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Lutte des puissances mondiales pour le contrôle du port de Bizerte

Situé au cœur de la Méditerranée, l’ancien port tunisien de Bizerte est désormais au centre d’un «Grand jeu» d’influence entre la France, les Etats-Unis et la Chine.

Par Marwan Chahla

Cette partie de bras-de-fer géostratégique se focalise autour du pays qui assumera le rôle du développement et du contrôle du port en eau profonde, qui est déjà le nœud gordien d’un réseau sous-marin à fibres optiques reliant les Etats-Unis/Europe à l’Asie et au Moyen-Orient.

L’administration Trump s’inquiète

L’ancien président américain Barack Obama a plus qu’explicité cette importance stratégique de la Tunisie pour son pays, en en faisant, à l’occasion de la visite du président Béji Caïd Essebsi aux Etats-Unis, an mai 2015, un allié majeur non-membre de l’Otan.

La croissance des relations politiques et économiques liant les Etats-Unis et la Tunisie – que soutiennent des engagements de donateurs américains et européens se chiffrant en plusieurs milliards – n’a jamais cessé jusqu’au jour où la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a décidé de fermer l’ambassade des Etats-Unis à Tunis et d’interdire le voyage de citoyens américains en Tunisie, à la suite de l’assassinat de l’ambassadeur américain, Christopher J. Stevens, à Benghazi, en Libye, le 11 septembre, 2012.

D’un seul coup, la Tunisie, qui connaissait une certaine reprise économique et dont les hôtels ne désemplissaient pas de responsables et de Pdg de compagnies et de multinationales américaines, a été désertée par les chefs d’entreprises occidentaux, pour devenir un fief d’opportunités économiques pour le géant chinois.

Le port de Bizerte est à présent au centre d’une rivalité sino-américaine, avec le président Donald Trump plus que jamais déterminé à affirmer le leadership des Etats-Unis face à Pékin et l’agressive BRI (Belt and Road Initiative, littéralement ceinture et route) de son président Xi Jinping, qui a vu la Chine étendre son influence dans des régions du monde stratégiquement sensibles, comme Djibouti, dans la Corne de l’Afrique, et le port autonome du Pirée, en Grèce, pays membre de l’Otan.

Ali Belakhoua, membre UPL de l’Assemblée des représentants du peuple, a déclaré à ‘‘Capitol Intelligence’’ (‘CI’) qu’il a rencontré par inadvertance un groupe d’hommes d’affaires chinois représentant des entreprises nationales chinoises qui lui ont fait savoir qu’ils étaient intéressés à investir dans le port de Bizerte.

L’intérêt que la Chine porte pour le développement d’un port en eau profonde à Bizerte est confirmé par Kamel Ben Amara, le candidat du parti islamiste Ennahdha aux municipales du 6 mai prochain. Il déclare que des compagnies chinoises ont déjà présenté des offres de développement et de modernisation du port.

En effet, ‘‘CI’’, fournisseur américain de renseignements financiers prédictifs, confirme avoir obtenu une copie d’une «lettre d’intention» du groupe d’investissement chinois Yuanda Commercial Financial Investment Group dans laquelle ce dernier offre de développer un port de «troisième génération» à Bizerte.

L’administration Trump commence à réaliser que, si elle ne s’implique pas plus sérieusement, et de toute urgence, sur cette question du port de Bizerte, elle sera battue par les compagnies chinoises qui agissent au nom du gouvernement de la République populaire de Chine, de la même manière que cela s’est produit à Djibouti et en Grèce.

Sous les eaux, une lutte à couteaux tirés

Alors que les Etats-Unis et la Chine se font concurrence pour développer le port de Bizerte, la France, elle, met tout en œuvre pour qu’aucun développement à Bizerte ne vienne menacer la position du port de Marseille, plaque tournante méditerranéenne de son commerce.

«Les Français se comportent comme un homme amer qui ne souhaite pas voir son ex-épouse fréquenter qui que ce soit d’autre», explique un responsable d’un fonds souverain singapourien qui exploite le Voltri Terminal Europa de Gênes, en Italie.

Il semble que la Bechtel Corporation (BC) soit l’entreprise de travaux publics américaine la mieux placée pour décrocher le contrat du projet de rénovation du port de Bizerte, avec le soutien de la Société américaine de promotion des investissements privés à l’étranger (OPIC, en anglais), une agence fédérale du gouvernement des Etats-Unis.

Lors d’un récent forum organisé par le Centre américain d’études internationales et stratégiques (CSIS, en anglais), Brendan Bechtel, Pdg de la BC, a admis que la première entreprise américaine de travaux publics ne figure plus dans le top 10 mondial des compagnies de construction, en raison de la percée fulgurante de sociétés chinoises soutenues par le gouvernement de Pékin.

Ce qui se trouve sous les eaux, à Bizerte, suscite lui aussi une lutte à couteaux tirés entre la France, les Etats-Unis et la Chine.

De fait, Bizerte se situe au cœur d’une importante plaque tournante d’un réseau sous-marin Europe-Asie de câbles à fibres optiques qui gère près de la moitié des transmissions vocales et autres données circulant de l’Europe vers l’Asie et le Moyen Orient. Sparkle, une filiale de la TIM italienne (Telecom-Italie), qui est un des opérateurs de ces câbles sous-marins, a été acheté par le propriétaire de la multinationale française Vivendi, Vincent Bolloré.

A maintes reprises, l’administration Trump a exprimé son inquiétude auprès des autorités italiennes, leur demandant des garanties que ce soit l’Italie, et non pas la France, qui contrôle le flux d’informations qui circule par le biais de ces câbles sous-marins…

Les préoccupations soulevées par la Maison Blanche, notamment par H.R. McMaster, le conseiller américain à la sécurité nationale, seront encore plus sérieuses s’il s’avère que la Chine, le jour où elle renforce sa présence à Bizerte, peut exploiter ce réseau de communication.

La bataille France vs Etats-Unis se déroule aussi au sein de la Telecom-Italie, et précisément au sujet de la composition du conseil d’administration de cette dernière, avec l’homme d’affaires américain Paul Singer, fondateur et dirigeant du fonds d’investissement activiste Elliott Management Corporation, qui réclame des sièges au conseil d’administration de la TIM dans le but de «contrer» la gestion du premier actionnaire, le français Vivendi…

 

 

 

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