La seconde édition de La nuit des idées, célébrée le soir du jeudi 25 janvier 2018, à Tunis, a été un grand moment de partage, de réflexion et d’émotion.
Par Fawz Ben Ali
Forte de son succès de l’année dernière à l’Institut français de Tunisie (IFT), La nuit des idées s’est étendue pour sa deuxième édition tunisienne à 6 autres lieux différents (Institut français de Sousse, Institut français de Sfax, Université Esprit, Cogite coworking-space, Hôtel de ville de Tunis et lycée Gustave Flaubert), et ce afin de garantir la décentralisation de la fête et d’éviter l’encombrement de l’année dernière où le public a dû faire face à une énorme file d’attente.
Ayant lieu une fois par an, La nuit des idées est une nuit pas comme les autres car elle est célébrée dans environ 150 villes sur 5 continents en même temps, à travers les relais culturels français dans le monde.
Cherif Ferjani.
Après «Un monde commun», thème de l’année dernière, La nuit des idées a décidé, pour sa deuxième édition, d’orienter ses débats vers «L’imagination au pouvoir», le célèbre slogan soixante-huitard. Mais 50 ans après, que signifie encore «L’imagination au pouvoir»?
Appelés à faire preuve d’imagination en vue de changer le monde, une panoplie d’invités (artistes, intellectuels, écrivains, chercheurs, militants associatifs…) ont ramené chacun ses idées et ses projets pour réinventer la réalité et faire en sorte que l’imaginaire rêvé se concrétise.
Libre circulation des idées
Le soir du jeudi 25 janvier 2018, l’IFT a ouvert grand ses portes pour accueillir encore cette année un public énorme. Une fois à l’intérieur, on s’est réjoui de pouvoir circuler librement dans les différents recoins du vaste établissement français. La médiathèque, la galerie, l’auditorium, la grande cour, le nouveau bistrot… tous ces espaces étaient investis pour garantir la libre circulation des idées.
Dès l’entrée, on tombe sur l’artiste graffeur franco-tunisien Jaye qui s’est installé à la galerie. Armé de ses marqueurs et bombes à peinture, il commençait déjà à transformer les murs blancs en une fresque colorée de street art. Une occasion inédite d’assister à la naissance d’une œuvre qui donnait le ton de la soirée, «L’imagination est plus importante que le savoir», inscrit-il.
Le graffeur Jaye à l’oeuvre.
A la médiathèque, on nous a proposé des projections en boucle du film documentaire ‘‘Les LIP, l’imagination au pouvoir’’ de Christian Rouaud, sorti en 2007. Le film revient sur la grève de l’usine LIP à Besançon, dans les années 70, et colle ainsi au thème de la soirée en nous parlant des rêves des ouvriers de l’époque et de leur lutte à travers de vifs témoignages et des images d’archive.
De l’autre côté, à l’auditorium, après un tour de magie mentale par le magicien français Thierry Collet, les cinéphiles ne pouvaient manquer ‘‘Le redoutable’’ de Michel Hazanavicius, récemment sorti en France. Projeté pour la première fois en Tunisie, ce film est un biopic sur la vie de Jean-Luc Godard, pionnier de la nouvelle vague française. Artiste hors système et militant révolutionnaire, Godard a marqué Mai 68 car il a su faire de son imaginaire un cinéma de référence.
Table-ronde : révolution et illusion.
L’esprit soixante-huitard à la tunisienne
Vers 19h, le danseur et chorégraphe Rochdi Belgasmi, qui était très attendu, a enflammé la scène de la grande cour avec son spectacle ‘‘Ouled Jellaba’’ où il questionne le rapport trouble entre masculinité et féminité à travers un personnage tunisien marginalisé des années 20. Un spectacle qui nous a menés directement au débat «Le corps dans tous ses états».
Tour de magie mentale avec Thierry Collet.
Autour d’une table ronde, la socio-anthropologue Monia Lachheb a invité la trapéziste Chloé Moglia et le danseur et chorégraphe Rochdi Belgasmi à réfléchir à la dualité du corps que l’on a et du corps que l’on est. «Le corps que j’ai est un corps organique, mais le corps que je suis est le moi en tant qu’existence et subjectivité», explique Monia Lachheb. La jeune trapéziste française nous a parlé de son expérience dans le monde du cirque où seul l’endurance de son corps lui a permis de «transformer l’impossible en possible» et ce à travers le travail et l’entrainement. De sa part, Rochdi Belgasmi voit dans le corps une arme contre le tabou et toutes les formes d’obscurantisme. «Mon spectacle ‘‘Ouled Jellaba’’ m’a permis de me venger!», dit-il, en rappelant qu’il y a deux histoires, une officielle et une autre, parallèle et populaire, qu’on a tenté de nous faire oublier. «Le personnage de Ouled Jellaba, qui a réellement existé dans les années 20 en Tunisie, a été écarté de l’histoire officielle car il ne correspondait pas à la norme et à l’image virile de l’homme arabe», explique-t-il.
Chloe Moglia, Monia Lachheb et Rochdi Belgasmi.
Dans la même cour centrale s’est tenu un autre débat tout aussi passionnant sur les révolutions, illusions et évolutions de Mai 68 à 2018, en présence de l’historien et politologue Hichem Abdesmad, l’universitaire Raja Ben Slama, l’historienne Kmar Bendana et le politologue et islamologue Cherif Ferjani. Les intervenants ont rappelé qu’avant le Mai 68 français, il y avait eu un Mars 68 tunisien. Ainsi, la Tunisie a toujours été précurseur, «car il s’agit d’un lieu de résonance fort pour plusieurs mouvements progressistes», explique Raja Ben Slama, notamment grâce à l’importance de l’université et du mouvement estudiantin tunisien, ayant depuis toujours fait pression sur les régimes politiques. «La révolution du 14 janvier 2011 a en quelques sortes puisé dans l’imaginaire de mai 68 (…) c’est un esprit qui se prolonge dans le temps», estime Kmar Bendana.
Minuit passé, la fête n’était pas encore terminée puisque le DJ Shamann a été invité pour dj-set des musiques du monde, une invitation à la danse sur des rythmes bien chaloupés.
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