La Tunisie se trouve à un tournant crucial de sa transition. «Il convient à l’Europe d’apporter son appui franc à cette dynamique et fragile démocratie», ces deux députés européens.
Par Frédérique Ries & Fulvio Martusciello *
Le Printemps arabe – cet éveil spontané de la ferveur démocratique qui a secoué, en 2011, le monde arabe et musulman – nous avait captivés et remplis d’espoir. En effet, pour la première depuis de très longues années, nous avions assisté dans cette région à des mouvements de protestation revendiquant la démocratie, les droits humains et la liberté d’expression.
Ces soulèvements ont eu gain de cause, renversé des dictateurs et mis fin à des régimes autoritaires dans plusieurs pays.
La Tunisie, un pays libre
Cependant, ces révolutions ont vite déçu et elles ont souvent conduit au chaos. Partout, à l’exception d’un seul pays: la Tunisie, le pays où ces soulèvements ont commencé.
Il est vrai que la Tunisie traverse actuellement une période difficile, marquée notamment par le mécontentement d’une certaine frange de la population face au rythme lent de la croissance économique. Mais, gardons toujours présent à l’esprit tout ce que ce pays a pu accomplir, car il a confondu les sceptiques en établissant une démocratie dynamique et stable en Afrique du nord – un système qui pourrait, sur pour plus d’un aspect, servir d’exemple à certains de nos pays européens – et en assurant sa stabilité malgré la tant redoutée ouverture de l’espace public à des opinions très souvent contradictoires.
La Tunisie a donné la preuve irréfutable que la démocratie peut fleurir dans un pays arabe et musulman, sans remettre en cause la laïcité, les droits de la femme ou ceux des minorités. De fait, selon le rapport Freedom House pour l’année 2018, la Tunisie est le seul pays d’Afrique du nord à être considéré «libre.»
Une jeune démocratie en marche.
Depuis le début de sa transition démocratique, en 2011, la Tunisie a réussi à organiser deux élections législatives et une présidentielle, toutes aussi démocratiques et pacifiques les unes que les autres. Son parlement est une assemblée multipartite, au sein de laquelle aucune formation politique ne détient la majorité des sièges. Et c’est également un pays où la presse est libre et pluraliste.
Ceci n’est pas un mince exploit, étant donné les nombreuses années durant lesquelles le pays a subi la dictature et aux restrictions sévères imposées aux droits de l’Homme – et il devrait servir de modèle pour la région toute entière, où il y a trop de pays qui sont encore soumis aux lois de régimes autoritaires, subissent les répressions de la liberté d’expression et souffrent du bâillonnement des médias.
Bref, le modèle laïc tunisien est précieux à un moment où d’autres pays musulmans autrefois laïcs –comme la Turquie– retombent dans l’islamisme. En Tunisie, la cause féministe reste forte et le pays détient la proportion de femmes parlementaires la plus élevée dans le monde arabe.
Une nouvelle loi, adoptée en 2017, est venue renforcer encore plus les droits de la femme, en criminalisant le viol conjugal et le harcèlement sexuel, en déclarant illégale toute forme de disparité salariale fondée sur le sexe et en haussant l’âge du consentement sexuel pour les filles à 16 ans, s’alignant ainsi sur des législations européennes similaires.
Avec le Maroc, la Tunisie est également un bastion de stabilité rare en Afrique du nord – et elle est devenue, par conséquent, un partenaire essentiel dans la lutte contre le terrorisme, la coopération militaire avec l’UE, l’Otan et les Etats-Unis et le contrôle des flux migratoires vers l’Europe.
Les islamistes cherchent à mettre à mal la démocratie en Tunisie
A un moment où l’Europe a besoin de mobiliser tous les alliés qu’elle peut pour faire face à ces vagues migratoires qui tentent de traverser la Méditerranée, pour combattre le phénomène de la radicalisation chez elle et à l’étranger et pour coopérer dans l’identification, le repérage et l’arrestation des terroristes, la Tunisie est un allié naturel de l’Ouest.
En outre, le pays s’est attelé à la tâche de la réforme de son économie après tant d’années de gouvernance kleptocratique sous l’ancien régime de Zine El-Abidine Ben Ali.
L’an dernier également, le gouvernement tunisien s’est engagé à ce que la croissance économique atteigne les 5% en 2020, comparés aux 2% en 2017. Il a promis de réduire de moitié le déficit budgétaire pour le ramener en 2020 à 3% du PIB, contre 6% en 2017. Il s’est également fixé comme objectifs de diminuer l’enveloppe salariale du secteur public et d’abaisser le ratio dette-PIB.
L’impatience de la population alimente la grogne sociale.
Toutes ces réformes ne peuvent porter leurs fruits du jour au lendemain – d’ailleurs, c’est ce qui explique l’impatience qu’a exprimée récemment la rue tunisienne.
Plusieurs observateurs ont vite fait de conclure que la grogne sociale suscitée par la faible croissance économique, le taux élevé de l’inflation et la lenteur des réformes est un signe d’instabilité de la Tunisie. De toute évidence, la jeunesse tunisienne est impatiente de recueillir les fruits de la révolution qu’elle a menée.
Alors que le taux de chômage se situe à 15% de la population active et que 30% des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur sont sans emploi: cette tendance doit être inversée.
Les tensions actuelles que connait actuellement la Tunisie ont été en partie nourries par des mouvements islamistes cherchant à mettre à mal la démocratie moderne et laïque tunisienne. Et c’est là une des raisons essentielles pour lesquelles nous devons soutenir le gouvernement tunisien mené par Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed – il s’agit bien de dirigeants laïcs, modérés et démocrates qui donnent la preuve au monde que la Tunisie peut être un modèle de démocratie moderne pour le monde arabe et musulman.
La Tunisie peut et doit être un de nos alliés les plus forts dans la région, un pays que devront soutenir des liens économiques plus étroits avec l’Europe, une assistance militaire plus importante et la poursuite de la coopération en matière d’échanges de renseignement.
Nous nous devons d’aider la Tunisie – car en faisant cela nous défendrons l’idée selon laquelle un pays d’Afrique du nord, arabe et musulman peut être un défenseur de la démocratie, des droits de la femme et de la laïcité dans une région qui en a tant besoin.
Tribune traduite de l’anglais par Marwan Chahla
* Frédérique Ries est députée européenne belge, membre de l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (ALDE). Fulvio Martusciello est député européen pour l’Italie, membre du Parti populaire européen (EPP, en anglais).
**Le titre et les intertitres sont de la rédaction.
Source: ‘‘Euroactiv’’.
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