Dans cette lettre ouverte au chef du gouvernement, l’auteur, qui se présente comme un «patriote qui souhaite servir son pays…», appelle Youssef Chahed à démissionner dans un sursaut patriotique, pour préserver la nation et aider le pays à sortir de la crise.
Par Dr Marouen Boulouedhnine *
À votre nomination surprenante il y a 2 ans, j’avais pourtant applaudi car vous colliez à l’image d’une jeune Révolution.
Après l’arrestation de quelques barons de la contrebande, j’avais cru que vous vous engageriez vraiment dans la lutte contre la corruption, tant néfaste à notre pays et à son image à l’international.
Puis l’ego alimenté par un entourage cupide ont fait éclater au grand jour votre seul dessein au détriment de tout un pays: de chef de gouvernement, vous ambitionnez de devenir coûte que coûte Président. C’est légitime mais étonnant à ce stade alors qu’il y a tant de choses à faire concrètement.
En tant que chef de gouvernement, vous avez beaucoup plus de pouvoir que le Président; ce qui signifie qu’au lieu d’aspirer à diriger, vous aspirez à briller… ce n’est pas ce que l’on attend d’un jeune dirigeant en 2019.
Si je peux créditer à votre action certaines réussites conjoncturelles, je ne peux que regretter le reste.
Ai-je à vous le rappeler, en démocratie, vous êtes redevable devant le peuple qui est le seul souverain !
Votre passé de chef du gouvernement qui a obtenu les moins bons résultats en 7 ans de transition démocratique constitue votre passif : une Cour Constitutionnelle inexistante, une institution de l’Isie en voie d’être mise sous tutelle, une économie exsangue, de l’eau, des médicaments et du lait devenus denrées rares, une jeunesse qui s’exile légalement ou pire illégalement, une paupérisation des classes moyennes, des réserves en devises insuffisantes et un dinar en chute libre.
Et l’on nous dit que cela va aller mieux.
En plus de briser le rêve de tout un peuple, des vies ont été brisées à Ghardimaou suite à la décapitation de nos forces de sécurité par un remaniement précipité et des nominations sur ordonnance. Nous pleurons encore nos jeunes martyrs…
Vous êtes, de surcroît, à l’origine du conflit d’intérêt le plus anti-constitutionnel en nommant au poste de ministre de l’intérieur par intérim, le ministre de la Justice; ou comment être juge et partie !
Vous faites fi de toutes les règles, vous considérant au dessus des lois, que l’absence d’une Cour constitutionnelle ne puisse vous rappeler à vos devoirs.
Votre action comme chef du gouvernement représente l’échec le plus cuisant de notre 2e République en permettant aux islamistes aujourd’hui d’obtenir une plus grande marge de manœuvre qu’ils n’avaient au temps de la «troïka» (coalition conduite par le parti islamiste Ennahdha de janvier 2012 à janvier 2014, Ndlr). Cette situation est une insulte à l’intelligence collective de la Tunisienne et du Tunisien.
Votre seul soutien politique aujourd’hui constituera votre pire ennemi demain. Il vous a donné le baiser du serpent…
Votre dernier discours à la nation en dit long sur votre vision de l’Etat. Au lieu de résoudre les problèmes du peuple, vous lui ramenez les problèmes internes d’un parti en souffrance perpétuelle.
Dois-je vous rappeler que vous êtes le seul responsable de la présence du fils du président de la République à la tête de
Nidaa Tounes un certain mois de janvier 2016; je garde un souvenir amer de ce congrès à la suite duquel j’ai démissionné du parti qui a remporté les élections de 2014 mais qui n’a pas su gouverner.
Monsieur le chef du gouvernement, s’il vous reste encore une fibre patriotique, puis-je me permettre de vous suggérer de démissionner de votre fonction car vous avez échoué dans votre obligation de sortir notre pays de la crise.
Cela vous permettra aujourd’hui de vous lancer plus honnêtement dans une course à la présidentielle à laquelle la loi tunisienne que vous bafouez vous autorise.
Ainsi, en cessant d’utiliser les moyens de l’Etat à votre dessein personnel, vous participerez à clarifier une situation du pays devenue inextricable.
Puisque vous n’avez été nommé que par le bon vouloir du Prince auquel vous êtes peu reconnaissant, vous êtes aujourd’hui en grande partie responsable de la paralysie de la gouvernance de notre pays. Si la trahison et l’ingratitude sont la règle en politique, une jeune démocratie aurait pu modifier la donne et présenter un contre exemple.
Une utopie me diriez-vous.
Qu’attendez-vous pour un sursaut patriotique ?
Si vous pensez que la Tunisie ne pourrait vous survivre, je vous rassure, elle regorge de vrais patriotes.
Je sais que vous êtes partant mais vous voulez choisir le moment propice au détriment de l’intérêt supérieur de la nation au bord du chaos.
Dans cette optique, il est plus que recommandé de vous écarter sans tarder du pouvoir si vous espérez y revenir un jour.
Ce jour-là, je ne pense pas que trouveriez à nouveau le soutien contre-nature des islamistes d’Ennahdha.
En espérant vous aider à prendre conscience de la gravité de la situation, je vous prie de croire, monsieur le Chef du Gouvernement, à l’expression de ma haute considération.
* Chirurgien orthopédiste, La Marsa.
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