre poids lourds, semi remorques, trax et engins de chantiers qui circulent en plein centre-ville et aux heures de pointe s’il vous plait, au nez et à la barbe des agents de la circulation. On permet même aux vieux bus usagés de déverser quotidiennement des tonnes de fumée noirâtre pour purifier l’air vivifiant de ‘‘Tunis la verte’’.
La Tunisie est aussi asphyxiée économiquement et bien que respirant sous perfusion à coups de crédits étrangers, le pays se permet le luxe d’importer au prix fort, et en devises s’il vous plaît, des dizaines de milliers de véhicules tous les ans. On autorise les importateurs à inonder le marché par des voitures low-cost fabriquées en Chine et en Inde (les concessionnaires sont passés de 20 à 35 en 5 ans !!).
De source officielle au ministère des Transports, on évoque avec fierté «le dynamisme économique du pays» (sic) en affirmant que 80.000 véhicules sont immatricules tous les ans dans le pays, déversés pour la moitié dans le Grand-Tunis ! Ceci est un record difficilement imaginable dans un pays en pleine crise économique.
Un plan ambitieux de transport en commun
La Tunisie a-t-elle les infrastructures routières nécessaires pour supporter tout ce surplus de véhicules tous les ans ? Et peut-on se permettre de payer au prix fort le fonctionnement et la maintenance (carburant et pièces de rechange souvent payés en devises) de ce parc pléthorique?
Il est clair que le gouvernement actuel, comme ses prédécesseurs, est en train de faire la politique de l’autruche, du jour le jour et des rafistolages. Importer à tours de bras des voitures et construire à coup de milliards des routes et échangeurs toujours insuffisants n’est pas la solution. En l’absence d’un plan ambitieux prospectif de revalorisation du transport en commun, d’une planification pour introduire les énergies non polluantes dans le parc roulant public, de la promulgation de lois encourageant l’importation des véhicules hybrides et électriques en levant les taxes douanières, le maintien des solutions actuelles mèneront le pays à court terme vers l’impasse
Les solutions existent et ont fait leur preuve partout dans le monde.
La modernisation et l’extension du réseau du métro actuellement très insuffisant est une priorité absolue.
Il faut réduire de toute urgence les quotas annuels d’importation des véhicules automobiles pour renforcer la part des véhicules hybrides et électriques.
Il faut interdire immédiatement la circulation des poids lourds et engins de travaux publics de jour dans la capitale.
Il faut promulguer des lois pour interdire la circulation des véhicules diesel dans les grandes villes avant la fin de la décennie à venir.
Il faut faciliter, dans une première étape, l’accès aux véhicules hybrides ou électriques pour les taxis en levant les taxes douanières pour ce type de véhicules.
Il faut encourager les citoyens à utiliser pour les déplacements urbains les vélos en aménageant au coeur de la capitale des pistes cyclables comme cela se fait partout dans les capitales européennes et encourager les particulier à investir dans ce secteur.
Il faut penser à créer des taxes dissuasives pour les véhicules qui circulent dans l’hyper centre-ville.
Les solutions extrêmes comme la circulation alternée selon la plaque minéralogique seront également à discuter.
A bon entendeur…
* Médecin de libre pratique.
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