Les drames de l’émigration se poursuivront en Tunisie tant que l’élite accaparant les richesses du pays ne se sera pas débarrassée de son égoïsme et n’aura pas fait preuve de volontarisme politique pour donner du sens au concept de solidarité et d’égalité des chances.
Par Wael Mejrissi
Les mots ne suffisent pas pour exprimer la tragédie du naufrage du bateau de migrants au large de Kerkennah (Sfax). Des dizaines de corps sans vie parmi lesquels ceux de femmes et d’enfants. Le flux migratoire au départ de nos côtes maritimes tunisiennes, mais pas seulement, n’en finit plus de faire des morts et le comble dans ce drame, c’est que le naufrage de cette embarcation ne changera absolument rien. On continue comme avant. Les raisons pourquoi s’y attarder? On les connaît par cœur. Chômage de masse, une jeunesse à l’abandon, une inflation devenue prohibitive pour le commun des citoyens.
Un peuple livré à lui-même
Perspectives et espoirs ont quitté la Tunisie et ont laissé tout un peuple livré à lui-même. Les richesses sont accaparées par une minorité intouchable laissant une précarité sévère prospérer inexorablement.
L’extrême pauvreté n’est plus un spectre mais une réalité bel et bien présente dans le quotidien tunisien.
La corruption que tout le monde fustige à bras raccourci comme le principal fléau de notre système économique et social a encore de beaux jours devant elle. Derrière les belles déclarations de circonstances se cache un immobilisme des plus ancré qui soit.
La victime toute désignée sont les sans-pistons, sans-réseaux, sans-prestige qui sont malgré eux mis au banc du processus de production.
Certes, il est de bon ton de critiquer les malheureux défunts tombés dans les bras d’une mer qui a finalement abrégé leur souffrance sociale et morale mais encore faut-il avoir vécu la misère et le dénuement au sens propre du terme pour comprendre cette envie d’ailleurs au péril de sa vie.
Toute une jeunesse vit l’exclusion comme un échec qui n’a d’égal que l’indifférence que manifeste le pouvoir politique face à ce quotidien devenu une longue descente aux enfers.
L’Europe ne veut plus accueillir d’étrangers
Les diplômés qui ont fait le pari de la réussite scolaire pour s’élever socialement sont tout bonnement laissés sur le bord du chemin. L’ascenseur social qu’ils ont tant espéré a fini par devenir un mirage. Pourtant ils savent que la France ou l’Italie ne sont plus l’eldorado qu’ils furent par le passé. Il suffit de se rendre aux abords des métros parisiens Quatre-chemins ou Barbès pour trouver toute une génération de Tunisiens sacrifiés qui vendent de la contrebande de cigarettes à la sauvette et vivent ainsi sous le seuil de pauvreté. Un destin funeste que le leur où finalement la misère est remplacée par la misère avec en prime le racisme ambiant d’une Europe qui ne veut plus accueillir d’étrangers sur son sol. Pour s’en convaincre, il faut observer les poussées populistes d’échéances en échéances électorales en France, Italie, Suisse, Autriche etc.
Alors ne vaut-il pas mieux accepter sa condition, fut-elle âpre, mais qui offre au moins un semblant de dignité? Un discours qui demeure difficile à entendre quand on s’est vu toutes les portes de la réussite verrouillées à double tour.
Pourtant les communicants nous expliquent en boucle que l’économie repart, les signes de la reprise sont là, le tourisme est de retour, la croissance reprend mais la Tunisie d’en bas n’en voit jamais la couleur. Le circuit économique est conçu par et pour une caste médiatique, politique et industrielle mafieuse.
C’est le paradigme économique tunisien que tout le monde a fini par accepter comme une donnée. Chawki Tabib nous expliquait il y quelques jours encore les résistances et les conservatismes auxquels il est confronté pour amener des idées nouvelles visant à mieux encadrer la dépense des deniers publics, le recrutement au sein des services de l’Etat, à mieux combattre la corruption… En vain.
Complicité passive des forces sécuritaires
Tout cela interroge sérieusement sur la réelle volonté politique d’endiguer cette hémorragie humaine. Sinon pourquoi ne pas lancer une vaste campagne d’information et de sensibilisation sur les risques d’une telle épopée mortifère? La police et les services de renseignements ont-ils fait correctement leur travail?
Dans un pays où tout s’achète même les consciences, comment ne pas douter de la complicité passive des forces sécuritaires alors que le nombre considérable de personnes ayant pris cette embarcation de fortune ne pouvait raisonnement pas être ignoré.
L’égoïsme sanguinaire d’une élite qui règne sans partage sur les richesses du pays combiné à l’absence de volontarisme politique pour donner du sens au concept d’égalité des chances a mené le pays dans les affres d’une déchéance morale inédite. La révolution du jasmin qui soit dit en passant n’a rien de révolutionnaire quand on observe les régressions dans bien des domaines amenuisent de jour en jour l’espoir de voir ce pays retrouver sa lumière d’antan.
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