Dans le cadre du cycle «ID’BA», l’Institut français de Tunisie (IFT) a accueilli, le soir du lundi 16 avril 2018, une conférence intitulée «Femmes tunisiennes : l’héritage de Bourguiba».
Par Fawz Ben Ali
Ouverte par l’ambassadeur de France à Tunis Olivier Poivre d’Arvor, la conférence a été donnée par quatre femmes tunisiennes : Alia Menchari (première femme pilote et commandant de bord en Tunisie, en Afrique et dans le monde arabe), Najet Abdelkader Fakhfakh (universitaire et essayiste), Bochra Bel Haj Hmida (avocate, députée et co-fondatrice de l’Association tunisienne des femmes démocrates ATFD) et Dalenda Larguech (universitaire, historienne et écrivaine), et le débat a été animé par le journaliste français d’origine tunisienne Guy Sitbon.
S’appuyant sur sa propre expérience et son parcours personnel et professionnel, chacune des intervenantes est venue apporter sa réflexion sur ce thème classique mais toujours d’actualité autour des droits des femmes tunisiennes et ce qu’il en reste de l’héritage bourguibien.
La Tunisie, exception progressiste dans le monde arabo-musulman
«Qu’est-ce-qui fait de la Tunisie l’exception progressiste qu’elle est aujourd’hui dans le monde arabo-musulman? Le statut privilégié de la femme tunisienne tient-il seulement à Bourguiba?».
Telles étaient les questions centrales qu’a commencé à poser Guy Sitbon, tout en proposant sa propre lecture de l’état des lieux. «Bourguiba avait une approche évolutionnaire plutôt que révolutionnaire vis-à-vis de la religion», estime-t-il, expliquant que le combattant suprême bénéficiait d’un environnement favorable et avait la légitimité nécessaire pour promulguer le Code du statut personnel (CSP) et à hisser la femme tunisienne vers une condition qui demeure jusqu’à ce jour une exception dans le monde arabe, chose que n’a pas pu faire, par exemple, en Egypte, Gamal Abdel Nasser, pourtant progressiste.
Contrairement aux hommes politiques actuels, Bourguiba estimait que l’émancipation de la femme était une affaire prioritaire qui mènerait naturellement à l’émancipation du peuple et au développement économique, social et culturel du pays. Mais aujourd’hui, peut-on parler d’une métamorphose de l’âme du peuple tunisien 60 ans après la promulgation du CSP ?
Dalenda Larguech a commencé par confirmer que la question de la femme est très présente dans le contexte actuel de la transition démocratique et de la mise en place d’un Etat de droit, car dès les premiers moments de la révolution du 14 janvier 2011, des débats qu’on croyait datés ont refait surface sur l’identité tunisienne et sur l’égalité homme-femme. On était en effet frappé par l’intensité des discours rétrogrades qui remettaient en cause la civilité de la société et les acquis de la femme.
Dalenda Larguech a expliqué que le CSP était le cœur du projet de Bourguiba pour réformer la société, d’où les tentatives des islamistes à le faire modifier en vue de modifier l’ensemble du mode de vie des tunisiens. «Aujourd’hui, on peut dire que les lois et la législation sont à l’origine du changement social et non le contraire», affirme l’historienne.
De sa part, Alia Menchari a évoqué son expérience personnelle dans le monde du pilotage longtemps monopolisé par les hommes. «Depuis que j’étais toute petite, je rêvais de devenir pilote, mais mes parents me disaient que c’était de la folie», confie-t-elle. La femme pilote, à l’expérience sans précédent dans la région, a dû faire face une terrible misogynie de la part des ses anciens camarades, collègues et chefs pour réaliser son rêve, et ce fut aussi grâce à la politique de Bourguiba qui soutenait l’éducation des filles. «Je suis fière d’appartenir à l’héritage de Bourguiba», affirme-t-elle.
La question de l’égalité dans l’héritage
D’autre part, l’universitaire et essayiste Najet Abdelkader Fakhfakh a choisi d’évoquer l’héritage de Bourguiba à travers son dernier livre ‘‘La liberté en héritage’’ où elle dresse le portrait de nombreuses femmes qui avaient marqué l’histoire de la Tunisie.
Inspirée des manifestations du 13 août 2013 quand les femmes tunisiennes étaient descendues en masse dans la rue pour défendre leurs acquis et tenir tête au gouvernement du parti islamiste Ennahdha, Najet Fakhfakh a entamé un travail de recherche historique pour démontrer que la femme tunisienne n’est pas émancipée depuis une soixantaine d’années mais qu’on devrait plutôt parler d’une émancipation graduelle qui remonte à 3000 ans.
«Certes Bourguiba nous a donné un sérieux soutien en codifiant et statuant les droits des femmes, mais le terrain était bien préparé par de nombreux hommes et des femmes pour qu’il réussisse à le faire», explique-t-elle.
Bochra bel Haj Hmida a confié qu’elle avait toujours éprouvé de l’admiration et de la reconnaissance envers Bourguiba mais, comme beaucoup d’autres militantes, elle refusait d’être dépendante au féminisme de l’Etat. La députée a rappelé que le mérite de Bourguiba ne se limite pas au CSP mais inclut aussi l’éducation gratuite, le planning familial et tous ses discours pédagogiques.
La député a ajouté que l’Etat est appelé à renforcer les acquis des femmes, notamment la question de l’égalité dans l’héritage qui est en tête des objectifs de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) qu’elle préside et qui a été créée par le président de la république Béji Caïd Essebsi, le 13 août 2017, pour préparer un rapport concernant les réformes législatives relatives aux libertés individuelles et à l’égalité conformément à la constitution de 2014 et aux normes internationales des droits de l’Homme.
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