La hausse du taux directeur de la Banque centrale, imposée par le FMI, est-elle la panacée pour relancer l’économie tunisienne ou le coup de grâce qui va finir par l’assommer ? Les causes et les conséquences.
Par Khémaies Krimi
Pour une mauvaise nouvelle, c’en est bien une : la Banque centrale de Tunisie (BCT) a annoncé, hier lundi 5 mars 2018, l’augmentation de son taux directeur, qui passera ainsi, de 5 à 5,75, soit une augmentation de 75 points de base. C’est la 3e augmentation en moins d’une année (avril 2017-mars 2018) soit au total 150 points de base. Les deux premières augmentations ont eu lieu, en 2017, respectivement, fin avril (+50 points) et fin mai (+25%).
Officiellement, l’objectif est «de contenir les effets pervers d’une inflation galopante (7,1%), de la baisse de l’épargne dont le taux a reculé de 19% à 12% actuellement et des paiements extérieurs». Il s’agit aussi de décélérer et de contenir la demande sur le financement bancaire et d’alléger la pression sur la liquidité.
Des augmentations «imposées» par le FMI
Empressons de signaler que les deux premières augmentations ont eu lieu au moment où les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) avaient abouti à l’acceptation du décaissement de la deuxième tranche (350 millions de dollars) du crédit (2,9 milliards de dollars) accordé par le Fonds à la Tunisie au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC) et approuvé en mai 2016.
La troisième augmentation, annoncée hier, intervient, également, à la veille du décaissement espéré de la troisième tranche du même crédit (320 millions de dollars), ce qui porterait le total des décaissements au titre du MEDC à environ 1 milliard de dollars.
D’ailleurs, cette nouvelle augmentation était prévisible et annoncée en filigrane dans le communiqué rendu public par l’équipe des services du Fonds, qui avait séjourné à Tunis du 30 novembre au 13 décembre 2017 pour négocier ce dernier décaissement.
La mission du FMI, dirigée par Björn Rother, a accepté le principe de décaisser cette troisième tranche en attendant sa validation par le conseil d’administration du FMI, probablement au courant de mai prochain.
Le point d’orgue de ce communiqué du Fonds est manifestement la séquence qui prévoit, en substance, une augmentation probable du taux d’intérêt directeur de la BCT. On y lit justement: «Les pressions inflationnistes croissantes exigent une réponse forte. L’inflation a dépassé les 6% en novembre, sous l’effet de hausses significatives des prix des produits alimentaires. À ce niveau, l’inflation affecte le revenu disponible et les investissements à long terme. La poursuite de la stratégie de resserrement de la politique monétaire de la Banque centrale de Tunisie, y compris en limitant le refinancement des banques, contribuera à ancrer les anticipations d’inflation et à soutenir le dinar sur le marché des changes».
Au final, tout indique que les trois augmentations du taux d’intérêt directeur de la BCT ont été dictées par le FMI. Il s’agit, en termes plus simples, de conditionnalités du FMI.
Le nouveau gouverneur de la BCT, Marouane El Abassi, avait-il d’autres solutions ?
Les impacts seront douloureux
Quant aux impacts de l’augmentation de 150 points de base du taux d’intérêt directeur de la BCT, elles sont au nombre de trois.
Le premier sera perceptible à travers la majoration du taux d’intérêt de tous les crédits contractés par les particuliers et les entreprises auprès des banques de la place. À titre indicatif, si un particulier a contracté en 2016 un crédit de consommation au taux de 4,25%, il le payera dorénavant au taux de 5,75%.
Le second sera percevable à travers le resserrement du crédit et ses deux conséquences immédiates : l’accroissement du coût de l’investissement et de celui de son financement.
Ce qui est certain, c’est que cette augmentation du taux d’intérêt directeur ne sera pas du goût de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica). La centrale patronale a toujours estimé que ces augmentations rapides et rapprochées dans le temps du taux d’intérêt directeur, conjuguées à la forte dégringolade, depuis début avril 2017, du dinar face aux principales monnaies d’endettement et d’investissement (euro, dollar…) auront pour effet immédiat la dissuasion et l’annihilation de tout projet d’investissement.
Il faut reconnaître qu’il y a, depuis quelques temps, une tendance fâcheuse à plomber les entreprises du pays et à les pénaliser par diverses manières.
Faut-il rappeler aussi que cette troisième augmentation du taux d’intérêt directeur intervient après moult autres mesures traumatisantes et contraignantes pour les entreprises. Pour en rappeler quelques unes, nous citerons la contribution exceptionnelle imposée aux entreprises par la Loi de finances 2017, la hausse des salaires, et le relèvement des taxes douanières et du taux de la TVA.
Par ailleurs, l’entreprise, comme le souligne l’Utica, est aussi victime de l’instabilité de la législation, du commerce parallèle et de la contrebande.
Pour le président de la centrale patronale, Samir Majoul, c’est le ras le bol. C’est dans cet esprit qu’il faut peut-être comprendre son geste symbolique quand il avait sorti, hier, lors de son passage sur la chaîne privée El Hiwar Ettounsi, un sifflet, qui signifie que l’exécutif doit sonner la récréation et arrêter les abus.
Toujours dans le camp des chefs d’entreprises, il serait intéressant de savoir quelles étaient les assurances qu’avait données le nouveau gouverneur de la BCT, Marouane El Abassi aux membres des bureaux de la Confédération des entreprises citoyennes de Tunisie (Conect) et du Conseil des chambres mixtes, lors de récentes réunions qui ont précédé l’augmentation du taux d’intérêt directeur.
Le troisième impact sera visible à travers la détérioration du pouvoir d’achat et de la révision à la baisse du niveau de vie de la classe moyenne. Au regard de la modicité des salaires et de la hausse des prix, particulièrement, des voitures et des logements, la classe moyenne sera condamnée, hélas, à davantage de précarité et de frustration.
Pourtant, le gouvernement aurait pu mieux négocier
Pour les chefs d’entreprises et les analystes, le gouvernement aurait pu mieux négocier avec le FMI et éviter au pays ce «mal vivre annoncé».
Réagissant à ces augmentations, Farid Abbes, entrepreneur à la tête d’un grand groupe, estime que «l’économie subit, aujourd’hui, une certaine pression inflationniste mais ce n’est pas une raison pour pénaliser l’investissement. Il aurait peut être fallu penser à une politique plus sélective d’encadrement du crédit». Selon lui, «l’inflation doit être combattue par l’accroissement de la croissance, par l’accroissement de la production, par l’accroissement de l’offre». En d’autres termes : par la redynamisation de l’activité productive et l’impulsion des activités de l’entreprise.
Quant à Hakim Ben Hammouda, économiste et ancien ministre des Finances, il s’est dit fortement préoccupé par cette politique monétaire restrictive (augmentation du TMM) et cette option pour une plus grande libéralisation du dinar.
Lors d’une intervention sur Radio Express FM, il a demandé au gouvernement de ne plus subir les pressions du FMI et de faire une étude sur les raisons de l’inflation ainsi que sur les moyens d’augmenter les exportations, précisant que l’inflation peut être due à d’autres facteurs : une inflation importée due à la baisse du dinar, une inflation due à la suppression des subventions et des compensations, ou une inflation due à l’augmentation de la TVA.
Par-delà ces éclairages, il semble que cette décision d’augmentation du taux d’intérêt directeur de la BCT ne serait que le «hors d’œuvre» d’un ensemble d’autres augmentations… de prix. Le pire serait donc à l’horizon. Pour preuve, la tendance de certaines entreprises publiques (Sonede, Transtu…) et du département de l’énergie (carburant…), qui s’emploient, ces jours-ci, à travers les médias, à préparer les Tunisiens à de nouvelles augmentations de prix.
Ex post : L’économie tunisienne et l’acharnement monétariste !
Tunisie : La Banque centrale augmente le taux directeur de 75 points
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