L’Italie est sans doute l’un de nos plus proches voisins, cette proximité n’est pas uniquement géographique. Elle est concrétisée par des liens économiques très forts mais aussi par l’ancrage de la culture populaire italienne en Tunisie et ce depuis plus d’un siècle.
Par Chedly Mamoghli *
Aujourd’hui, les relations tuniso-italiennes se voient confrontées à une phase sensible qui peut les mettre à mal, c’est l’avènement du nouveau gouvernement italien issu d’une coalition entre l’extrême-droite, la Ligue nationale (ex-Ligue du nord) et le mouvement anti-système fondé par l’humoriste Beppe Grillo, le mouvement 5 étoiles.
L’actuel patron de la Ligue, le tonitruant Matteo Salvini, qui s’est fait connaître pour ses diatribes anti-nord africaines et anti-immigration, dirige le ministère de l’Intérieur italien.
D’ailleurs, on le voit plus que le chef du gouvernement Giuseppe Conte, président du Conseil italien depuis le 1er juin 2018, un éminent juriste formé à la prestigieuse université romaine de La Sapienza, major de sa promotion, ayant fréquenté des universités prestigieuses en Europe continentale et aux Etats-Unis et un polyglotte. Un homme pondéré et calme.
Cela fait donc deux mois et cinq jours qu’il est à la tête du gouvernement italien et personne à Tunis n’a formulé le vœu de le rencontrer et de discuter avec lui alors que son pays est l’un de nos premiers partenaires politiques, économiques, culturels, que la communauté tunisienne en Italie est l’une des plus importantes dans le monde, que nos deux pays sont confrontés à la question de l’immigration, aux enjeux sécuritaires et à la menace globale qu’est le terrorisme.
L’Italie est l’un des pays les plus importants de l’Union européenne en sa qualité de pays fondateur, le Traité fondateur fut le Traité de Rome signé le 25 mars 1957. Egalement, l’Italie est un la troisième économie de la zone euro.
Il est d’usage quand un nouveau chef d’Etat ou de gouvernement entre en fonction, les pays avec lesquels son pays entretient des relations très importantes, qu’ils l’invitent. Emmanuel Macron, dont la relation avec l’actuel gouvernement italien connaît bien des divergences et dont la relation de son pays avec l’Italie, elle aussi, est entrée dans une phase sensible (pour d’autres raisons que les nôtres) a rapidement invité M. Conte à l’Elysée au lieu de laisser la relation de son pays avec l’Italie prisonnière des sautes d’humeur de Matteo Salvini.
Pourquoi le conseiller diplomatique de M. Chahed n’a-t-il pas conseillé au chef du gouvernement d’inviter à Tunis son homologue italien? Certes le chef du gouvernement est au centre d’une guerre des clans qui veut l’achever toutefois ce n’est pas une raison pour négliger une question diplomatique, politique et économique vitale pour le pays.
On nous répondra avec la nonchalance habituelle que Khemaies Jhinaoui, ministre des Affaires étrangères, a fait une halte le 11 juillet dernier à Rome en rentrant de sa visite officielle au Canada pour faire la connaissance de son nouveau homologue italien M. Milanesi. Et que M. Salvini a eu un entretien téléphonique avec Ghazi Jeribi quand il assurait l’intérim au ministère de l’Intérieur et que M. Salvini va venir bientôt à Tunis. Non, non et non. C’est trop négliger la relation historique et si spéciale entre l’Italie et la Tunisie que de ne pas discuter à un niveau bilatéral plus élevé.
Dans nos deux pays, les chefs de gouvernement ont plus de pouvoirs que les présidents, se ne sont pas des Premiers ministres mais des chefs de gouvernement. Il faut que M. Chahed invite M. Conte et qu’ils discutent et préservent nos relations bilatérales des diatribes de M. Salvini qui fait plus de comm’, plus de provoc et plus de politique spectacle que de la vraie politique. Et il continuera de le faire. Il ne faut pas laisser nos relations prisonnières des sautes d’humeur de M. Salvini, au risque d’être empoisonnées par ce dernier. Il ne faut pas tomber dans son piège trop facile de la provocation où il nous provoque et tout de suite après on joue au coq et on met à mal nos relations spéciales. Il ne faut pas non plus se taire et se laisser faire et le laisser souffler le chaud et le froid sur nos relations bilatérales. C’est dans ce sens et dans l’optique de préserver nos relations que M. Chahed devrait inviter M. Conte à Tunis.
Déjà le 4 juin dernier, soit trois jours seulement après que M. Salvini ne soit devenu ministre italien de l’Intérieur, l’ambassadeur d’Italie à Tunis a été convoqué au ministère des Affaires étrangères après que le ministre italien s’est attaqué par des phrases provocatrices et trompeuses à la Tunisie.
Les Italiens réfléchis et pondérés et à leur tête le président de la République italienne et le président du Conseil M. Conte doivent influer sur M. Salvini pour qu’il cesse ses provocation – même si c’est son fonds de commerce politique – et d’un autre côté, ici à Tunis, nos autorités doivent savoir gérer la situation en ne tombant pas dans le piège de la provocation tout en étant ferme avec lui. La relation spéciale entre la Tunisie et l’Italie doit être préservée et cette responsabilité incombe à M. Chahed et à M. Conte.
* Juriste.
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