Pour réduire le déficit commercial et maîtriser l’inflation, que certains responsables du gouvernement ont tendance à justifier, il est peut-être temps d’adopter la technique du ciblage de l’inflation.
Par Khémaies Krimi
La première conférence de presse du nouveau gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) Marouane El Abassi, tenue le 8 mars 2018, à Tunis, a connu un succès relatif. Elle a certes permis de donner des éclairages instructifs sur la décision de l’Institut d’émission d’augmenter le taux directeur, mais surtout de révéler un important dysfonctionnement au niveau de la gouvernance macroéconomique.
Ce dysfonctionnement, perceptible à travers l’absence de coordination entre les monétaristes de la BCT et les budgétistes du gouvernement, le nouveau gouverneur de la BCT a promis d’y remédier.
L’économie réelle n’est pas du ressort de la Banque centrale
S’agissant du premier point, les tenants et aboutissants de l’augmentation du taux directeur de 75 points de base, M. El Abassi l’a justifiée par la hausse de l’inflation dont le taux est passé de 6,4% en décembre 2017 à 7,1% en février 2018, contre 4,6% seulement en février 2017 et une moyenne de 3,7% en 2016.
Ce taux est appelé, selon le gouverneur de la BCT, à augmenter durant les prochains mois à un rythme crescendo, particulièrement durant les périodes de consommation de pointe : le mois de ramadan et les vacances estivales. Il ne sera stabilisé et révisé à la baisse que vers la fin de l’année en cours. Il atteindra une moyenne à 7,2% pour toute l’année 2018, selon les estimations.
Le principal poste à l’origine de cette augmentation enregistrée en mars 2018, c’est la hausse des prix des produits alimentaires, qui ne sont pas du ressort de la BCT, insiste pour dire l’équipe de la BCT. Les mesures prises dans le cadre de la Loi de Finance 2018 en matières fiscale et douanière (augmentation du taux de TVA, des droits de consommations, des droits de douanes) ont également favorisé l’évolution de l’inflation.
Pour l’équipe de la Banque centrale, le défi réside donc dans la maîtrise de l’inflation, et l’augmentation du taux directeur de 5% à 5,75% vise à maîtriser l’évolution de son taux.
Concernant le deuxième point, le nouveau locataire de la BCT a déploré l’absence de coordination entre la politique monétaire, dont l’Institut d’émission a la charge, et la politique budgétaire qui est du ressort du gouvernement. En principe, les deux politiques interagissent et forment ensemble «le policy-mix», ou l’art de gérer au mieux la macroéconomie d’un pays.
La politique monétaire étant l’action par laquelle l’autorité monétaire (BCT) agit sur l’offre de monnaie dans le but de remplir son objectif de triple stabilité (stabilité des taux d’intérêts, stabilité des taux de change et stabilité des prix), tandis que la politique budgétaire se soucie d’atteindre un autre triple objectif : croissance, emploi, équilibre des échanges extérieurs.
Marouane El Abassi a tenu à rappeler ces principes théoriques de base pour dire qu’en fait si lui et son équipe font leur job, ceux qui ont la charge de la politique budgétaire ne font pas le leur avec assez de responsabilité et de rigueur: «L’économie réelle n’est pas à la Banque centrale», a-t-il martelé, jetant ainsi une pierre dans le jardin du gouvernement.
M. El Abassi a relevé, à ce propos, que la maîtrise de l’inflation ne relève pas uniquement des attributions de la BCT, mais également du secteur productif, lequel n’est pas en train d’optimiser le potentiel d’exportation qu’il recèle.
Dans ce contexte, il a indiqué que le déficit courant, estimé à plus de 10% du PIB, en raison de la chute des revenus du phosphate, la baisse des recettes touristiques et l’accroissement du coût des importations, est devenu intolérable. Pourtant, dit-il, il existe beaucoup de niches à valoriser à l’export pour réduire ce déficit. Au nombre de celles-ci, il a cité l’urgence d’agir sur le coût de la logistique portuaire (port commercial de Radès) qui représente un manque à gagner en devises de plus de 400 millions de dollars. Il s’agit aussi d’optimiser le potentiel du tourisme (120.000 lits à vendre) et des industries extractives (phosphate et autres).
Les textiliens sont également interpellés dans la mesure où ils ne se démènent pas beaucoup alors qu’il existe actuellement, à la faveur de la reprise économique dans la zone euro, principal débouché de cette filière, une forte demande des produits textiles.
Dans cet esprit, la démarche analytique du nouveau gouverneur de la Banque centrale rappelle celle de son prédécesseur qui a toujours pointé du doigt les responsables de la politique budgétaire, les accusant de ne rien faire pour contenir les importations inutiles et accroître les exportations.
Tout le monde se rappelle le coup de gueule de Chedly Ayari quant il a avait déclaré au parlement «Où est l’argent du tourisme ?» («Wini flouss ettourisme?»).
S’inspirer de l’expertise étrangère pour maîtriser l’inflation
Et c’est là, peut-être, le principal défaut des monétaristes de la Banque centrale qui ont tendance à se blanchir et à se déresponsabiliser, en faisant assumer aux budgétistes tous les malheurs du pays.
Pourtant, eux aussi sont responsables des problèmes macroéconomiques. Aussi ont-ils intérêt à cesser de se lamenter et à adopter de nouveaux mécanismes pour la maîtrise de l’inflation.
L’idéal serait de s’inspirer de l’expertise développée, dans cette perspective, par d’autres pays qui sont parvenus à résoudre ce problème de maîtrise de l’inflation de manière structurelle en adoptant une technique de la New-Zélande dénommée «ciblage de l’inflation». Ce mécanisme est, d’ailleurs, fortement recommandée par le FMI. De quoi s’agit-il?
Le ciblage de l’inflation consiste à fixer un taux d’inflation au début de chaque année administrative et à tout faire pour ne pas le dépasser durant tout l’exercice. Les avantages sont nombreux. Le plus important consiste dans la responsabilisation, sur un pied d’égalité, des monétaristes et budgétistes, appelés à coordonner leur action afin de réaliser, moyennant un faible taux de fluctuation, le taux d’inflation préalablement fixé.
En Tunisie, il a été question du ciblage de l’inflation en 2007 lorsque le FMI avait débattu avec les responsables du pays un package de réformes monétaires structurelles articulé autour de six principales réformes: restructuration des banques publiques, réforme de la politique de change, convertibilité totale du dinar, lutte contre l’inflation à travers l’institution de son ciblage, amélioration de la productivité totale des facteurs de production et réduction du chômage.
Cette stratégie, qui a connu quelques résultats au niveau de la réflexion, a été interrompue de manière brutale après le soulèvement du 14 janvier 2011. Le moment est peut-être venu pour dépoussiérer le dossier et le reprendre avec plus de détermination.
La seule condition à réunir pour garantir son succès est de le faire sans la contribution de certains ministres conseillers du chef du gouvernement actuel lesquels ont tendance à s’accommoder avec les déficits, à les banaliser et à les justifier abusivement pour ne rien faire.
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