Pour sortir du simulacre de démocratie qu’ils vivent aujourd’hui et qui leur est imposé par les islamistes, les Tunisiens doivent modifier le mode électoral pour permettre de dégager une réelle majorité.
Par Rachid Barnat
La Tunisie est un pays qui a d’excellents juristes dont la réputation va au-delà même du pays. Parmi eux, les frères Ben Achour, Yadh et Rafaa, dont le père, Mohamed Fadhel, fut un mufti éclairé qui a défendu les dispositions du Code du statut personnel (CSP), fondement de la république moderne instaurée par Bourguiba. Ces deux juristes ont joué un rôle dans l’élaboration de la constitution et notamment le professeur Yadh Ben Achour qui a été le président actif de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror), qui a conduit la première phase de la transition après la chute du régime de Ben Ali, en janvier 2011.
Si leur compétence juridique ne peut être mise en doute; cependant, ils ont manqué soit de clairvoyance politique, soit de détermination et de conviction, car on se souvient des dépassements abusifs du délai d’un an accordé aux constituants parce que Yadh Ben Achour a cru avoir affaire à un gentleman dont la parole suffisait pour qu’il respecte son engagement, alors qu’il aurait du, en bon juriste, exiger un engagement écrit dûment signé par le chef des islamistes Rached Ghannouchi et engageant ses troupes.
Assemblée nationale constituante: les islamistes ont imposé une constitution à leur mesure.
Un tissu d’ambiguïtés, de faux-semblants et de contradictions
Il a fallu un temps interminable pour terminer la constitution en laissant la porte ouverte à des discussions sans fin sur le sexe des anges ! De même qu’on se souvient des nombreuses mises en garde de la part de certains hommes politiques et de constitutionnalistes dont personne ne voulait tenir compte, pendant que les Frères musulmans se confectionnaient une constitution sur mesure; et dont les politiques, tous partis confondus, disaient le plus grand bien; certains affirmant même dans l’euphorie du pénible accouchement, qu’elle est la meilleure du monde.
Il aura fallu la mise à l’épreuve de cette constitution pour constater, moins de quatre ans après, que le régime retenu par les islamistes est bâtard et constitue un grand handicap pour la Tunisie. Puisque de plus en plus de voix s’élèvent et notamment celles des frères Ben Achour, pour mettre en évidence des faiblesses majeures dans cette constitution, faiblesses que certains avaient dénoncées dès sa promulgation.
C’est ainsi que le professeur Yadh Ben Achour a mis en évidence le fait que le texte de la constitution est porteur de très grandes ambiguïtés car l’Assemblée nationale constituante (ANC), après une lutte forte entre progressistes et islamistes, a accepté des compromis qui donnent un texte ambigu, source d’interminables questions d’interprétation dont il peut tout résulter, alors qu’une Constitution, socle de la vie politique du pays, doit être claire et ne pas prêter aux discussions sans fin.
Le professeur Yadh Ben Achour a écrit à ce sujet : «La Constitution tunisienne de 2014, avec l’esprit de compromis qui l’anime fondamentalement, n’en est que le reflet. En réalité, la recherche du compromis systématique a pour résultat de transformer notre texte constitutionnel en un tissu d’ambiguïtés, de faux-semblants et de contradictions. Face à cette bifurcation, laquelle des deux voies choisir ?»
Les islamistes et la théorie du compromis
Récemment son frère, le professeur Rafâa Ben Achour, vient de dire clairement que le régime électoral était mauvais et qu’il faudrait en changer. Dans une déclaration à l’agence Tap, il a expliqué ceci : «Le mode de scrutin à la proportionnelle, adopté depuis les élections des membres de l’Assemblée nationale constituante (ANC), était requis pour élaborer une constitution consensuelle et permettre à la minorité de participer à l’élaboration du contrat social. Cependant, pour faire face au glissement de la monnaie nationale et pour sortir le pays de ses crises sociale et économique, nous devons faire en sorte que le parlement dégage un vrai gouvernement de législature après les élections de 2019, comme cela se voit dans les pays scandinaves et l’Italie».
Là encore cette analyse est bienvenue même si la justification que donne Rafâa Ben Achour à la solution alors adoptée est plus que discutable.
Il faut rajouter que cette analyse avait été faite depuis très longtemps par des Tunisiens qui n’avaient pas la compétence de ces juristes de haut niveau mais qui, politiquement, avaient bien vu la manœuvre des Frères musulmans dont le souci n’était pas de faire progresser le pouvoir mais de pouvoir s’y maintenir.
Cela montre que la science juridique n’est évidemment pas tout; et qu’il faut, en outre, le sens politique et surtout le courage des convictions.
On a assisté, ici encore, à la fameuse théorie du compromis. Compromis qui a été boiteux et qui traduisait surtout une lâcheté des progressistes face aux islamistes dont ils craignaient la violence.
Alors, certes, ils n’ont pas eu la violence ou en tous cas réduite, mais ils n’ont rien solutionné et le problème est devant nous, nous empêchant de progresser.
Il est fort probable d’ailleurs que les menaces et le chantage à la violence et au terrorisme de la part des islamistes auraient eu beaucoup de mal à se réaliser dans un pays comme la Tunisie; et que si cela se réalisait, il aurait signé la fin des islamistes car personne n’aurait permis ni accepté leur violence dans notre pays.
Et, par ailleurs, si tel avait été le cas, les islamistes se seraient définitivement discrédités et cela n’aurait pas été plus mal !
La faute a donc été commise mais rien n’est irrémédiable. Il faut suivre les conseils que donnent, aujourd’hui, un peu tard, les juristes; et modifier cette constitution en levant ses ambiguïtés et en réformant le régime électoral pour donner, enfin, la possibilité de voir émerger un pouvoir fort soumis à l’alternance et non un pouvoir mou, toujours dans le compromis; c’est-à-dire dans l’impuissance.0
Va-t-on, enfin, sortir de cette politique de demi-mesures qui n’aboutira à rien ?
Quel gâchis et que de temps perdu ! Et l’on ne peut que répéter que la seule solution pour sortir ce pays du marasme où il est, est de modifier le mode électoral pour permettre de dégager une réelle majorité qui pourra agir sans se soucier de compromis boiteux; et qui, si elle échoue, sera remplacée par une alternance.
Voilà la vraie démocratie et non ce simulacre que l’on connaît aujourd’hui !
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