Mohamed Anouar Maarouf/Adel Bouhoula.
L’ancien directeur du CNI, Adel Bouhoula, revient sur les circonstances de son limogeage brutal et injustifié et accuse Mohamed Anouar Maarouf, ministre des Technologies de la communication et de l’Economie numérique, de vouloir imposer son contrôle sur le secteur des communications en Tunisie.
Par Imed Bahri
Dans un communiqué dont Kapitalis a eu copie, aujourd’hui, lundi 21 mai 2018, M. Bouhoula explique qu’il aurait préféré ne pas parler publiquement des événements récents au Centre national d’informatique (CNI), mais précise-t-il, «ce qui vient de se passer ces derniers jours me sidère au plus haut point que je ne peux faire autrement que revenir à la charge.»
Et il expose les faits à l’opinion publique : le 16 mai, cet enseignants et chercheur qui a fait une carrière aux niveaux national et international et qui a aussi occupé plusieurs hauts postes dans l’administration publique, a reçu une lettre officielle du ministère qui lui demande de convoquer une réunion du conseil d’entreprise pour la passation avec le nouveau directeur général du CNI.
Qu’est-ce qui fait courir M. Maarouf ?
«J’ai procédé alors, en date du 17 mai, à l’envoi des lettres d’invitation à tous les membres du conseil pour la tenue d’une réunion au CNI selon les délais réglementaires et qui sont en concordance avec les délais appliqués dans les passations précédentes», souligne M. Bouhoula, qui affirme avoir eu un malaise, tôt le matin du 18 mai, et avoir dû procéder à plusieurs examens cliniques. Il affirme aussi avoir envoyé un certificat médical au ministère pour justifier son absence du CNI.
Sauf que, à sa grande surprise, il apprit que le ministre a convoqué lui-même le conseil d’entreprise dans son bureau au ministère pendant la matinée du 18 mai sans sa présence et a procédé de lui-même à la passation sans la présence d’aucun des responsables du CNI.
Cette pratique pour le moins inhabituelle, étrange voire louche, trahit, chez M. Maarouf, un empressement à se débarrasser d’un haut fonctionnaire qui s’est montré trop soucieux de l’impartialité de l’institution dont il a la charge et a résisté à ses tentatives successives pour lui imposer ses diktats, notamment en matières de recrutements et d’accès aux données (censées être secrètes et protégées) des clients du CNI.
«Comme s’il considérait le CNI comme une direction annexe au ministère et non pas comme un établissement national bénéficiant de l’indépendance financière et administrative», précise M. Bouhoula, qui a rejeté l’idée que lui ont soufflée plusieurs de ses collègues de contester la légalité de cette passation auprès du tribunal administratif, car, dit-il, il souhaite tourner la page et considère l’affaire comme close.
Il a cependant tenu à porter l’affaire à l’attention du public «afin de faire bouger les lignes contre les abus de pouvoir dans notre pays», tout en formant l’espoir que les prochains responsables «n’auront pas à subir ce genre de pressions et de traitement» et que «cette expérience servira à l’instauration d’une charte de conduite éthique et d’un contrat d’objectifs préétablis (et spécifique à chaque nomination) permettant d’assumer des postes de responsabilités dans les meilleures conditions.»
Ennahdha pousse ses pions et son avantage
Voilà pour les faits dont le chef du gouvernement, principal responsable, est censé devoir vérifier le bien-fondé et, s’ils s’avéraient véridiques, exiger des explication du ministre des Technologies de l’information qui est accusé par les professionnels du secteur de vouloir imposer ses hommes dans les postes clés dépendant de son département, et qui sont, ce qui est loin d’être une coïncidence ni anodin, proches du parti islamiste Ennahdha, le parti dont il est l’un des dirigeants.
Quand on sait que l’un des griefs que M. Maarouf a contre M. Bouhoula est le refus de ce dernier de laisser des cadres du CNI, proches du parti islamiste, accéder librement aux données informatiques de certains clients, on peut craindre le pire pour l’avenir du secteur dans son ensemble, dont les enjeux politiques (contrôle des données personnelles) sont énormes en perspective, par exemple, des prochaines élections. Surtout que le CNI est l’institution qui développe le système d’information de l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) et donc le cœur du réacteur de toutes les opérations électorales (base de données des électeurs, des élections, résultats, etc.) et administratives.
Quand on se rappelle des déclarations de Rached Ghannouchi, président d’Ennahdha, lors de la dernière campagne de son parti pour les municipales du 6 mai, quand il a affirmé qu’Ennahdha contrôle le secteur des technologies de la communication et a promis d’offrir le wifi gratuit dans tous les quartiers, on comprend que les islamistes considèrent ce secteur, à juste titre, comme un instrument décisif pour la prise de pouvoir dans le pays.
En d’autres termes, et au-delà du limogeage de M. Bouhoula, qui est un fait anecdotique, il y a danger en la demeure : une dictature qui cherche à s’installer se reconnaît à quelques signes avant-coureurs, aussi anodins fussent-ils.
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