Les banques tunisiennes ont accumulé un grand retard et doivent être restructurées rapidement si elles veulent jouer encore un rôle dans le développement économique du pays.
Par Khémaies Krimi
Bailleurs de fonds, experts financiers et économistes estiment, dans des déclarations accordées aux médias, que la performance du nouveau gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouane El Abassi sera jugée sur sa capacité de contribuer à la résolution, entre autres, du problème de la sur-bancarisation du pays que la loi nouvelle bancaire, adoptée en 2016, sous le mandat de son prédécesseur Chedly Ayari, favorise amplement.
Ce problème, on le sait, empêche les banques tunisiennes à avoir la taille requise pour financer l’économie du pays et accompagner les activités des entreprises tunisiennes à l’international.
Surbancarisation, faible performance et mauvaise gouvernance
Commençons ce focus par des éléments d’information sur la situation actuelle du secteur bancaire en Tunisie.
Premier constat : il est relevé par Chokri Mamoghli, universitaire et directeur de recherches à l’Institut des hautes études de Carthage, qui qu’«il y a trop de banques en Tunisie». Le pays, dont la population est estimée à 11,3 millions d’habitants, compte 24 établissements bancaires, soit autant que l’Egypte (96 millions d’âmes).
Ulrich H. Brunnhuber, chef du bureau de représentation à Tunis de la Banque européenne d’investissement (BEI), déclare avoir remarqué, dès son arrivée en Tunisie, en août 2013, après avoir exercé en Afrique du Sud, que notre pays est surbancarisé. Pour lui, «le nombre de banques pour un tout petit comme la Tunisie est à peu près le même qu’un grand pays comme l’Afrique du sud (56 millions d’habitants)».
Deuxième constat : ces 25 banques partagent les mêmes segments d’un marché exigu et se livrent en conséquence à une concurrence extrêmement dure. Par ailleurs, elles souffrent, selon Moez Labidi, économiste, «de trois tares structurelles majeures : une faible performance qui les place loin des standards internationaux, une mauvaise gouvernance qui se ressent surtout dans les banques publiques et une mauvaise qualité des actifs».
Troisième constat : aucune banque tunisienne ne figure dans le classement des 50 premières banques les plus rentables en Afrique. La première qui s’affiche dans ce classement est la Biat, classée 57e. Conséquence : la Tunisie n’a vraiment aucune banque vraiment capable d’accompagner ses investisseurs à l’étranger.
Que fera le nouveau gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Maouane El Abassi ?
Beaucoup de banques et faible bancarisation
Pis, ce grand nombre de banques n’est pas accompagné sur le terrain par une forte bancarisation (pénétration des services bancaires dans une population).
D’après Habib Karaouli, Pdg de la Banque d’affaires de Tunisie (BAT), récemment rebaptisée Capital African Partners Bank, ce taux de pénétration est de 36% en Tunisie contre 70% au Maroc. De plus, relève-t-il, 6 banques concentrent plus de 70% du marché tunisien tandis que 50% des agences bancaires en Tunisie ne sont pas rentables, et ce, d’après une étude que sa banque vient d’élaborer.
En résumé, le secteur bancaire se caractérise par un grand nombre de banques, un marché atomisé et une faible bancarisation.
En dépit de ces carences, la loi bancaire adoptée en grande pompe en 2015, au lieu de favoriser de grands champions nationaux, a accentué l’émiettement du secteur. Pour preuve: elle a prévu comme capital minimum pour la création d’une nouvelle banque un montant de 50 millions de dinars tunisiens (MDT). Avec un tel capital, et compte tenu de la petite taille banques de la place, les observateurs du secteur pensent qu’aucune banque tunisienne ne peut prétendre un jour disposer de l’épaisseur financière requise pour accompagner l’entreprise tunisienne à l’étranger et financer les grands projets.
La solution, créer des champions régionaux
Pour remédier à cette situation, Chokri Mamoghli propose une panacée. Il s’agit pour lui de regrouper les 24 établissements de la place en quatre ou cinq grandes banques dont une seule publique, et qui sont susceptibles d’être des champions régionaux.
La démarche à suivre serait de prendre le contre-pied de la loi bancaire de 2015, et d’augmenter le capital minimum pour créer une banque, dans une première étape à 500 MDT et dans une seconde à 1000 MDT (1 milliard de dinars). «Voilà une exigence, dit-il, qu’il est possible de mettre en œuvre petit à petit sur deux ou trois années».
Par la voix de son chef de bureau en Tunisie, Antoine Salé de Chou, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), très active depuis son implantation il y a cinq ans, appuie le rapprochement entre les banques de la place, la privatisation des banques publiques, et particulièrement la Banque de l’Habitat qui serait mûre, selon Salé de Chou, pour cette migration vers le privé. L’ultime étant pour lui la disponibilité sur la place de Tunis de grandes banques pouvant accompagner l’internationalisation des entreprises nationales.
Ce qui est proposé en filigrane c’est, on l’a compris, une révision de la loi bancaire de 2016.
La banque de demain c’est le digital et il faut s’y préparer
Quant à Habib Karouali, il recommande, en plus du rapprochement entre banques, l’adaptation rapide des banques tunisiennes à la révolution que l’industrie bancaire est en train de connaître par l’effet de la digitalisation et, son corollaire, l’open banking. Pour lui, les banques tunisiennes n’ont pas beaucoup de choix pour survivre : elles doivent «innover ou périr».
Il reste à espérer que ces remarques et recommandations, partagées par l’ensemble des observateurs du secteur bancaire tunisien, ne tombent pas, comme souvent le cas, dans des oreilles sourds, et qu’elles soient entendues, surtout, par le nouveau gouverneur de la BCT.
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