Le changement du 7-Novembre a sauvé un Etat tunisien menacé dans son existence, avant d’être phagocyté par une poignée d’opportunistes.
Par Chedly Mamoghli *
Dans la soirée du jeudi 14 décembre, l’émission ‘‘Ma Lam Yokal’’ (Ce qui n’a pas été dit), diffusée sur la chaîne Ettounsiya, était un face-à-face entre deux avocats, Imed Ben Halima et Mohamed Abbou. Et il y a un élément qui a retenu mon attention et qui mérite d’être débattu raisonnablement et non pas d’une manière passionnée car on doit faire preuve d’objectivité et prendre du recul quand on évoque l’histoire.
Me Ben Halima que je surnomme depuis un certain temps «le bélier des plateaux télé» («kabch ntih mtaa platowét»), car il sait cogner au cours des débats même s’il a tendance à monopoliser la parole, fait souvent preuve d’audace et va au-delà du politiquement correct. Au cours du face à face, il a évoqué la destitution de Bourguiba et la prise de pouvoir par son Premier ministre, Zine El Abidine Ben Ali, le 7 novembre 1987, mais il a évoqué cet épisode d’une manière intelligente et sincère.
Il fallait sauver un Etat chancelant
Le 7 novembre est l’exemple type de la décision motivée par la raison d’Etat, cette notion développée par Machiavel puis reprise par le cardinal de Richelieu et bien d’autres après. Il faut rappeler le contexte dans lequel est intervenu le 7-Novembre. L’Etat était menacé dans son existence, ce n’était pas un danger passager, conjoncturel comme on dit. Non, c’était un danger existentiel. De plus, le pays était économiquement au bord du gouffre.
Le 7-Novembre a sauvé l’Etat et ses institutions et il a redressé l’économie et ça, personne ne peut le nier. Le pouvoir était à ramasser et les islamistes allaient sauter sur l’occasion. Que fallait-il faire? Les laisser s’emparer du pouvoir?
Tout au long de ses dernières années, toutes celles et ceux qui veulent jouer aux révolutionnaires de la 25e heure s’en prennent au 7-Novembre et en font une date noire dans l’Histoire de la Tunisie. C’est devenu un réflexe pavlovien, celui qui veut fanfaronner et passer pour un héros révolutionnaire s’en prend au 7 novembre, l’attaque et en fait la source de tous les maux de la Tunisie. Certains le font par pure ignorance de l’Histoire contemporaine du pays quand d’autres le font par mauvaise foi. Or c’est faux. Archifaux. Ce n’est pas le 7-Novembre qui a fait du mal à la Tunisie mais la direction prise par le 7-Novembre après quelques années qui fait tant de mal au pays. Et le 7-Novembre ne se résume pas à l’ancien président Ben Ali, il en était la figure mais aucunement le cerveau. Le 7-Novembre a sorti le pays de l’ornière mais malheureusement quelques années plus tard, le processus a dévié, les choses se sont gâtées et il a pris un mauvais tournant spécialement à partir de 1992.
On a souvent passé sous silence le rôle décisif de Kamel Eltaief.
Le «bébé volé» de Kamel Eltaïef
Pour moi, le 7-Novembre est le bébé de Kamel Eltaïef, l’ami et le mentor de Ben Ali. Mais ce bébé lui a été kidnappé. Par qui? Par celle qui était devenue la première dame, Leïla Ben Ali, et son allié, le ministre de l’Intérieur de l’époque, Abdallah Kallel.
Bien entendu que l’ancien président était complice et responsable de la tournure prise par son régime, il ne faisait quand même pas de la figuration. Il approuvait puisque rien ne se faisait sans son aval. Par conséquent, la déviation du 7-Novembre a été enclenchée et s’était poursuivie à une vitesse grand V et la suite on la connaît tous.
Quant à Kamel Eltaïef, il a été doublement patriote, d’abord en ayant été en 1987 le cerveau du 7-Novembre qui a sauvé l’Etat qui faisait face à un danger existentiel et le pays qui était économiquement au bord du gouffre ensuite en prenant ses distances quand le 7-Novembre a dévié et en s’opposant au régime jusqu’à sa chute.
Ce qui est fondamental maintenant, c’est de ne pas tout mélanger et de ne pas mettre tout le monde dans le même sac.
Il ne faut pas falsifier l’Histoire. Surtout quand ça vient de personnes ayant profité de ce régime, souvent de son début jusqu’à sa fin et qui aujourd’hui lui tapent dessus pour faire croire à ceux qui veulent les entendre qu’ils sont des révolutionnaires et des démocrates. Certains étaient les copains de Slim Chiboub, le gendre de Ben Ali, puis quand l’étoile de Slim a pâli, ils l’ont envoyé balader et sont devenus copains avec Belhassen Trabelsi, le beau-frère de Ben Ali.
D’autres ont préféré la compagnie de Sakher El Materi, l’autre gendre de Ben Ali, peut-être que le garçon pieux était plus fréquentable à leur goût.
La ronde des laudateurs
Egalement, je ne répéterais jamais assez cette vérité que les islamistes veulent non pas occulter mais enterrer, c’est que Rached Ghannouchi doit sa vie au 7-Novembre. Il était condamné à mort et la peine aurait pu être exécutée à n’importe quel moment mais le 7-Novembre est venu et lui a sauvé la vie et encore mieux, lui a rendu sa liberté. Il fallait restaurer la vérité et donc mettre les points sur les ‘i’.
Pour revenir à Me Ben Halima, le bélier des plateaux télé et à sa tendance à monopoliser la parole même s’il est sympathique. Au mois de janvier dernier, lors de l’émission consacrée à Belhassen Trabelsi, il n’a cessé de lui couper la parole, alors Belhassen lui a dit: «Maître, ça fait 6 ans que vous passez de plateau en plateau. Moi, c’est la première fois que je parle, laissez-moi parler».
On peut reprocher beaucoup de choses à Belhassen Trabelsi mais ce soir-là, il s’était comporté d’une manière particulièrement élégante à l’égard des gens de l’opposition qui jadis se rendaient dans son bureau pour solliciter sa médiation ou un service et qui aujourd’hui jouent aux révolutionnaires et aux donneurs de leçons. Et bien, il avait refusé de livrer leurs noms.
Ce soir-là aussi, Me Ben Halima était dans son rôle du bélier et a tiré à boulets rouges sur tous les caciques de l’ancien régime sauf un, feu Abdelaziz Ben Dhia, ancien conseiller politique de Ben Ali, car les deux sont originaires de Moknine. Il l’avait présenté comme étant dans le collimateur de Ben Ali, qu’il subissait ses foudres, il allait presque nous le présenter comme un opposant.
En tout cas, Me Ben Halima est devenu un personnage du petit écran et on apprécie ses interventions mais il ne devrait plus monopoliser la parole, ce n’est pas bien cher Imed.
Egalement, quand il évoque feu Abdelaziz Ben Dhia, qu’il n’en parle plus comme un rebelle du cabinet présidentiel parce que personne n’y croit. Et surtout, lors de sa prochaine apparition télévisuelle, qu’il porte un nœud papillon – il est l’un des derniers à le porter à Tunis – et non pas une cravate comme jeudi soir, ça lui va tellement mieux.
* Juriste.
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