Réformer l’islam c’est le débarrasser du discours de haine qui rejette l’autre et pousse à tuer et à se tuer.
Par Razika Adnani *
Il est important, avant d’aborder la question de la réforme de l’islam aujourd’hui, de préciser la nature de cette réforme, car dans la pensée musulmane ce terme est profondément lié au mouvement d’islah, qui signifie réparer ce qui a été abimé en islam afin de lui permettre de retrouver son éclat d’antan. C’est dans ce sens, orienté vers le passé, que la grande majorité des musulmans entendent le terme de réforme.
La réforme dont il s’agit a comme objectif de construire, à partir des mêmes textes, un islam plus adapté aux nouvelles valeurs de l’humanité et aux principes de la modernité. C’est une réforme qui veut libérer la pensée et l’intelligence de l’emprise des anciens, de leur conception de l’islam et de la société pour une meilleure cohabitation des musulmans avec leur époque et avec les autres.
Cette réforme tendue vers l’avenir a été déjà revendiquée au début du XXe siècle par certains intellectuels qui voulaient moderniser les sociétés musulmanes. Cependant, la question que les musulmans se sont posée à ce moment-là comportait une possibilité de choix : devaient-ils s’ouvrir sur la nouvelle civilisation ou se renfermer sur eux-mêmes pour préserver leur religion et leur modèle de société?
La victoire des conservateurs
Les débats très animés qui ont opposé les modernistes aux conservateurs ont été soldés par la victoire de ces derniers; les musulmans ont opté pour l’isolement afin de protéger leurs traditions et leur religion de toute influence extérieure.
Cependant, les circonstances du monde actuel ne proposent plus ce choix. De plus en plus de musulmans vivent en Occident et les nouvelles technologies ont aboli les frontières géographiques et culturelles. Le contact permanent avec l’autre a rendu l’isolement impossible. L’influence de cet autre est devenue une réalité et les sociétés musulmanes, malgré les apparences et la résistance des conservateurs, connaissent une mutation palpable de leurs mentalités et de leurs mœurs. Le problème est que leur religion et les enseignements qu’elle leur propose ne suivent pas. Alors qu’ils vivent au XXIe siècle avec ses enjeux, ses exigences et ses risques, on continue de leur proposer une version de l’islam qui remonte aux premiers siècles de son histoire; malgré le changement, l’idée que seul l’islam des anciens est vrai et authentique continue de peser sur leurs esprits.
Réformer l’islam dans de telles circonstances est non seulement une nécessité, mais aussi un acte de responsabilité. Responsabilité des musulmans envers eux-mêmes, car il faut en finir avec l’écartèlement entre le présent, auquel ils appartiennent et le passé, auquel ils pensent devoir appartenir.
Il faut sortir du désarroi que cette situation provoque et qui pousse certains à recourir au fondamentalisme et à la violence. Si les musulmans veulent que leur religion ne soit pas un obstacle à leur épanouissement, ils doivent regarder le passé comme la réalité des salafs et le présent celle des musulmans d’aujourd’hui.
Ceux qui parlent au nom de l’islam ont le devoir d’expliquer aux musulmans qu’ils ont le droit de vivre selon les exigences de leur époque, tout comme les anciens ont vécu selon les critères de la leur. Les docteurs de cette religion doivent, en utilisant les moyens de compréhension actuels, repenser les textes afin de proposer aux musulmans un islam nouveau qui leur permette de vivre leur époque sans remords ni complexe.
Les musulmans ne peuvent se contenter de nier tout lien entre leur religion et les agissements barbares commis en son nom.
La responsabilité des musulmans
Réformer l’islam est un acte de responsabilité envers cette religion, car elle ne peut pas être figée dans un espace géographique et culturel donné; elle a besoin d’être libérée de l’emprise du passé, des salafs et de leur lecture, de leur théologie et de leurs méthodes élaborées dans un autre contexte et à une autre époque ne connaissant pas les enjeux d’aujourd’hui.
La responsabilité des musulmans envers eux-mêmes et envers leur religion ne leur permet plus de se contenter de nier tout lien entre leur religion et les agissements barbares commis en son nom. L’amour qu’ils portent à leur religion ne doit pas les empêcher de questionner et de repenser les versets qui posent problème : ceux qui appellent au djihad, qui instituent la dhimmitude et légitiment la soumission des femmes par exemple.
Réformer l’islam est également un acte de responsabilité des musulmans envers les autres, car ils vivent avec eux. Leur devoir les oblige à revoir les règles concernant leur rapport à l’autre et le regard qu’il porte sur lui. Cela doit être une des priorités de tout système éducatif. Ils n’ont d’autre choix que de le faire, s’ils veulent un islam plus tolérant qui permette une bonne cohabitation avec les autres. C’est la première étape dans le processus de réforme de l’islam. Le faire est une forme d’honnêteté envers soi-même, mais aussi envers les autres.
Réformer l’islam est enfin un acte de responsabilité envers l’humanité, car nous vivons une période difficile où la violence devient un moyen d’expression et de revendication, où les guerres de religion menacent assurément. Chacun doit prendre ses responsabilités envers l’humanité; il faut la protéger de la barbarie, des guerres et du déclin. Il faut préserver les valeurs de la modernité: la liberté, la dignité, la justice, qui ont mis si longtemps à se mettre en place; cette modernité qui n’est autre que l’âge mature de l’humanité.
Les musulmans ne sont pas dispensés de cette responsabilité; ils en portent même une grande part. D’une part, trop de violences, d’agressions et d’atteintes à la dignité humaine sont commises au nom de l’islam et d’autre part, leur nombre, plus d’un milliard et demi (si on compte également ceux qui sont de culture musulmane sans qu’ils soient pour autant pratiquants), fait qu’ils exercent une grande influence sur le cours de l’Histoire et qu’ils ne doivent pas la négliger. C’est pour cela qu’ils ne doivent plus se contenter de répéter à chaque attentat : «cela n’existe pas en islam» ou «c’est juste une mauvaise interprétation des textes». Ils doivent agir pour débarrasser l’islam du discours de haine qui rejette l’autre et pousse à tuer et à se tuer; il n’y a pas plus monstrueux et plus barbare, non seulement envers l’autre, mais aussi envers soi, que de tuer et de se tuer.
Ainsi, si les musulmans n’entament pas aujourd’hui la réforme de leur religion pour moins de violence et d’hostilité dans ce monde et davantage de cohérence avec les principes de l’humanisme et de la bonne relation avec l’autre, c’est devant l’histoire qu’ils seront demain responsables.
* Philosophe et écrivaine, associée au groupe d’analyse de JFC Conseil. (razika-adnani.com)
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